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Le rêve toscan

Publié le 20 mars 2012 par Marc Lenot
Le rêve toscan

Frank Duveneck, Florentine Flower Girl, 1886

Au dessus de l’exposition sur le rêve américain, le Palais Strozzi montre (jusqu’au 15 juillet) une exposition sur les peintres américains à Florence à la fin du XIXème et au début du XXème siècles, comme un rêve toscan de ces Américains au sortir de la Guerre Civile, riches et avides de culture, de découvertes, de pittoresque. Ils ne s’intéressent qu’au passé, protestent contre les projets de modernisation de Florence (comme l’assainissement du Ghetto insalubre) et vivent entre eux. Les seuls Italiens fréquentables par eux sont des aristocrates, quelques artistes et d’éventuels Italo-américians comme Egisto Fabbri et sa sœur Ernestine. Excepté quelques types pittoresques (comme cette charmante Vendeuse de fleurs peinte par Franck Duveneck; au Musée de Cincinnati), pas d’Italiens dans leurs tableaux, ce pays est vide, habité seulement par une gentry internationale de dandies, de millionnaires, d’artistes vivant de leurs rentes ou de leur pension, et de femmes du monde. Le cosmopolite Sargent, né d’ailleurs à Florence, et Henry James, peintre manqué, en sont les deux archétypes (et l’un peint l’autre, et l’autre écrit sur l’un), et Sargent semble plus intéressé par les bœufs toscans que par les habitants (à l’exception d’une unique scène pittoresque de pressage du raisin)… C’est donc un regard sur la Toscane et l’Italie singulièrement biaisé qui se dégage de leur peinture (mais, rappelons-nous, les photographes avaient une vision tout aussi stéréotypée de l’Italie).

Le rêve toscan

Frederick Childe Hassam, Santa Trinita Bridge, 1897

Sargent et les Impressionnistes américains, annonce le sous-titre de l’exposition. Des impressionnistes, vraiment ? Serait-ce que le dur soleil toscan ne se prête guère aux nuances impressionnistes ? La plupart de ces tableaux semblent bien plus proches des peintres académiques de l'Ottocento, voire  des Macchaioli, que des Impressionnistes français, et ce n’est qu’au milieu de l’exposition, après nombre de paysages et de portraits des plus classiques (dont la lumineuse et tragique Edith Perry, déjà vue à Bordeaux), qu’on tombe devant ce Pont de Santa Trinita de Frederick Childe Hassam (1897 ; au Smithsonian) où, enfin, la lumière d’hiver joue sur l’eau et la texture du pont se colore de mille touches, où, enfin, on se rapproche de l'impressionnisme.

Le rêve toscan

Frederick Childe Hassam, An Outdoor Portrait of Miss Weir, 1909

Un peu plus loin, on voit d'ailleurs à quel point l’impressionnisme de Childe Hassam est hésitant : dans ce Portrait de Miss Weir en plein air (1909 ; au Crocker Museum de Sacramento), on remarque d’abord la pergola, la robe et le chapeau inondés de lumière, les taches de couleur bleue et verte diffuses, la similitude avec les portraits impressionnistes en plein air. Et puis le regard se pose sur le visage de la jeune femme, fille du peintre Julian Alden Weir, il est bien dessiné avec des traits durs, une touche précise, réaliste, la bouche est bien ourlée, le nez pincé : on croirait voir un collage, un ajout académique dans un tableau impressionniste, une autre main. Childe Hassam se veut impressionniste, mais quand il s’agit du visage, il ne peut lâcher prise, s’abandonner à cette liberté nouvelle, et il se doit de revenir à l’académisme.

Le rêve toscan

Egisto Fabbri, Marne Valley Landscape, 1890-95

Dans une autre salle, une toile d’Egisto Fabbri attire l’attention, détonnant parmi tous ces paysages bien léchés : des formes épurées, les aplats des murs aveugles, la modulation du vert de la prairie, les reflets indistincts des arbres sombres dans l’eau, la ligne bleue à l’horizon, tout fait penser à Cézanne. Oui, mais la ligne bleue est celle des Vosges et le tableau s’intitule Vallée de la Marne (1890-95; collection Drusilla Giucci Caffarelli). On est bien loin du soleil toscan.

En somme, une exposition historiquement et sociologiquement intéressante sur ces Américains venus vivre et peindre en Toscane, mais assez décevante en termes de discours artistique et de qualité des toiles. A titre d’exemple, l’exposition de Londres sur les Américains à Paris avait l’avantage, outre une description historique assez similaire, de questionner les influences esthétiques réciproques avec bien plus de pertinence, me semble-t-il.

Photos courtoisie du Palazzo Strozzi.


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