Les constituants espagnols de 1812 introduisirent la souveraineté nationale, une idée trompeuse qui, au nom de la volonté du peuple, octroie à l’État le pouvoir absolu pour décider de notre vie. Souveraineté nationale ou souveraineté de l’individu ?
Par José Carlos Rodríguez
1812 est l’année qui a le plus inspiré les libéraux espagnols. La constitution de cette année a été une des contributions de l’Espagne à la politique, ensemble avec le mot « libéral » lui-même, auquel elle est si étroitement liée. Bien qu’elle eût peu de validité en Espagne, nous sommes arrivés à l’exporter durant la première moitié du 19e siècle. Ce lundi se fêtent les 200 ans de sa proclamation, et il nous revient à nous, libéraux d’aujourd’hui, de lui rendre l’hommage qui correspond à ces hommes qui voulurent reconstruire la nation, enchaînée par les Français, faisant appel aux libertés qui appartiennent à la personne et qui n’avaient pas pleinement été reconnues.
Mais je crois que nous devrions reconnaître que ces assemblées, et la constitution qu’ils mirent au jour, constituèrent une immense erreur. On ne peut refuser de reconnaître à ces hommes, qui encore aujourd’hui donnent leur nom à des rues et des places, leur patriotisme, et même leur héroïsme. Ils refusèrent de se rendre à l’envahisseur et se proposèrent de profiter de ce risque périlleux pour que l’Espagne qui en sortirait soit meilleure que celle qu’ils avaient héritée. Mais leur effet sur la politique espagnole à long terme a été très négative.
Ils introduisirent la souveraineté nationale, une idée trompeuse qui, au nom de la volonté du peuple, octroie à l’État le pouvoir absolu pour décider de notre vie. Souveraineté nationale ou souveraineté de l’individu. La seconde ne va pas plus loin que là où commence la première. Couronnée par le prestige de la démocratie, la souveraineté nationale est pratiquement illimitée. Aujourd’hui, il nous semble normal que l’État décide pour nous sur des sujets qui nous préoccupent exclusivement, comme ce que nous consommons ou l’éducation que nous donnerons à nos fils.
Mais il y a un changement plus subtil, mais peut-être plus brutal, qui fut introduit par la Constitution de 1812, et c’est l’idée qu’un papier écrit par des personnages illustres et où s’expriment des idées reconnues par beaucoup de gens peut changer tout un système politique. Ainsi, tout est modifiable. Rien n’est fixe. Libéré du poids de la tradition, le système politique peut prendre la voie de la reconstruction complète de la société, sans que rien ne l’arrête. De 1812 à 1931, il n’y a qu’un pas.
Avec la Pepa [1], nous avons avancé de plusieurs pas, très importants, comme la reconnaissance de diverses libertés, comme celle de la presse ou quelques autres de caractère économique. Mais en concédant à l’État la faculté de nous octroyer des libertés, nous lui avons également donner la faculté de nous les retirer. Il y avait déjà une constitution espagnole, ensemble accumulé d’usages et d’institutions hérités du passé. Elle devait être modifiée, modernisée, réformée, pour une plus grande reconnaissance des droits des Espagnols. Mais nous nous sommes laissés inoculer le virus français de la souveraineté nationale et de la volonté générale, avec comme corollaire que nos droits n’ont pas plus de consistance que la plasticine entre les mains des politiciens.
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[1] Ce surnom vient du fait qu’elle ait été adoptée le jour de la saint Joseph.
Article paru dans Libertad digital. Traduit de l’espagnol.