L’organisme supranational chargé de défendre la paix dans le monde a fait bien peu pour cela durant le mandat de Kofi Annan. L’ancien secrétaire général de l’ONU, nommé comme médiateur dans le conflit syrien, retombe aujourd’hui dans les mêmes erreurs.
Par Fabio Rafael Fiallo depuis la Suisse.
Rwanda 1994. Les bombes et les tirs de mitraillettes s’abattent sur les Tutsis. Les casques bleus de l’Onu se trouvent à côté, ayant pour mission de protéger la population civile. Mais ils ne reçoivent pas le feu vert du Conseil de sécurité pour intervenir. Et le chef des opérations de maintien de la paix de l’Onu garde le silence et s’abstient de réagir aux mises en garde, formulées par le chef des troupes de l’Onu au Rwanda, qu’un génocide se préparait1. Résultat : 800 000 tués.
Srebrenica 1995. Les troupes du général serbe Radko Mladic entament le « nettoyage ethnique » dans cette enclave musulmane, déclarée pourtant « zone sécurisée » par les Nations unies et placée sous la protection de 400 casques bleus. Mais ceux-ci ne reçoivent pas le feu vert du Conseil de sécurité pour intervenir. Et le chef des opérations de maintien de la paix de l’Onu s’abstient de mettre publiquement la communauté internationale devant ses responsabilités face à la tragédie en cours. Résultat : de huit à onze mille Bosniaques musulmans torturés et exécutés.
Kofi Annan (CC, Ricardo Stuckert/ABr)
Le chef des opérations de maintien de la paix en question n’est autre que Kofi Annan, qui ensuite sera nommé secrétaire général de cette institution, celui-là même qui vient d’être sorti de sa retraite pour servir de médiateur dans la tragédie du peuple syrien.
Avec de tels antécédents, le choix de M. Annan pour entamer des pourparlers en Syrie, en vue de parvenir à une solution négociée du conflit, est pour le moins discutable et surprenant.
Ayons tout de même l’indulgence de croire que, ayant tiré les leçons de ces échecs, Kofi Annan saurait désormais agir avec plus de fermeté, et d’humanité. Plusieurs de ses déclarations formulées après les événements du Rwanda et de Srebrenica vont dans ce sens. En effet, en 1999, devenu secrétaire général de l’Onu, il présente ses excuses pour l’immobilité onusienne au Rwanda2 et à Srebrenica3 et déclare quelque temps plus tard: « à toute tentative de terroriser, chasser ou massacrer une population entière, il faut répondre avec fermeté par tous les moyens nécessaires »4. Enfin !
Or, voilà que douze mois après cet acte de contrition, des troupes sont dépêchées au Tibet par le gouvernement chinois pour y réprimer la contestation, ce qu’elles font sans ménagement, tirant à balles réelles sur la population civile.
Que dit alors Kofi Annan ? Eh bien, à une question posée par un journaliste au sujet des atrocités chinoises au Tibet, il répond: « La question soulevée n’est pas à l’ordre du jour des Nations unies »5.
Il est vrai que M. Annan approchait la fin de son premier mandat de secrétaire général des Nations unies et avait les yeux rivés sur sa réélection. Il fallait donc éviter à tout prix un veto chinois contre sa candidature.
La « retenue » de M. Annan dans le passé aide à comprendre la façon dont il aura commencé sa nouvelle mission. La voici.
Arrivé à Damas, il déclarera à la presse qu’« une plus grande militarisation [du conflit] va aggraver la situation »6.
Tout naturellement, cette prise de position provoque la furie du côté de la résistance syrienne7, laquelle, faute de soutien militaire international, se fait annihiler par un régime, celui de Bachar al-Assad, qui ne se gêne pas d’employer tous les moyens militaires à sa disposition.
La déclaration de M. Annan ne fut pas à vrai dire un modèle d’efficacité diplomatique. Pourquoi se priver d’emblée de brandir un moyen de pression sur le régime syrien, notamment l’éventualité d’une action militaire internationale, alors que ce régime a démontré qu’il ne comprend que le langage de la force ?
Il eût été plus adroit d’affirmer qu’il fallait dans un premier temps donner toutes ses chances à la voie diplomatique, sans pour autant écarter – comme le fit Kofi Annan – l’option de la force en cas d’échec des négociations.
Cette déclaration se trouvait qui plus est en contradiction avec les leçons que le propre Kofi Annan prétend avoir tirées de Srebrenica. On ne peut pas en effet déclarer en 1999 qu’à toute tentative de terroriser un peuple il faut « répondre avec fermeté, par tous les moyens nécessaires », puis, en 2012, exclure d’entrée de jeu l’usage de la force en Syrie.
M. Annan ne quitta pas Damas sans faire une autre déclaration sujette à discussion : alors que la répression ne faiblissait pas en Syrie, il se dit « optimiste » quant à la suite des événements8, ajoutant quelques jours plus tard avoir reçu, de la part du régime syrien, des réponses décevantes « jusqu’ici » à ses propositions9.
Son but aurait-il été d’obtenir la prolongation de sa mission – quitte à créer de faux espoirs quant aux chances de celle-ci d’aboutir – qu’il ne se serait pas pris différemment.
A en juger par cette entrée en scène, les Syriens seraient bien avisés de ne pas trop compter sur les bons offices de M. Annan pour venir à bout de leur martyre.
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Contrepoints a couvert à de nombreuses reprises le conflit syrien. A lire ici.
- BBC News, « UN admits failure in Rwanda », 16 décembre 1999, et « UN admits Rwanda genocide failure », 15 avril 2000. ↩
- Id. ↩
- BBC News, « Kofi Annan apologises for Srebrenica », 11 octobre 1999. ↩
- BBC News, « Srebrenica report blames UN », 16 novembre 1999. ↩
- Déclaration reprise dans L’ONU et les droits de l’homme, de Jean-Claude Buhrer et Claude B. Levenson, Paris, Editions Les Mille et Une Nuits, p. 214. ↩
- AFP, « Kofi Annan met en garde contre une plus grande militarisation du conflit en Syrie », 9 mars 2012. ↩
- BBC News, « Syria crisis: Kofi Annan’s calls for talks spark anger », 9 mars 2012. ↩
- BBC News, « Syria crisis : Annan ‘optimistic’ after talks with Assad », 12 mars 2012. ↩
- France24, « Annan juge décevantes les réponses de Damas à ses propositions de médiation », 16 mars 2012. ↩