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Mais pourquoi s’en prendre à l’héritage ?

Publié le 20 mars 2012 par Copeau @Contrepoints

Quel ennemi plus consensuel que l’héritage pour la classe politique actuelle en France? Mais quelle erreur fait-on là ! Supprimer l’héritage, s’en prendre à lui, l’accuser de maux, c’est se tromper et s’en prendre à ce qui favorise l’expansion et la bonne santé d’une société.

Par Aurélien Biteau.

Mais pourquoi s’en prendre à l’héritage ?

L'ouverture du testament (Jean Pimentel - France 2)

Ah l’héritage, infamie qui propage l’inégalité partout dans un pays ! Qui ne veut pas sa peau, au nom des plus belles choses ?

L‘héritage est accusé par tout ce qu’une Nation moderne, démocratique et progressiste peut compter d’âmes charitables, altruistes et bien sûr humanistes, de favoriser certaines personnes, celles qui héritent, et donc, crime des crimes, de défavoriser celles qui héritent de peu, voire qui n’héritent de rien.

Ah les fils à papa qui héritent de sommes gigantesques et de toutes les bibliothèques, combien de jeunes pauvres doivent faire le dos rond pour supporter votre opulence ? Et d’où la tenez-vous ? Certainement pas de votre travail ! Au contraire, de votre seule naissance, de l’unique effort de votre première respiration. Mais les enfants qui n’héritent pas ne se sont pas non plus dispensés de cet effort, et pourtant ils n’en reçoivent rien. Si donc nous prenons votre héritage à votre place, et que nous le divisons entre tous les petits enfants de France, nous verrons si vous avez plus de mérite que ceux qui n’ont rien eu. Vous partirez tous du même point, heureux égaux, et vous obtiendrez les fruits de votre dur labeur.

Voilà donc la suppression de l’héritage justifiée, place au travail et à la révélation du mérite de chacun !

Mais quelle erreur fait-on là ! Supprimer l’héritage, s’en prendre à lui, l’accuser de maux, c’est se tromper, et pire encore, s’en prendre à ce qui favorise l’expansion et la bonne santé d’une société.

La grande erreur consiste d’abord à réduire l’héritage à sa dimension matérielle. Mais même réduit à cela, c’est toujours une erreur que de le vouloir abrogé.

Voyez cet enfant naître, nu et chétif. Faut-il lui enlever tout ce qu’on lui donne, sa nourriture, ses vêtements, les premiers mots qui s’offrent à son ouï et même, horreur des horreurs, son prénom ? Voyons le grandir : faudra-t-il encore l’empêcher de jouir du travail de ses parents, le priver de la nourriture qu’ils lui donnent, des vêtements, des livres, des jouets qu’il obtient d’eux, et même du toit qui l’abrite sans l’avoir bâti lui-même ? Et pourtant, si l’on veut supprimer l’héritage, il ne faut pas faire les choses à moitié, au risque de froisser l’égalité recherchée !

Mais il est aisé de voir à quel point l’héritage fait la différence entre la vie et la mort. Ôtez à l’enfant tous ces trésors que ses parents lui offrent, desquels il sera net débiteur, et on ne donnera pas cher de sa peau.

Et les enfants abandonnés, et les jeunes orphelins, eux, n’héritent-ils pas de rien ? S’ils ont bien des malheurs, celui-ci n’en fait pas partie : derrière eux se traînent les siècles, et ces siècles cristallisent le travail colossal d’un pays et l’épargne accumulée par ses gens. De ce travail et de ces privations énormes a pu émerger la prospérité grandissante dont jouiront, à quelques degrés et fortunes divers, tous les enfants.

On dira qu’il n’est pas question d’abroger un seul instant l’héritage des siècles ! De cet héritage tous les enfants ont une jouissance égale ! Et pourtant ! Comment croyez-vous que cet héritage des siècles a pu parvenir jusqu’à nous ? Et bien par l’héritage des familles ! Or si vous voulez supprimer maintenant l’héritage, ou même le limiter, et bien vous dites à ces enfants qui grandissent : « Vous jouirez des fruits de votre travail, mais pas vos enfants. » Non seulement inconscients de détruire la liaison familiale, association spontanée ancrée dans la réalité naturelle d’une société, au nom d’un hypothétique « lien social » que devrait réaliser, à force d’abstractions, l’égalité, vous ne laissez qu’un choix aux travailleurs : ne rien laisser derrière soi. C’est-à-dire ne rien léguer. Or si plus personne ne lègue, il n’y a plus rien à léguer à personne. Voilà comment rompre d’un seul coup la longue tradition qui apporte à nous les fruits du travail colossal de nos parents, de nos grands-parents, et de tous nos ancêtres, jusqu’au premier homme qui, dépourvu d’absolument tout, s’est décidé à produire son capital, et a introduit l’inégalité que vous détestez, première impulsion pourtant de la prospérité. Rompre cet héritage, c’est le faire tomber en déliquescence, et ce n’est pas, pour la société, progresser. C’est régresser.

Mais l’erreur est d’autant plus grande que nous n’héritons pas que de pauvres choses matérielles. Notre héritage est aussi moral et culturel. Voulant l’abrogation de l’héritage, vous direz qu’il n’y a point de souci pour ce qui est de la morale et de la culture. Puisque l’Etat imposera l’égalité matérielle des chances, il lui en coûtera peu d’y ajouter l’égalité morale et l’égalité culturelle de ces chances en faisant l’éducation à tous les enfants du pays. Ô c’est déjà ce qui est fait aujourd’hui, et quels brillants résultats ! Mais je doute qu’il s’agisse là véritablement d’un héritage que recevraient les enfants de la part de l’Etat.

Au contraire, il faut craindre que cette éducation soit l’éternelle répétition d’un corps de valeurs sorti de l’abstraction d’une somme de cerveaux prétentieux. Ce qui fait la force de l’héritage, c’est sa perpétuelle mutation. L’enfant qui hérite des normes morales et culturelles de ses parents ne s’y tient pas. Lui-même sujet de sa vie, il a l’occasion d’ajuster à chaque instant ces normes dans ses actes, afin qu’elles soient au mieux efficaces. L’homme apprend de ses erreurs, mais il ne peut les faire que par l’exercice libre de ses actions. De générations en générations, l’héritage moral et culturel, constitués des pratiques normées des parents, se corrige et s’adapte à la marge.

L’éducation de l’Etat ne peut prétendre à ces ajustements. Valeurs rendues abstraites par la rationalisation d’une doctrine quelconque, a fortiori d’autant plus favorable à l’abstraction qu’elle prétend remplacer l’héritage, la morale et la culture se trouvent d’un coup figées dans le temps. Les générations se succédant dans les écoles de l’Etat qui fait la leçon de toute chose, les mêmes normes tombent au fil du temps.

Bien sûr, chaque enfant qui grandit ne cesse pas d’être sujet de sa vie, et il corrigera de fait ses pratiques au fil de ses erreurs. Mais de ce fin savoir à limite de l’inconscience, ses enfants n’auront aucun droit, et repartiront des normes figées de l’Etat.

Qu’à cela ne tienne ! Les cerveaux qui ont conçu les valeurs abstraites de l’Etat finiront bien par mourir, et les nouveaux cerveaux décrèteront leurs normes, corrigées, nouvelles valeurs ! Mais c’est d’abord perdre le temps si précieux des vies humaines. Pire, puisque les valeurs sont enseignées par l’Etat, elles ne sauraient cesser d’être instruites à la sortie de l’école. Faisant de l’Etat le garant de l’héritage national, nous lui avons confié tout ce qui fait la force d’une Nation, et le voilà, tentaculaire, accroché à chaque paroi du pays, ne laissant plus la moindre prise à ses habitants. Une valeur d’Etat est une valeur permanente qui doit accompagner chaque instant de la vie du citoyen. Sa grandeur a été justifiée, et son statut impose sa permanence. Dans sa vie de travailleur, le citoyen devra constamment recevoir de l’Etat les normes prétendument correctes de la vie.

Ceci est-il trop abstrait ? Ma foi, ne voyons-nous pas les valeurs progressistes se montrer de plus en plus intrusives dans la vie de chacun ? Dès l’école sur laquelle il a pris un vaste contrôle, l’Etat impose ses normes. Des armées de « citoyens » fidèles et bien normées, les meilleurs produits de l’éducation civique, viennent grossir les rangs d’associations militantes diverses, sous le soutien bienheureux de l’Etat qui propage sa République : liberté comme volonté de décréter la réalité et ses lois, égalité comme égalitarisme, fraternité comme abrogation des différences et programme socialiste. Votre vie familiale, votre vie au travail, votre vie amoureuse, votre vie de loisirs, plus rien n’échappe au programme progressiste contre lequel du reste, vous ne pouvez rien faire : l’Etat joue contre vous, et vos enfants, dont on a brisé l’héritage que vous vouliez leur offrir, se met de son côté.

Où cela peut-il mener un pays ? A la déliquescence de la famille d’abord, et ce n’est pas un petit malheur. Un pays est un ensemble de familles, et celles-ci sont l’unité qui offre à l’individu ses premières libertés. A l’aveuglement tout entier d’une population ensuite. En brisant l’héritage moral et culturel, on ne fait rien d’autre que d’obliger les enfants, qui deviennent adultes, à régresser d’abord au niveau des dernières normes héritées tolérées, puis à tâtonner, ne devant pas améliorer ses pratiques à la marge, mais quasiment dans leur ensemble. L’aveuglement est d’autant plus conséquent que les valeurs d’Etat, cristallisées en une idéologie abstraite d’Etat, se font le guide de l’action morale, mais aussi le fer qui empêche toute déviance, à force d’abrutissement et de répétitions, par l’Etat, ses associations, et ses fidèles citoyens. Enfin, c’est la ruine progressive, sur une pente très légère, qui arrive. L’héritage représente l’épargne d’une génération, et on sait bien que sans épargne, il ne saurait y avoir d’investissements productifs. En brisant constamment les épargnes des générations successives, on empêche toute prospérité d’émerger, et on détruit le capital des siècles.

N’y a-t-il pas là quelques vérités françaises ? Mais où est le progrès dans l’abrogation ou la limitation de l’héritage ?

Lire aussi :

- Famille et Libéralisme, Philippe Nemo

- Héritage sur Wikibéral


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