Depuis trois ans qu’elle était mariée,
Jeanne n’avait point quitté le val de Cariet.
Elle vivait sans enfants avec son mari,
Heureuse, dans une vaste et froide maison.
Un hiver, elle fut prise de quintes de toux.
Le médecin conclut à une fluxion.
Il lui conseilla d’aller passer trois mois
Dans le sud, chez sa mère, à Foix
Où le climat serait meilleur pour son état
Que les brumes épaisses du Jura.
Elle partit.
Là, elle prit goût aux diners, aux sorties,
Aux fêtes, aux soirées de danse.
Des hommes lui faisaient la cour. Elle s’amusait
Mais restait sûre de sa résistance,
S’en tenant à de chastes baisers
Qui sont les caresses des âmes.
Elle se demandait comment les femmes
Pouvaient consentir à des contacts dégradants.
Elle recevait beaucoup de compliments.
Les déclarations jetées sous la treille,
Les paroles balbutiées à son oreille
Allumaient en elle un certain contentement.
Elle aimait ces têtes à têtes des soirs tombants
Mais aucune pensée coupable
Ne pénétrait son cœur irréprochable.
Deux jeunes gens surtout
L’accompagnaient partout :
Boniface Peraudin,
Un grand garçon hardi et mondain
Qui frémissait en approchant d’elle.
Raoul de Villameur,
Dit ‘Mouton fidèle’
Car il était assez peu pugnace
Et savait attendre son heure.
Elle appelait le premier ‘Capitaine Fracasse’.
Elle eut bien ri
Si on lui eut dit
Qu’elle aimerait. Elle l’aima.
En ses rêves, elle le revoyait délicat,
Doux, passionné, fidèle.
Au réveil, elle croyait le sentir près d’elle.
Une nuit (elle avait la fièvre peut-être),
Elle se vit seule avec lui dans la forêt,
Couchés tous deux sous un chêne ou un hêtre.
Ses lèvres l’effleuraient.
Elle se sentait emplie de tendresses pour lui.
On est, dans le rêve, tout autre que dans la vie.
La nuit suivante, il l’enlaça.
Elle s’abandonna,
Remplie de bonheur surhumain.
À son réveil, vibrante,
Elle se sentait encore possédée par Peraudin.
Comme, épouse aimante,
Elle ne voulait pas faillir,
Elle écrivit
À son mari
Qu’elle désirait rentrer.
Il la dissuada de revenir,
De s’exposer aux froides brumes de Cariet.
La réponse de son objecteur
Qui ne comprenait pas la lutte de son cœur
L’indigna, l’atterra.
Quelques jours après,
Invitée à une soirée,
Elle dansait avec ‘Mouton fidèle’.
Mais elle ne pensait qu’à l’autre, Vaulameur,
Croyant le sentir contre elle.
C’était ‘l’autre’ qu’elle appelait
De tout l’élan de son cœur
Quand elle murmurait « Voulez-vous m’aimer ? »
Elle ne voyait que ‘l’autre’ quand
Peraudin l’enlaçait.
C’était ‘l’autre’ qu’elle désirait
De tout son corps ardent.
Quand elle s’éveilla
De ce songe, elle poussa
Un cri épouvantable.
C’était ‘Mouton fidèle’,
À genoux près d’elle
Qui s’épanchait : -Vous êtes adorable !
Elle cria :-Je vous hais. Allez-vous-en.
Vous êtes infâme. Allez-vous-en !
Peraudin, abasourdi, se releva,
Prit son chapeau et s’en alla.
Le lendemain, Jeanne rentrait au val,
Au domicile conjugal.
Son mari,
Surpris,
Lui reprocha sa décision.
-Je ne pouvais plus vivre loin de toi.
Lui, ne comprenait pas sa complexion :
-Tu es plus triste qu’autrefois.
Qu’as-tu ?
Que désires-tu ?
-Rien. Il n’y a que les rêves
De bons dans la vie si brève.
Adèle ICE
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C’est rêver en veillant que de s’inquiéter des songes que l’on a faits pendant le sommeil.
Chancelier Oxenstiern
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