Salle 5 - vitrine 4 ² : les peintures du mastaba de metchetchi - 29. des prêtres-lecteurs, en particulier

Publié le 20 mars 2012 par Rl1948

   Aux fins d'édifier une tribune permettant d'accueillir le public d'un spectacle "Sons et Lumières", des fouilles furent entreprises en 1970 et 1971 - interrompues puis reprises de 2001 à 2006 - par le Centre franco-égyptien d'étude des temples de Karnak (CFEETK), à l'est du Lac Sacré.

   Et exactement entre le bord du bassin et un rempart à bastions érigé au Nouvel Empire qui, un millier d'années durant, constitua la limite extrême du sanctuaire, les archéologues mirent au jour, sur quelque 140 mètres de longueur, adossé au mur d'enceinte de Thoutmosis III, un quartier de maisons édifiées en briques crues, livrant un matériel épigraphique et mobilier prouvant indubitablement que, dès la XXIème dynastie et jusqu'à la XXVème, elles avaient hébergé des membres de la classe sacerdotale thébaine.

   A raison d'un mois trois fois l'année, des prêtres avaient donc vécu là, dans l'enceinte même du domaine d'Amon, proches du plan d'eau dans lequel, rappelez-vous amis lecteurs, je vous l'ai expliqué lors de notre dernière rencontre, ils devaient se purifier deux fois le jour et deux fois la nuit, de manière à être hygiéniquement aptes à glorifier Amon, bien sûr, mais aussi, pour certains d'entre eux, Montou, Ptah ou Osiris.

   Extrêmement important en Egypte antique, le clergé auquel très succinctement j'ai fait allusion lors de cette précédente intervention comprenait, en plus des officiants répartis dans les autres temples du pays, des prêtres funéraires dont les services étaient ponctuellement requis lors des cérémonies funèbres.

   Ce matin, vous me permettrez de n'accorder mon attention qu'à ceux rencontrés chez Metchetchi ou, plutôt maintenant, en salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre et qui, au début de la seconde partie de la vitrine 4 ², défilent sur les fragments E 25517, (41 cm de hauteur pour 56 de long), E 25518 (22 cm de haut et 22,5 de long) et E 25541 (16 cm de haut et 15 de large) en dessous du registre des offrandes aux teintes - dont le bleu - magnifiquement bien conservées, surmontés qu'ils sont par un bandeau de superbes hiéroglyphes colorés.

   A cause de l'incomplétude de la scène due à l'arrachage anarchique pratiqué par les voleurs qui s'introduisirent dans le mastaba, il n'a tenu qu'à la présence du premier des hommes ici debout à gauche pour que nous soyons à même de déterminer celui auquel, parmi les rites en rapport avec l'offrande, s'adonnait le personnage agenouillé : les égyptologues en ont en effet dénombré dix-sept différents en tout, dont la moitié au moins nécessitant cette position courbée.

  

   Toutefois, et le geste du prêtre ritualiste - Ihy, un des fils de Metchetchi, comme l'indiquent les quelques hiéroglyphes peints entre eux deux - et surtout l'aiguière hes qu'il manipule m'autorisent à avancer que l'homme agenouillé tend les mains au-dessus d'un bassinet dans lequel son collègue verse, par-dessus sa tête, l'eau de la libation destinée à consacrer les offrandes tout en lui purifiant préalablement les mains.

   Ces hommes sont immédiatement suivis de deux autres, arborant perruque longue et barbiche rectangulaire.

 

   Ils se caractérisent en outre par le port d'une bande d'étoffe de lin blanc, sorte d'écharpe ceignant leur torse partant de l'épaule gauche et descendant jusqu'à l'aisselle droite, ainsi que d'un pagne court à devanteau triangulaire : il s'agit de prêtres-lecteurs - kheri-heb, en égyptien, c'est-à-dire "celui qui porte le rituel", comprenez : celui dont la tâche consiste à lire ou à déclamer le texte de la cérémonie ; récitateur, comme disait au début du XXème siècle l'égyptologue belge Jean Capart.

   En réalité, le terme complet était khery-hebet hery-tep qui définit, à tout le moins à partir du Nouvel Empire et jusqu'à la fin de la civilisation égyptienne, ceux des lettrés habiles en sciences sacrées, intellectuels de très haut niveau bénéficiant d'une position honorifique dans la hiérarchie des serviteurs de l'Etat pharaonique.

   Il faut toutefois savoir qu'à lui seul, hery-tep détenait une signification bien particulière : il désignait ce qu'il est convenu d'appeler - à défaut d'un terme moins négativement connoté - un magicien.

   Loin de connaître la marginalisation inhérente à notre époque, la magie constitua, chez les anciens Égyptiens, un fait de culture à part entière : partant du principe qu'il est toujours possible d'influer sur le cours naturel de la vie, elle permettait à tous, de l'agriculteur au souverain, sans oublier les divinités, de combattre les forces négatives, sempiternellement synonymes de ce chaos tant abhorré.

   Êtres purs par excellences, ils avaient accès aux secrets des dieux. Exceptionnels connaisseurs des textes liturgiques et parce qu'ils étaient capables de les appliquer en nombreuses circonstances, ces prêtres-lecteurs, ces "magiciens" furent énormément sollicités. A Basse Epoque, leur érudition dépassa même les frontières du pays puisque, si je m'en réfère à Hérodote, Darius, roi de Perse, avait pris soin de s'adjoindre un médecin égyptien parmi les plus réputés. Plus tard, Alexandre le Grand et l'empereur romain Marc Aurèle auront eux aussi à coeur de s'entourer de l'un ou l'autre semblable érudit.  

   Vous concevrez alors aisément que la distinction entre magie et croyances religieuses s'avère extrêmement ténue ; à l'instar de celle entre magie et médecine. Lettrés, prêtres de haut rang, magiciens, médecins, ces hommes l'étaient mêmement.

   C'est d'ailleurs un de ces prêtres-lecteurs que le roi récompense à la fin du premier des quatre récits subsistant parmi les neuf jadis copiés sur le célèbre Papyrus Westcar, défini dans la littérature égyptologique comme un recueil de contes des magiciens à la cour de Khéops.

   Sur le fragment (E 25517) ici devant nous, le premier des deux prêtres-lecteurs tient un grand papyrus dans la main droite et le second, un plus petit, roulé dans la gauche. Ce dernier avance paume droite vers le haut, geste typique - et codifié - de ceux qui s'expriment en public.

 

     En tant que prêtres des morts, ces hommes officiant lors de cérémonies funéraires étaient des ritualistes privés, nullement attachés à un temple quelconque, qui n'avaient donc pas à assumer le culte de la divinité qui y était honorée : ils n'appartenaient qu'au clergé des dieux de l'Au-delà, Anubis et Osiris. 

     Toutefois, parmi eux, et parce que détenteurs de la connaissance des écritures sacrées, parce que rompus à leur exégèse, seuls les prêtres-lecteurs pouvaient tout à la fois officier au sein même d'un sanctuaire et lors des funérailles de particuliers.

 

     Et si, lors du cérémonial de l'embaumement, ils étaient tenus de psalmodier les prières rituelles, formules liturgiques correspondant à certaines étapes comme celles de la seconde onction et du bandelettage de la tête ; si, parfois, devant la bête sacrifiée, ils récitaient des litanies, - souvenez-vous de ceux dont j'avais, mardi dernier, simplement relevé la présence, à Saqqarah, dans le tombeau de Mererouka en train de réciter les formules rituelles sur la bête sacrifiée, dans la cérémonie funèbre évoquée ici, ils lisent pour Metchetchi les glorifications du menu d'offrande : c'est à tout le moins ce qu'indiquent à la fois les hiéroglyphes peints disposés en colonne devant chacun d'eux ainsi que, au-dessus de leur tête, ceux du bandeau horizontal.

   Et la scène de se terminer par un cinquième personnage, sans indication de patronyme qui, à l'image de celui que nous avons déjà croisé le 17 décembre dernier, soulève légèrement le couvercle d'un encensoir de manière à, comme l'expliquent ceux des hiéroglyphes conservés de part et d'autre, encenser Metchetchi grâce aux vapeurs purifiantes qu'humeront inévitablement ses narines.

        

   Venue l'heure de nous quitter, vous conviendrez sans peine qu'il n'est pour moi nul besoin de m'attarder sur les deux autres petits éclats que les Conservateurs en charge de cette vitrine ont disposés tout à côté dans la mesure où, sur E 25518 s'y termine la théorie des mêmes prêtres-lecteurs

et sur E 25541, fort endommagé, semble se profiler un porteur d'étoffes, probablement destinées à la momification à venir du défunt ; personnage qui, à mon sens, ne ressortit en rien au domaine clérical ...  

 

   Les sacerdotes que nous avons cotoyés ce matin, amis lecteurs, auxquels étaient dévolus les rites funèbres constituèrent donc dans l'Égypte ancienne une classe de prêtres spécialisés et, pour la plupart d'entre eux, totalement indépendants du personnel des temples. Serviteurs du ka, ils eurent à gérer non seulement l'ensemble des funérailles proprement dites mais aussi la protection des différentes étapes de la momification préalable, sans oublier le culte post mortem assurant notamment aux défunts qu'ils bénéficieront bien de manière pérenne des offrandes alimentaires et autres nécessaires à leur seconde vie.  

(Capart : 1907, 56 ; Hérodote : 1964, 174 ; Janot : 2010, 19 ; Koenig : 1994, 15-39 ; Laboury : 2001, 49-52 ; Pernigotti : 1992, 151-87Sauneron : 1988, 35-118 ; Traunecker : 1993, 83-93 ; Vandier : 1964, 106-13 ; Ziegler : 1990, 132-3