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Klub des loosers

Publié le 19 mars 2012 par Acrossthedays @AcrossTheDays

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« Au Klub des Loosers la vie est comme dans un musée, on passe notre temps à regarder sans jamais pouvoir toucher; que ce soit nos rêves, le bonheur, les femmes qu’on aime et toutes ces choses importantes. »

Lundi 5 Mars, « La fin de l’espèce« , le nouvel album du Klub des Loosers pointe le bout de son nez chez tous les bons disquaires. Presque huit ans après « Vive la Vie », véritable cri du coeur d’une génération torturée, nos deux compères misanthropes sont de retour pour retrouver leur public qui a depuis pris en maturité. Véritable évènement pour certains, énième album de rap français inconnu pour d’autres qui étaient venus chercher le nouvel EP de 1995, permettez que je vous narre l’histoire de cet album et des hommes qui en sont à l’origine.

Cette histoire, j’essayerai au possible de vous la conter avec la plus grande objectivité, car vous l’aurez sûrement compris, je faisais ce Lundi 5 Mars parti des personnes qui ont accouru à l’ouverture de la FNAC, fébrile comme un jeune garçon découvrant le corps d’une femme pour la première fois.

Si vous le voulez bien, commençons par le commencement.

La base du Klub des Loosers

Le Klub des Loosers, c’est deux membres. Fuzati, le MC masqué qui s’occupe de la production et des paroles et Detect, l’esprit tranquille du duo qui s’occupe des scratchs. Il faut noter qu’au départ Detect n’était pas le deuxième membre, puisque lors de la première année d’existence du Klub en 2000, Orgasmic (par la suite membre de TTC) occupait cette place. A l’heure actuelle, le groupe ne compte que deux albums en 12 ans d’existence. Mais c’est sans compter sur la montagne de projets auxquels les deux membres ont participé, en passant par leurs EP comptant moultes inédits.

Les premières apparitions de Fuzati, ce personnage atypique sur lequel je reviendrai juste après, se font sur la mixtape « L’Antre de la Folie » sortie en 2000 puis sur l’album de L’Atelier« Buffet des Anciens Élèves » sorti en 2003. L’Atelier était un collectif réunissant quelques grands noms du rap français: Tekilatex (TTC), James DelleckCyanure (ATK) et bien sur Fuzati. On y découvre alors un personnage très antipathique qui nous expose sa manière de penser, très misanthrope et marquée par les vestiges d’amours que l’on devinerait compliqués; car oui, Fuzati connait son sujet, ce qui provoque une sorte d’attirance pour cet homme pourtant si froid mais qui semble nous comprendre. Que ce soit de l’amour jusqu’à la haine, en passant par la musique et la solitude, les sujets évoqués par Fuzati sont certes récurrents mais développés d’une façon habile au possible qui le rendent crédible et sincère.

La sincérité, c’est surement le point fort du duo. Rares sont aujourd’hui les artistes qui arrivent à prouver qu’ils aiment la musique avec un grand M et qu’ils ne courent pas après la notoriété. En témoigne le masque de Fuzati qu’il ne quitte jamais, destiné à protéger son anonymat. Dernièrement, dans une interview accordée à nos confrères de l’abcdrduson (que je vous conseille vivement), le MC expliquait qu’il lui était arrivé d’entendre des fans écouter sa musique dans les transports en commun, sans savoir qu’il était à quelques mètres d’eux; chose assez admirable quand on voit des « artistes » comme Orelsan, qui est d’une modestie proportionnelle à son talent. Pour justement continuer sur la comparaison avec ce jeune imposteur qui n’a que trop surfé sur ce concept de « Loose » (sic.) en y ajoutant une touche démagogique inappropriée (inutile de vous reparler de l’affaire « Sale pute » où il n’a pas su assumer ses propres textes), Fuzati n’a jamais remis en cause ses textes, parfois bien plus violents, il a toujours joué son rôle d’auteur jusqu’au bout, assumant des compositions pourtant à des miles du politiquement correct. Cette parenthèse étant faite, continuons notre merveilleuse histoire…

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La sortie de « Vive la Vie »

Après quelques EP phares comme  »Baise les Gens » ou  »La femme de fer », « Vive la Vie » sort en 2004. Pour ma part je l’ai découvert quelques années plus tard :  j’avais alors 15 ans. Vous pensez que l’âge à laquelle on écoute l’album n’a pas d’importance ? C’est pourtant un facteur essentiel de la perception des oeuvres que sont « Vive la Vie » et les autres projets du Klub. A 15 ans, je me rappelle avec tristesse et honte avoir trouvé que c’était un album humoristique. Seulement, à force de l’écouter et de vivre ce que Fuzati décrivait dans ses sons, j’ai découvert qu’il avait tout sauf vocation à être « drôle ». C’était même tout l’inverse. « Vive la Vie » est un violent hommage au suicide et à la mort. Detect et Fuzati l’ont d’ailleurs répété à travers plusieurs interviews retrouvées sur la toile. L’album y narre l’histoire d’un étudiant, frustré et seul, se battant contre la solitude avec le peu d’énergie qui lui reste. En témoignent les interludes, des conversations téléphoniques avec « Anne-Charlotte » qu’il essaye d’approcher (en vain).

Je pourrai vous citer quelques vers de cet excellent album mais, sincèrement, il m’est impossible de choisir parmi la pléthore d’excellentes punchlines qu’il contient. C’est une oeuvre indivisible que l’on se doit de prendre dans son intégralité. Musicalement c’est l’explosion, la production est soignée et compte quelques « petits noms » comme ceux de Jean-Benoit Dunckel et de Nicolas Godin, les membres du duo versaillais Air qui ont justement travaillé sur « Sous le signe du V« , sorte de pamphlet à l’égard de la ville qui a vu grandir Fuzati.

L’entre-deux

Suite à « Vive la Vie », le duo va s’unir à cinq grands MCs français (Fredy K, Gérard Baste, Le Jouage, Cyanure, James Delleck) pour former le dorénavant célèbre Klub des 7. Véritables odes à l’enfance, les deux albums sortiront successivement en 2006 et 2009. On sent là une progression incroyable dans les productions; mieux mises en avant et plus ambitieuses, elles nous plongent avec brio dans cet univers délirant dans lequel les sept membres nous emmènent. Malgré deux excellents albums, le Klub des 7 se séparera après « La Classe de Musique« . Les raisons sont diverses, la mort de Fredy K d’un accident de moto en 2007 a probablement fragilisé l’union. Par la suite, quelques réponses en interview de certains membres laisseront entendre que le Klub des 7 fait dorénavant bien parti du passé.

En dehors de ce projet conséquent, Fuzati et Detect ont mis au monde le « Radio Show« , qui comptait entre autres des remasterisations de certaines productions de « Vive la Vie », les différents « Broadcast Session« , mixtapes on ne peut plus sympathiques, « Bande à Part » de Detect ou encore « Spring Tales » sorti en 2010 (ré-édité à la fin du mois) qui comptait de nombreuses productions connues ou non du Klub. Plus récemment Fuzati nous gâte avec les mixtapes du « Fuzati Extraordinary Music Show » regorgeant de bien des pépites de genres musicaux affectionnés par son créateur, comme le jazz ou le hip-hop.

On peut donc difficilement parler d’absence durable.  Néanmoins, le spectre de « Vive la Vie » a toujours été présent, car nombreux étaient les gens qui attendaient une suite à ce recueil diabolique qui les avait accompagné dans les moments les plus difficiles (que celui qui n’a jamais écouté « Vive la Vie » après un chagrin d’amour me jette un galet). Les rumeurs commencent après Spring Tales, et l’album ne cessera d’être repoussé. Deux ans et un dernier report de deux mois plus tard, « La fin de l’espèce » voit le jour.

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La fin de l’espèce

Nous y sommes. Le flow de Fuzati vient briser le silence qui s’était confortablement installé depuis trois ans et force est de constater que l’évolution se fait clairement sentir. Fuzati l’a toujours clâmé, « Vive la Vie » concernait des préoccupations très adolescentes comme les premiers amours, la confiance en soi ou la solitude. Les textes qu’il avait écrit provenaient de ses tripes et il était évident que plus de sept ans après, l’homme masqué ne verrait plus la vie du même oeil. Aujourd’hui, Fuzati fricote avec la trentaine, et on le sent.

Le ton est marqué dès « Vieille branche », la première track qui est une transition sèche entre les deux albums. Finis les plans bancals pour séduire Anne-Charlotte : aujourd’hui Fuzati apparaît comme un misanthrope accompli qui n’a plus foi en l’être humain. Ce côté connard qui apparaissait de plus en plus chez lui trouve en 2012 son paroxysme. Est-ce un problème ? Je ne pense pas : c’est peut-être même ce que l’on attend de lui, c’est à dire de clamer tout haut ce que l’on a parfois en tête et ce sans démagogie aucune.

Le personnage est dorénavant beaucoup plus confiant. ce n’est plus le gringalet à lunettes qui se faisait écraser par la gente féminine mais bel et bien un homme qui s’affirme. Gênant au premier abord, car on pourrait penser que le côté « Loser » a disparu, on comprend très vite qu’il est exprimé autrement, d’une façon encore plus hargneuse. Fuzati accuse sans prendre de gants, il va au fond des choses (c’est le cas de le dire) et n’hésite pas à frapper là où ça fait mal. Certes, les lyrics sont violentes. Mais l’art de la provocation est maîtrisé à un tel point qu’elle ne sont jamais offusquantes. Il y a bien un risque que certains ne se reconnaissent plus à travers le personnage qui les représentait, mais il serait, je pense, dommage de s’arrêter aux apparences.

Plus surprenant encore, malgré la grande haine qui ressort de l’album, Fuzati et Detect arrivent à nous plonger dans un état mélancolique profond : quelque chose de nouveau dans les compositions du Klub. Oui, il m’est arrivé à maintes reprises de ressentir une grande empathie à l’écoute des morceaux de « Vive la Vie » (« Un peu Seul » remue les tripes par exemple), mais jamais ils n’ont réussi à me sensibiliser aussi facilement, comme ont pu le faire « La fin de l’espèce« , « Non-père » ou encore « Au commencement » et ce dès la première écoute.

D’un point de vue musical, c’est encore une fois un régal. C’est même la plus grande réussite, niveau production, que le Klub ait pu fournir jusqu’à présent. Cela différencie leur travail du « reste » de l’industrie du hip-hop en France où l’on y trouve, certes des productions géniales au possible, mais qui manquent cruellement de profondeur voire, pire, que le flow de certains MC est bêtement “collé” sur une instru. Ici, chaque note est en totale adéquation avec le texte retranscrit et on ressent l’identité du Klub derrière chaque choix de samples. Et bien que je n’ai réussi à l’heure actuelle à n’en déceler qu’un seul (à confirmer), les airs de jazz qui ressortent des productions sont un réel plaisir pour l’oreille.

SOfMY KLUB DES LOOSERS

Vous l’aurez compris, il n’est en aucun cas question d’un « Vive la Vie 2″ et c’est exactement ce que j’attendais. Le public de Fuzati a vieilli avec lui, et même si, pour ma part, à l’aube de mes 20 ans, je suis encore très proche du premier album, c’est un challenge des plus captivants que de chercher à comprendre la façon de penser d’un trentenaire torturé. C’est ainsi que l’on reconnait un album qui sait traverser les époques à ceux qui restent figés dans la leur. Tout comme « Vive la Vie », « La fin de l’espèce » a différents niveaux de lectures que seul le temps permet de déceler. Il est donc pour moi difficile, voir impossible, de fournir une critique profonde de l’album si peu de temps après sa sortie, et ce même après de multiples écoutes.

Quid de la suite ? Impossible de savoir. L’album m’a comblé et, comme dit auparavant, je pense mettre des mois avant d’en saisir toutes les subtilités. A part espérer que l’album soit un succès, je ne peux rien souhaiter au Klub si ce n’est de continuer de faire ce qu’ils aiment. Jusque là, ils ont pour moi parfaitement rempli la mission qui était la leur : montrer à quel point leur amour pour la musique dépasse l’entendement. L’aventure peut s’arrêter, Fuzati peut raccrocher le micro ou continuer à nous abreuver de sa haine de l’Humanité (il compte d’ailleurs faire un troisième album pour compléter la trilogie), il restera pour moi cet homme qui m’a prouvé que ce qui rendait la vie plus belle, c’est de se rendre compte à quel point elle peut être dégueulasse.

Ces deux-là ont commencé leur tournée le week-end dernier. J’ai pu, pour la première fois, croiser les hommes qui ont le plus influencé ma période post-adolescente. Et croyez-moi : ce fut magique.

Pour conclure, je ne peux que vous conseiller de rejoindre le Klub. Votre univers musical n’a que très peu d’importance :  que ce soit au niveau des textes ou des instrus, vous comprendrez ce qui fait le Klub des Loosers dès la première écoute. Pour ma part j’avais promis d’être objectif au possible durant cet article, je ne suis pas sûr que ce soit réussi, raison de plus pour foncer vous faire votre propre avis.

(Je dédie cet article à Yannick Zicot qui nous a quitté très récemment des suites d’une maladie. Ce brillant homme connu par beaucoup comme animateur chez Game One puis sur Canal + était un proche du Klub, il avait participé à quelques pistes sur « La Classe de Musique » en 2009)

Crédits photos: Klubdesloosers.com


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