Karen Maitland
Pocket
665 pages
Résumé:
1348. La peste s’abat sur l’Angleterre. Rites païens, sacrifices rituels et religieux : tous les moyens sont bons pour tenter de conjurer le sort. Dans le pays en proie à la panique et à l’anarchie, un petit groupe de neuf parias réunis par le plus grand des hasards essaie de gagner le nord, afin d’échapper à la contagion. Parmi eux, un vendeur de sainte reliques, un magicien, une jeune voyante, un conteur, une domestique, deux musiciens italiens, un peintre et sa femme enceinte. Neuf laissés pour compte qui fuient la peste, mais aussi un passé trouble. Bientôt, l’un d’entre eux est retrouvé pendu, puis un autre noyé, un troisième démembré… Seraient-ils la proie d’un tueur plus impitoyable encore que l’épidémie ? Et si celui-ci se trouvait parmi eux? Toutes les apparences ne vont pas tarder à s’avérer trompeuses, et, avec la mort qui rôde de toutes parts, les survivants devront faire preuve d’une incroyable sagacité au milieu des secrets et des mensonges pour trouver le mobile des meurtres et résoudre l’énigme avant qu’il ne soit trop tard.
Mon commentaire:
Quel livre passionnant et étonnant! Nous sommes en Angleterre, en 1348. Il fait froid, c'est l'hiver. Nous suivons Camelot, qui promène ses reliques sur les routes et les vend aux gens suffisamment crédules pour les acheter. Il fait ce qu'il appelle le commerce de l'espoir. Deux événements vont venir perturber sa vie.
Le premier, c'est sa rencontre avec une mystérieuse enfant. Narigorm lit la bonne aventure dans les runes. Elle prédit des choses terribles, qui ne font pas l'affaire de tous. C'est une enfant étrange, aux cheveux d'argent et à la peau aussi blanche, qui peut sourire devant la mort ou se recroqueviller de peur dans un coin. Elle est difficile à cerner et elle donne même le frisson. Mais bon, malgré tout, ce n'est qu'une enfant.
Le deuxième événement, c'est cet homme crachant le sang qui s'effondre au milieu de la place du village, la peau tachée de bleu. C'est l'apparition des premiers signes de la peste. Une peste meurtrière, qui décimera une partie de l'Europe. L'auteur décrit ici toutes les conséquences de cette découverte. La panique s'empare des gens et les villages s'isolent de plus en plus. Il devient difficile de voyager. La peste s'étend rapidement. L'auteur en recrée l'atmosphère inquiétante et terrifiante qui qui engouffre toute l'Angleterre. Les croyances autour de cette épidémie nuisent à tout ceux qui sont différents. Les gens du voyage sont accusés de propager la maladie. Ne dit-on pas d'ailleurs que la peste est "le châtiment des étrangers"? On s'en prend aux juifs également, qui sont forcément coupables...
La compagnie des menteurs regroupe plusieurs personnages qui prennent la route et finissent par voyager ensemble pour toutes sortes de raisons. Il y a Camelot, qui raconte l'histoire, Jofre et Rodriguo d'anciens musiciens à la cour, Zophiel, un magicien qui trimballe dans un chariot une sirène et d'étranges boîtes, Adela et Osmond, un couple dont la femme est enceinte et accouchera bientôt. Plaisance, une guérisseuse et Narigorm, l'étrange enfant, se joindront à eux. En cours de route, ils feront la connaissance de Cygnus, un étrange conteur... Chaque personnage cache de lourds secrets. Ce sont des gens en fuite, fuyant quelque chose, quelqu'un, leur passé, une ville ou un village. Afin de sauver leur peau, ils ont mentis. Et ce sont leurs mensonges que nous découvrons au fil du roman.
J'ai beaucoup aimé que les personnages ne soient pas des enfants de cœur. Chacun cache au reste de la compagnie quelque chose qui modifiera leur relation avec les autres. Ils sont imparfaits, en fuite, suffisamment mystérieux pour piquer notre curiosité et nous donner envie d'en savoir plus. La terreur, la mort, la contagion et les coupeurs de gorge sont partout. Ils attendent les personnages au tournant et sont de sérieuses menaces pour eux. Obligés en quelque sorte de se regrouper pour survivre, cette compagnie doit s'entraider. Toutefois, chacun traîne un lourd bagage et la présence difficile de Zophiel n'aide pas les choses. Les neufs personnages ne se font pas vraiment confiance, ce qui est difficile dans un monde où l'entraide est synonyme de survie. Malgré la noirceur du roman, quelques scènes sont aussi pleines de lumière. Je pense notamment à Osmond lorsqu'il peint dans la chapelle.
L'ambiance de peur et de crainte, la suspicion au quotidien est clairement bien rendue dans le roman. On sent l'épidémie s'étendre et les gens en fuite tenter de s'en sauver. Partout, ce n'est que mort et désolation. L'ambiance de l'époque, des nomades et des gens du voyage est bien rendue. On suit la compagnie dans les marchés où l'on tente de vendre le peu qu'on a pour acheter à manger dans un monde où les récoltes et la nourriture se fait de plus en plus rare. L'Angleterre à cette époque regroupe toutes sortes de gens. La religion est très présente, les légendes et les croyances mènent la vie des villageois. On pratique, par exemple, l'étrange couture des mariages d'infirmes pour endiguer l'épidémie.
La compagnie des menteurs n'est pas un roman fantastique, mais pourtant certains éléments nous le laisse croire. L'ambiance est nimbée de mystère et s'accompagne de la progression terrifiante de la peste qui déferle sur le pays comme un raz de marée. Au fil du livre, on apprend énormément de choses sur cette période de l'histoire et l'on suit la compagnie sur les routes d'Angleterre. Le groupe laisse dans son sillage la mort, la maladie, la faim. Ou tente-t-il plutôt d'y échapper? Avec la compagnie, on a peur, on a froid, on tremble devant la mort et on reste incrédule devant tout ce qui nous est présenté pendant le voyage.
Ce roman est difficile à raconter, mais il est totalement prenant et très noir. C'est un livre touffu, qui raconte aussi quelques histoires dans l'histoire. Il se met en place doucement et nous fait découvrir tous les secrets de la compagnie au fil des pages et de leur voyage. L'histoire est très particulière, alors que l'aspect historique est décrit avec détails et beaucoup d'éléments réels. Beaucoup de sujets sont également traités. La fin de l'histoire ne plaira pas forcément à tous, par contre je l'ai personnellement beaucoup aimé. Principalement parce qu'elle donne froid dans le dos et parce qu'elle poursuit en quelque sorte la même ligne de conduite que le reste du roman. Les descriptions de l'époque et la noirceur qui enveloppe l'épidémie de peste sont passionnantes et terrifiantes à la fois. Des notes historiques complètent le roman à la fin et donnent des précisions sur les lieux et les événements reliés à la peste.
Vraiment, un roman que j'ai adoré, qui m'a littéralement happée de longues heures durant. L'écriture m'a plu, la recherche historique beaucoup et cette aura de mystère qui entoure les personnage est vraiment intrigante. J'espère que nous aurons la chance de voir d'autres titres de Karen Maitland en français, elle qui en a déjà écrit quelques uns. D'ailleurs, Les âges sombres, un autre roman de ses romans est prévu pour le mois de mai 2012. Vivement cette nouvelle parution!
Une auteure que je découvre avec beaucoup d'enthousiasme.
Quelques extraits:
"...je vends de l'espoir, et c'est le plus précieux de tous les trésors. L'espoir est peut-être une illusion, mais c'est ce qui vous retient de sauter dans une rivière ou de boire la ciguë. L'espoir est un mensonge magnifique et il faut du talent pour le donner aux autres." p.20
"La mort est la seule certitude dans la vie." p.233
"Croyez-vous que les mots ont le pouvoir de tuer? Qui sait où ils vont une fois qu'ils ont été prononcés à voix haute." p.284
"Mais les plus effrayants, ce sont les moulins qui ne sont pas silencieux, ceux dont les ailes tournent de façon incontrôlable et dont les meules font vibrer le sol. Les moulins fantômes, où les pierres ne cessent de moudre sans produire une once de farine. Où les ailes et les aubes tournent jusqu'à se fendre car il n'y a plus personne pour les arrêter. On voit des moutons morts gisants dans les champs et des chiens qui se décomposent dans les fossés. Et alors on se hâte de tourner les talons et d'emprunter la prochaine route, pourvu qu'elle nous éloigne du village, car on sait que celui-ci a succombé à un fléau pire que la faim." p.452
"Mais cette nuit-là, tandis que je veillais dans la brume blanche, je compris que ce que je voulais plus que tout, c'était qu'ils se souviennent. Je voulais continuer à vivre dans la mémoire de quelqu'un. Si personne ne se souvient de nous, nous sommes plus que morts, car c'est comme si nous n'avions jamais existé." p.585