Kanem : les conséquences du printemps arabe

Publié le 19 mars 2012 par Cmasson

Sur les 11 femmes de ce groupe, 3 ont un de leurs enfants qui est ou a été atteint de malnutrition aigue sévère. 

« Beaucoup d’enfants sont malades cette année dans le village par rapport aux autres années » dit une femme. « Nous-mêmes nous sommes malades et ne mangeons pas assez, alors pour nos enfants c’est pareil. On n’arrive pas à faire assez de lait pour les nourrir avec l’allaitement. C’est très difficile maintenant » « Et pourquoi est-ce si difficile cette année ? » demande Karine « Avant, nos maris nous envoyaient de l’argent de Libye pour faire vivre la famille. Mais maintenant, ils sont tous rentrés et nous n’avons plus rien » explique une femme.   Dans le petit village de Barrah, ce sont 120 personnes qui sont revenus de Libye et dans le petit groupe de 11 femmes d’aujourd’hui, 4 avaient leur mari en Libye et deux étaient elles-mêmes également là-bas avec leur famille.    Ce pays était le lieu de prédilection des migrants du Kanem, région proche de la Libye et traversée par un axe routier menant directement là-bas. Au Kanem, la population commence à être habituée des sécheresses. Afin de pouvoir s’en sortir, nombreuses sont les familles qui envoient un de leur membre (en général le mari) travailler dans une autre région pour compléter le budget familial : soit vers la capitale N’Djamena, soit dans le sud du pays ou dans les pays avoisinants. Du fait de la proximité de la Libye et des possibilités d’emplois, beaucoup partaient là-bas. Avec le conflit qui a traversé le pays l’année dernière, la poursuite des violences dans beaucoup de zones, et la forte discrimination envers les Tchadiens, ce sont plus de 100.000 Tchadiens qui ont été forcés de revenir au Tchad.    Pour les familles du Kanem, le manque à gagner est énorme : les familles ont perdu en moyenne 20% de leur revenu, et parfois beaucoup plus.   « Tous les 4 ou 5 mois, nos maris nous envoyaient l’équivalent de près de 400 euros. Maintenant nous ne disposons plus de ces sommes et il y a des personnes en plus à nourrir dans les familles et le village »   Dans le groupe, deux femmes vivaient jusqu’à il y a peu avec leur famille à Benghazi : « on a vécu presque 7 ans là-bas. En comparaison, la vie n’est pas du tout bonne dans le Kanem. En Lybie, les fruits n'étaient pas chers. Je n’ai jamais vu un enfant malnutri » explique l’une d’elle.   « On aimerait bien repartir, mais on a trop peur des violences. Ce n’est pas encore stabilisé et trop de gens ont eu des difficultés » poursuit l’autre.   « Ici, il y peu d’approvisionnement sur le marché, peu de fruits et légumes. Et les prix ont beaucoup augmenté dernièrement. Le prix du mil et du maïs a presque doublé depuis 5 mois. Les récoltes ont été très mauvaises : cela fait déjà longtemps que l’on a terminé les stocks de nourriture que nous avions produit. Pour faire face à la situation, on vend nos biens, notre bétail, on contracte des dettes et on mange en petite quantité toujours la même chose. Ce n’est pas bon » conclut une femme du groupe.   Comme tout le Sahel, le Tchad est traversé cette année par une vaste sécheresse. Dans le Kanem, la production agricole ne couvrirait que 5% des besoins de la population. En plus de ces très mauvaises récoltes, la spécificité du Kanem est que cette région est fortement dépendante des pays avoisinants et notamment de la Libye. La migration économique est une des premières stratégies de survie de la population. Or, cette année, ce stratagème ne fonctionne plus. Une perte de revenue qui a fait basculer de nombreuses familles dans une très grande vulnérabilité. Les enfants, plus fragiles, sont les premiers à être touchés par la malnutrition. En février, plus de 1900 enfants étaient admis dans les programmes de traitement de la malnutrition aigue d’ACF dans la région.