Une photo, quelques mots # 23

Par Mathylde

Performances

Depuis que j’étais arrivé sur le quai, je l’avais remarquée. Stoïque, elle ne bougeait pas d’un millimètre bien que le vent s’engouffrât régulièrement par les deux ouvertures et fît voler ses longs cheveux ébènes. Elle semblait totalement absorbée par quelque chose qui se trouvait de l’autre côté de la station. Mais, il n’y avait que des affiches illisibles. Plus elle fixait le mur, plus j’étais hypnotisé. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes que j’ai remarqué qu’elle n’était pas la seule à regarder dans cette direction. Une femme, plus âgée, était toute à la contemplation de ces trois publicités. Le métro arrivait. Je me levai. La jeune fille resta assise. Lorsque les portes s’ouvrirent, je m’engouffrai à l’intérieur de la rame et m’assis sur un strapontin. Les deux femmes n’avaient pas bougé. Que se passait-il ? Il fallait que je sache ! Avant que les portes ne se referment, je sautai sur le quai et retournai m’asseoir, un peu gêné tout de même. Qu’allaient-elles penser ? Je risquais de m’attirer des ennuis, à passer pour un satyre en puissance, mais ma curiosité était trop forte ! Un deuxième métro arriva, puis un autre… deux heures après, nous étions toujours là. J’étais totalement fasciné. Je ne pouvais pas partir. Laura m’attendait depuis déjà une heure mais je ne pouvais pas quitter les lieux sans éclaircir le mystère.

Un message retentit :  “Mesdames et messieurs, fin du service. Ce métro est le dernier de la journée.”

Elles ne bougèrent pas. Interloqué, je ne pouvais toujours pas détacher mon regard de ces deux femmes. Mais pourquoi ne partaient-elles pas ?

Les lumières s’éteignirent. Je vis enfin la jeune fille remuer doucement ses jambes, tendre ses bras et se masser la nuque. Elle se leva, me sourit et me dit d’une voix claire : “Merci. C’est rare que quelqu’un reste jusqu’au bout ! Bonne fin de soirée, Monsieur !”. Puis, je la vis s’éloigner, tenant le bras de la femme qui avait été assise à quelques sièges d’elle toutes ces heures.

Je ne comprenais rien. Mes pensées étaient comme embrumées. Abasourdi, je rentrai chez moi et avalai deux somnifères.

Le lendemain, empruntant le métro pour me rendre au bureau, je cherchai les trois affiches aperçues la veille.

” Art et performance :l’attente du métro. Merci de ne pas déranger les artistes et de respecter leur travail.”

Texte écrit dans le cadre de l’atelier Une photo,quelques mots, à l’initiative de Leiloona. Photo de Kot.