Un des charmes de la visite d’un musée qu’on découvre est que, une fois vus les joyaux du musée (ici, La Tour, Ingres et Courbet), on peut errer dans les salles, les yeux aux aguets, en prêtant une attention curieuse aux rencontres inattendues, sans se soucier des cartels ni des écoles. On fait ainsi des découvertes parfois étonnantes. Voici mon butin du Musée des Beaux-Arts de Nantes (outre deux expositions temporaires dont je parlerai dans les prochains jours).
D’abord ce tondo de
Jean-Léon Gérôme (déjà remarqué
ici),
Tête de femme coiffée des cornes d’un bélier (1853), dans un joli cadre orné de feuilles de lierre en relief. Elle a des
cheveux roux sensuels à souhait, la peau blanche de ses épaules semble appeler les caresses, une fourrure tout aussi rousse couvre son dos, sa chemise glisse et les deux petits boutons qui la retiennent sont tout prêts à sauter. Elle tient les yeux baissés, est-ce pudeur ou coquetterie ? Son nez grec est droit, son front bombé, ses sourcils arqués. Mais que sont ces cornes greffées sur son crâne ? Est-ce une mutante, une ménade dégénérée ? Rien, dit-on, dans la mythologie grecque n’atteste d’une telle pratique. Gérôme a laissé libre cours à ses fantasmes dans cette composition troublante, chargée d’érotisme et d’étrangeté.
Deuxième trouvaille, cette
Cène d’un anonyme français de la première moitié du 17ème siècle. Nous en avons vues, des Cènes, toutes plus ou moins selon la même composition frontale, le Christ au centre, les apôtres en ligne à ses côtés. Celle-ci ne se contente pas d’être encadrée par ce lourd rideau sombre aux bords blancs lumineux, qui fait de cette cène une scène. Mais surtout les convives y sont attablés comme d’anciens Romains, couchés (certes, ici, sur des tapis persans tout à fait anachroniques) autour de la table en losange. Calice et ciboire sont dans le puits d’ombre au centre de la table, alors que, partout ailleurs, l’éclairage est cru, faisant mieux ressortir le mystère central de la transsubtantiation. Un seul plat, du pain en morceaux. Et, pendant que Jean repose presque langoureusement dans le giron du Christ, celui-ci donne une hostie à Judas ! La plupart des apôtres, par leurs regards et par leurs mains tendues, font converger notre regard vers cette communion, même si ceux au premier plan devisent comme si de rien n’était. Cette confrontation de symboles, cette étrangeté de la mise en scène, de la composition attirent le regard vers ce tableau peu connu, et peu commun.
Enfin, dans ce troisième tableau, proche de
La Tour et des caravagesques, une
Déploration sur le Corps du Christ (deuxième moitié du 17ème siècle), attribuée à
Giacomo Farelli, on ne voit d’abord que des mains, trop de mains, des doigts soulignés par la lumière, se tordant vers le ciel: des excroissances surnuméraires qui font pendant aux pieds sombres du Christ. Ce n’est qu’ensuite qu’on distingue la pleureuse à la tête enveloppée d’un voile et qu’on comprend la scène, mais la première impression, à mi-distance, est étrange.
Trois tableaux inattendus, non pas des chefs d’oeuvre, mais de petits bijoux étonnants.
Photos 1 et 3 provenant de la base Joconde. Photo 2 (médiocre) de l’auteur (mais rien trouvé de mieux).