Il est un fait que des recours sont parfois déposés sans rapport avec la défense de l'intérêt général ou d'un intérêt particulier bien légitime. Certains recours n'ont d'autre but que procédurier ou, pire, d'obtenir une somme d'argent en contrepartie d'un désistement.
J'ai déjà écrit à plusieurs reprises sur ce blog à ce sujet.
La question posée par cette proposition est complexe et en soulève plusieurs autres.
En premier lieu, il convient de bien définir ce qu'est un recours abusif. Celui-ci l'est certainement lorsqu'un chantage financier est exercé. Celui-ci l'est également lorsque l'intérêt défendu par le requérant est totalement étranger à ses propres intérêts. Comme "nul ne plaide par procureur", je suis parfois stupéfait d'entendre des requérants demander l'annulation de décisions admiinistratives au nom d'intérêts totalement étrangers aux leurs...
En second lieu, il ne faut pas oublier que l'intérêt à agir d'un requérant qui demande l'annulation d'un acte administratif - tel un permis de construire - est apprécié de manière large par le Juge administratif. Ce procès administratif est en effet fait à un acte par une personne qui, par son action, est présupposée permettre à l'ordonnancement juridique de conserver sa cohérence. Il convient de s'interroger sur l'introduction d'une certaine "triangulation" à l'intérieur du procès administratif qui permette de mieux tenir compte des droits du bénéficiaire d'un acte administratif en appréciant plus strictement
En troisième lieu, le droit au Juge, s'il est parfois trop restreint en raison des coûts de procédure et de défense, ne saurait pas davantage être absolu. En matière de permis de construire l'intérêt qui s'attache à l'ouverture du prétoire aux victimes éventuelles d'un projet immobilier ne saurait l'emporter sur celui qui s'attache à la défense des droits
En quatrième, toutes les pistes qui ont été jusqu'à présent présentées pour lutter contre les recours abusifs n'ont jamais été jugées tout à fait satisfaisantes. Ainsi, réduire la durée de la procédure d'instruction de la requête n'a pas toujours grand sens dés lors qu'il convient tout de même de laisser à chacun le droit de présenter ses arguments. De même, systématiser le recours à l'amende pour recours abusif se heurte souvent, pour les Juges, au problème de la preuve du caractère abusif du recours. Enfin, je ne suis pas non favorable à ce que soit rendu obligatoire le recours à l'avocat, dés la première instance, pour le contentieux de la légalité.
Reste donc le mécanisme de la consignation qui est repris ici par les députés auteurs de la présente proposition de loi que je reproduis ci dessous. Dans son principe même, cette hypothèse ne me paraît pas devoir être écartée. En fonction du montant et des conditions de réalisation de la consignation, ce dispositif peut contribuer à l'équilibre entre les droits du requérant et ceux du bénéficiaire du permis de construire.
Ce dispositif n'est cependant pas sans défauts et le texte même de la proposition de loi le révèle.
Ainsi, la présente proposition de loi écarte le droit de se désister de son recours en cours d'instance. Ce droit doit être préservé car il est utile de toujours privilégier une issue amiable aux conflits qui se sont noués devant le Juge. Certes, garder le droit au désistement revient aussi à autoriser certains marchandages. Un débat doit donc s'ouvrir sur ce point.
En définitive, c'est bien un débat large et ouvert sur la lutte contre les recours abusifs qui devrait être ouvert en préalable à l'adoption de tout nouveau texte.
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N° 4373
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 février 2012.
PROPOSITION DE LOI
relative à l’encadrement des recours abusifs en matière de permis de construire,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Jean-Claude GUIBAL, Alfred ALMONT, Martine AURILLAC, Jean-Claude BOUCHET, Brigitte BARÈGES, Dominique BUSSEREAU, Loïc BOUVARD, Philippe BOËNNEC, Bruno BOURG-BROC, Jacques Alain BÉNISTI, Michel BOUVARD, Chantal BOURRAGUÉ, Patrice CALMÉJANE, Dominique CAILLAUD, Geneviève COLOT, Louis COSYNS, Dino CINIERI, Michel DIEFENBACHER, Paul DURIEU, Lucien DEGAUCHY, Olivier DOSNE, Jean-Pierre DUPONT, Olivier DASSAULT, Bernard DEFLESSELLES, Dominique DORD, Nicolas DHUICQ, Marc-Philippe DAUBRESSE, Camille de ROCCA-SERRA, Christian ESTROSI, Gilles D’ETTORE, Daniel FASQUELLE, André FLAJOLET, Marc FRANCINA, Arlette GROSSKOST, Claude GATIGNOL, Bernard GÉRARD, Louis GUÉDON, Michel GRALL, Christophe GUILLOTEAU, Jean-Pierre GRAND, Georges GINESTA, Gérard HAMEL, Françoise HOSTALIER, Jacqueline IRLES, Maryse JOISSAINS-MASINI, Geneviève LEVY, Dominique LE MÈNER, Jacques LE NAY, Jean-François MANCEL, Patrice MARTIN-LALANDE, Christian MÉNARD, Jacques MYARD, Étienne MOURRUT, Renaud MUSELIER, Jean-Marc NESME, Jacques PÉLISSARD, Yanick PATERNOTTE, Michel PIRON, Henri PLAGNOL, Josette PONS, Bernard PERRUT, Didier QUENTIN, Bernard REYNÈS, Frédéric REISS, Jean-Marc ROUBAUD, Max ROUSTAN, Michel RAISON, Jean-Marie SERMIER, Fernand SIRÉ, Alain SUGUENOT, Jean-Pierre SCHOSTECK, Éric STRAUMANN, Paul SALEN, Dominique TIAN, Guy TEISSIER, Yves VANDEWALLE, Jean-Sébastien VIALATTE, Philippe VITEL, Michel VOISIN, André WOJCIECHOWSKI, Jean-Pierre MARCON, Patrick BALKANY et Éric RAOULT,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le nombre de recours à l’encontre des autorisations d’urbanisme (permis de construire ou déclaration de travaux) est en constante augmentation, ce qui entraîne une surcharge des tribunaux administratifs français.
En effet, ces recours sont accessibles à toute personne ayant un intérêt à agir et la constitution d’avocat n’est pas obligatoire s’agissant d’un contentieux de la légalité.
C’est pourquoi, il est aisé de contester une autorisation d’urbanisme, et les recours dits abusifs ont alors tendance à se multiplier.
Malgré les efforts considérables des tribunaux pour réduire les délais moyens de traitement des affaires, ce délai était de 11 mois en 2010, et il varie considérablement, passant du simple au double, en fonction des juridictions.
Ces recours devant les juridictions administratives représentent un coût important pour les collectivités, et ce même si ces dernières peuvent assurer elles-mêmes leur défense. Ainsi, il n’est pas rare pour les communes d’avoir recours à des spécialistes du droit ou des métiers de l’urbanisme pour les accompagner dans la gestion de ces contentieux.
Il est utile de préciser que, même si les recours en matière administrative n’ont pas d’effet suspensif, il est fréquent de voir les chantiers s’interrompre durant la période d’instruction des dossiers dans l’appréhension d’une défaite en fin de procédure.
En effet, par crainte d’avoir à détruire les constructions entreprises en cas d’annulation de l’autorisation d’urbanisme, les bénéficiaires mettent souvent leur projet en attente, retardant ainsi la mise en œuvre des travaux et entraînant généralement d’importants surcoûts.
Ainsi, les recours abusifs devant les juridictions administratives ont des conséquences néfastes pour tous : pour les tribunaux qui se trouvent alors engorgés, pour les collectivités qui augmentent alors leur charge et leur coût de travail et pour les administrés qui perdent en sécurité du service public.
Afin de limiter ces recours, des règles spécifiques ont été introduites.
Le code de la justice administrative permet au juge d’infliger une amende, dont le montant peut aller jusqu’à 3 000 euros, à l’auteur d’une requête qu’il estime abusive. Cependant, l’amende n’est que très rarement prononcée par le juge à l’encontre de l’auteur d’une requête abusive.
Il convient de responsabiliser les requérants dans la présentation de leurs recours et de lutter contre un acharnement procédural nuisible à l’ensemble de la société.
La présente proposition de loi vise à instaurer une consignation comme élément nécessaire à la recevabilité de la requête. Le montant de la consignation, variable selon l’importance des réalisations autorisées par le permis de construire, est déterminé selon un barème et des modalités établis par décret.
Ce texte prévoit en outre que si le requérant se désiste en cours de procédure ou en cas d’extinction de la procédure pour un autre motif dans l’année suivant l’enregistrement du recours, la consignation ne lui est pas restituée.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Après l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, il est inséré un article L. 600-1-2 ainsi rédigé:
« Art. L. 600-1-2. – L’auteur d’un recours juridictionnel exercé à l’encontre d’un permis de construire doit justifier du versement préalable d’une consignation. L’enregistrement de ce recours par la juridiction administrative compétente est subordonné à la production d’un reçu justificatif de la consignation.
« Le montant de la consignation, variable selon l’importance des réalisations autorisées par le permis de construire, est déterminé selon un barème et des modalités établis par décret.
« La restitution de la consignation intervient au terme du prononcé du jugement.
« Si le requérant se désiste en cours de procédure ou en cas d’extinction de la procédure pour un autre motif dans l’année suivant l’enregistrement du recours, la consignation ne lui est pas restituée. »