La décentralisation épuisée

Publié le 18 mars 2012 par Egea

J'ai assisté il y a quelques semaines à un débat sur les territoires. Cela m'a agacé à plusieurs reprises mais aussi intéressé grâce à des idées nouvelles et des points de vues nouveaux (pour moi). Voici quelques réflexions que j'en tire. Et tout d'abord le constat de l'épuisement de la décentralisation : pas seulement due à des raisons politiques, contrairement à ce qu'on croit trop souvent.

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1/ Constatons tout d'abord qu'au-delà de tous les discours et de toutes les dispositions institutionnelles mises en place depuis 1982, la décentralisation s'affaiblit.

2/ On observe tout d'abord une sorte de concurrence des régions,qui veulent toutes affirmer leur rôle, aussi bien à Paris qu'à Bruxelles, avec des succès divers.

3/ Surtout, la réalité du pouvoir économique réside à Paris : c'est un des effets de la révolution des transports, mais aussi de la mondialisation, qui est à la fois un mouvement d'internationalisation économique, et le résultat des techniques de communication informatique. On a ainsi assisté à une concentration des entreprises. La France a ainsi privilégié une logique de grand champion, afin de durer dans la concurrence internationale. Désormais, les centres financiers et décisionnels se trouvent tous à Paris. Les patrons de province viennent une fois par semaine à Paris. Les centres déplacés en région n'ont finalement qu'une faible autonomie décisionnelle, et rapportent très vite "au siège". Du coup, pour obtenir la décision favorable, il faut monter à Paris, de façon beaucoup plus fréquente qu'autrefois.

  • Ainsi, la modernité a resserré le territoire. Celui-ci était autrefois beaucoup plus distendu, et permettait donc une décentration de fait.

4/ Ajoutons que la France est, d'une certaine façon, trop riche : comme elle a les moyens, elle refuse de choisir et accorde tout à tous. C'est très égalitaire (donc très français) mais pas forcément très efficace, puisque par conséquent cela implique de ne pas faire de choix territorial. L'aménagement du territoire ne signifie pas qu'il faille installer des pêcheries au cœur du Massif Central, au motif qu'il y en a en Bretagne. C'est pourtant, peu ou prou, ce qu'on a fait. Dès lors, on refuse de mettre en place des spécialisations, ou même d'accepter des destructions créatrices schumpéteriennes.

5/ Il y a toutefois des difficultés liées à l'organisation institutionnelle du territoire :

  • il est probable que le cumul des mandats empêche une saine répartition des responsabilités entre le député (élu de la nation et non pas d’un territoire : il est néfaste d'entendre sans cesse parler de "député-maire") et l'élu local. L'un devrait s'occuper, comme l'indique son mandat, des affaires nationales, l'autre des affaires locales. Cela redonnerait d'ailleurs du sens au sénat, qui représente justement les collectivités territoriales.
  • ensuite, le refus de choisir a suscité une multiplication délétère des échelons : outre la commune et le département, on a ajouté l'intercommunalité et la région. Constatons que l'intercommunalité a entraîné une augmentation incroyable des budgets (et des fonctionnaires) alors que le chef de l’intercommunalité n'est pas élu : autrement dit, une couche "fonctionnelle", technocrate et pas vraiment démocratique, qui avait été pensée pour économiser (puisqu'on allait partager) et qui a dans les faits conduit à l'inverse : augmenter les dépenses. La France, championne du monde des ronds-points à l'entrée des villages !

6/ Puisque l'on refuse de choisir, on laisse les décisions se prendre par une sorte de concurrence économique, et non par choix politique. En abandonnant l'aménagement du territoire (et donc non seulement la décision, mais l'impopularité de la décision et l'opprobre traditionnelle du Paris et le désert français, comme si le diagnostic de 1947 avait encore du sens), on laisse les régions se bagarrer dans la chasse aux subventions, avec une sorte d’émiettement des crédits qui favorise autant, sinon plus, le pouvoir central.

7/ Je n'ai pas aimé entendre des expressions comme "souveraineté territoriale", "redonner le pouvoir de l'impôt", "rendre la capacité normative aux régions".

8/ En fait, je suis assez gêné par les régions qui ont une identité qui se superpose (plus ou moins exactement) avec celle d'ancien régime (Bretagne, Corse voire Alsace). Remarquons qu'elles sont toutes excentrées.

  • Surtout, puisqu'elles sont trop petites, regroupons : plutôt qu'une région Bretagne, une région grand ouest (Bretagne et pays de Loire et basse-Normandie), une grand nord (Nord-Pas de Calais et Picardie), une Alsace Lorraine, une région Centre ouest (Bourgogne + Comté), etc... Des grands machins assez hétérogènes pour qu'il n'y ait pas de processus d’identification.
  • Et bien sur, un vrai grand Paris, joignant l'IDF à la Haute-Normandie, faisant du Havre l'avant-port de Paris et le grand port français. Sinon, le grand port de Paris sera Rotterdam., comme l'indique la rénovation du canal du Nord actuellement décidée.

9/ Pour finir, une question : le territoire est-il le lieu du "réseau" ? surtout si l'on considère que le réseau est la caractéristique du 21ème siècle ...

O. Kempf