Nicolas Sarkozy a le triste privilège d’être un des rares hommes politiques dont le nom a inspiré un titre non pas de doctrine politique, mais de mouvement de colère et d’exaspération. Si on voit à peu près ce qu’est un sarkozyste, on ne peut pas dire que la notion de sarkozysme soit très claire, au bout de 5 ans de mensonges, de revirements et de promesses non tenues. En revanche, chacun voit et ressent très bien ce qu’est l’anti-sarkozysme. La chose est même tellement évidente qu’elle est devenue un leitmotiv pour les responsables de l’UMP, toujours prompts à condamner « l’anti-sarkozysme primaire », fustigé comme une perversion haineuse du débat politique raisonné et raisonnable.
Que n’a-t-on pas entendu à ce sujet depuis quelques mois, les échéances électorales se rapprochant ! « Le PS prouve en tout cas sa volonté de faire de la campagne un concours d’anti-sarkozysme primaire » (Guillaume Peltier). « une étape supplémentaire dans l’antisarkozysme érigé en stratégie politique » (Franck Riester). Martine Aubry qui « croit devoir faire de l’anti-sarkozysme primaire » (Frédéric Lefebvre). Généralement, la dénonciation s’accompagne d’une accusation : celle de s’acharner sur le Président sortant pour mieux cacher le vide de son propre programme. « Ceux qui ont fait de l’antisarkozysme le seul argument de leur campagne », fustige ainsi François Fillon au meeting de Villepinte, quand Valérie Pécresse condamne à l’identique un François Hollande qui voudrait faire de « l’anti-sarkozysme la seule arme de l’élection et le seul argument de sa campagne ». L’anti-sarkozysme primaire – la critique obsessionnelle et compulsive du candidat de l’UMP – serait donc en fait le cache-misère et le révélateur d’un manque criant d’idées.
Je me suis amusé, si je puis dire, à consulter le discours de Nicolas Sarkozy à son meeting de Lyon, dont le texte est disponible sur le site de l’UMP. Il suit un plan très marqué : (1) comment le Général de Gaulle a conçu l’élection du Président de la République ; (2) ce que, par conséquent, on n’a pas le droit de faire durant une campagne présidentielle (cacher son programme ou le modifier tout le temps), avec un portrait en creux de la campagne de François Hollande ; (3) François Hollande « joue » avec les Français et ne les « respecte » pas ; (4) François Hollande refuse le « débat » et la « vérité » le « gêne » ; (5) « dire la vérité » au Français, c’est leur dire ce qu’il faut travailler plus, plus longtemps et que l’État dépense moins ; (6) la gauche ne dit pas la « vérité » aux Français ; (7) la gauche a commis « tant de fautes » qu’elle n’a pas à « donner de leçons » ; (8) « les socialistes veulent nous faire croire qu’ils ont changé. Mais ils n’ont pas changé. » ; (9) « Mon projet pour les Français » ; (10) la France « a un rôle décisif à jouer dans le monde », elle l’a prouvé durant le dernier quinquennat de Sarkozy.
Ce plan est assez éloquent, mais les chiffres le sont encore plus. Sur un document de 32 246 caractères, seuls 2065 sont consacrés au projet présidentiel, soit un peu plus de 6%. Si on considère que les éléments de bilan prennent à peu près autant de place dans le texte, on se retrouve donc avec un discours tourné à 90% vers la critique – violente – de François Hollande et de la famille politique qu’il représente. La comparaison avec le dernier grand discours de François Hollande, à Marseille, est sans appel. Sur 49 487 caractères, 7125 (14%) sont consacrés à la critique de la droite et de Nicolas Sarkozy. Soit une proportion à peu près exactement inverse. Quand François Hollande utilise les 9/10èmes de son temps de parole pour présenter sa candidature, Nicolas Sarkozy utilise une aussi grande proportion du sien … pour critiquer François Hollande.
Il faudrait donc, si je suis la logique des dirigeants de l’UMP, inventer le concept d’anti-hollandisme primaire, dont le principal représentant serait Nicolas Sarkozy. Un mélange d’insultes (le « misérable » accord entre le PS et Europe Écologie, adjectif ne figurant par sur le discours écrit mais ajouté à l’oral par un Sarkozy emporté par sa fougue), de mensonges (le PS qui voudrait « régulariser massivement les clandestins ») et d’insinuations (« Je veux le dire aux ouvriers de la sidérurgie : certains de vos syndicats préfèrent faire des coups politiques plutôt que de défendre vos emplois »). Peut-être Nicolas Sarkozy devrait-il se remémorer sa propre analyse de ce type de discours en 2007 (à 0:40 sur la vidéo ci-dessous) :
« Quand des candidats n’ont pas d’idées, quand ils n’ont pas d’arguments, quand ils n’ont aucune conviction, quand ils croient en rien, et que de surcroit ils ne travaillent pas, alors ils n’ont d’autre recours, que l’insulte, le mensonge, et l’insinuation ».
Romain Pigenel