« Quelle question débile ! » se lamente Busdriver, lorsque le plus honnêtement du monde et à la faveur d’une lecture plutôt objective de l’histoire du genre nous lui demandons si le rap ne serait pas mort. À cette formulation quelque peu brutale et provocatrice, on espérait une réponse éclairante de celui qui, à la fin des années 90 – époque avènementielle d’un genre sur le point de se fourvoyer dans l’exacerbation éhontée de ses travers – tournant justement le dos à la facilité et l’uniformisation ambiante, étonnait par son flow off-beat à la cadence hors-norme. C’était une époque bénie pour l’auditeur attentif à l’évolution du rap underground, une petite dizaine d’années durant lesquelles le double H connu dans ses marges son acmé stylistique. Seulement ce genre, célèbre pour ses penchants à l’insoumission, ses remises en cause sonores et ses velléités contestataires, a cédé face aux regards insistants du business et aux courbes de tendance. Pis, ce dernier jadis généreux avec l’avant-gardisme de la rue – véritable source d’idées et d’énergie dans laquelle il puisait généreusement pour se renouveler – s’en est peu à peu détourné, jetant en impudent renégat un large voile d’ignorance sur tout un pan de son activité souterraine. Certains, au regard des évènements récents, diront tout comme « Bus » que j’ai tort. Pour autant, les Dany Brown, Schoolboy Q, A$SAP Rocky, Yealawolf… ces nouveaux agiteurs du rap que le magazine Spin se plaît d’appeler « New Underground » ne sont en rien novateurs. Leurs clins d’oeil au rock, leur goût pour les sons électroniques sales et rugueux, leurs postures introspectives et leurs inclinations pour l’abstract sont autant de caractéristiques largement utilisées par tout une ribambelle d’artistes trop peu écoutés (Big Juss, Labwaste, Edan, Canibal Ox, Thavius Beck, Dose One…). Voilà pourquoi le rap est mort, « Bus », et ce n’est en rien ta faute à toi qui, d’album en album, s’est évertué à le réanimer. Il nous faut donc nous pencher sur le septième album de la discographie de l’Angelinos en occultant ces circonvolutions éditoriales, et l’apprécier pour ce qu’il est, à savoir le disque honnête et généreux d’un artiste enfin apaisé. Et si au passage ce dernier fait mentir mes précédents propos, c’est tout simplement parce qu’il n’est pas qu’un disque de hip-hop. Oubliant d’une part sa verve rapologique et ses expérimentations élitistes de la première heure et d’autre part les côtés abordables mais inégaux de ses trois derniers disques, Busdrivrer réussit pour la première fois à faire cohabiter son besoin d’expérimenter et son désir de plaire. Album ramassé et d’une rare cohérence pop, Beaus$eros est rempli de productions soignées et d’intentions légères et acidulées dans lesquelles nous avançons aisément et sans nous lasser.
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Tracklist
Busdriver – Beaus$Eros (2012, Fake Four)
1. Utilitarian Uses of Love
2. Bon Bon Fire
3. Kiss Me Back to Life
4. You Ain’t OG
5. NoBlacksNoJewsNoAsians
6. Picking Band Names
7. Beaus & Eros
8. Feelings
9. Ass to Mouth
10. Electric Blue f/ Sierra Cassidy of CocoRosie, Mike Ladd, Joëlle Phuong Minh Lê
11. Here’s to Us
12. Colour Wheel
13. Swandive into a Drinking Glass
14. Scattered Ashes