Charlac a écrit... le 16 mars 2012
Et j'ai fait ce commentaire...
Si La Boétie était encore là...
J’aimerais réagir à ton article en apportant une autre dimension au thème, ou concept d’aliénation, soit celui de la servitude volontaire de La Boétie
Boétiens et Béotiens (le béotien est prodigieux d’admiration stupide) ? Oui, ne sommes-nous pas ainsi liés sans y réfléchir – donc stupidement - à ce quelque chose d’intangible qui fait que nous soyons si aveugles de notre aveuglement ?
Ici, je cite Discours de la servitude volontaire dans Wikipédia : (c’est un peu long, mais cette introduction est utile avant d’aborder – celui ou celle qui le voudrait - le texte intégral du discours de La Boétie)
« La puissance subversive de la thèse développée dans le Discours ne s’est jamais démentie. Même s’il serait anachronique de la qualifier d’anarchiste, cette thèse résonne encore aujourd’hui dans la réflexion libertaire sur le principe d’autorité. Le jeune humaniste sarladais recherchait une explication à l’étonnant et tragique succès que connaissent les tyrannies de son époque. S’écartant de la voie traditionnelle, La Boétie porte son attention non sur les tyrans mais sur les sujets privés de leur liberté. Et il pose une question troublante : comment peut-il se faire que « tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent ? ». Si pour éviter la censure, les exemples sont tirés de l’Antiquité, la réflexion porte bien sur son époque, dans un pays où le poids du pouvoir monarchique se renforce.
L’originalité de la thèse de La Boétie est contenue tout entière dans l’association paradoxale des termes « servitude » et « volontaire ». Il établit ainsi un modèle de la servitude, des causes de son apparition à celles de son maintien qu’il s’agit d’établir ici.
Un point de vue : La Boétie, en énonçant son discours, ne se positionne pas comme maître à penser, ni comme détenteur de la vérité : ceux qui affirment détenir la vérité sont en vérité ceux qui détiennent la maîtrise. Ce qui est vrai, c'est la compréhension singulière qu'on a du texte ; pour accéder à la liberté, il faut n'être ni maître ni esclave. C'est à un relativisme sceptique que le Discours invite à penser; question de point de vue ».
J’ai toujours été fasciné – plus qu’étonné - par des images de foule en délire :
- qui, des fans à un spectacle (Woodstock); - qui, des fans et leur leader (Hitler); qui, des militants à un congrès de rassemblement ; - qui, des travailleurs en grève en France; qui, des adeptes d’une religion à une messe de rassemblement moral ; - qui, des populations (dont les croyances en des « lamentations criardes et publiques » sont si vénérées) qui s’exposent dans la rue à l’œil, et au mirage (il y a un effet d’optique évident qui est recherché, et qui doit être transmis au cerveau de l’adepte à cette croyance, comme étant la « vérité » de l’instant vécu), et, dans mon cas, à un étonnement que je ne sais ni sonder, ni qualifier, ni comprendre ; - qui, des groupes de gens, qui sans doute dans une sorte d’exutoire (on veut sortir de la gêne d’un événement, ou d’une situation ; ou tout simplement, on veut vivre intensément quelque chose, on veut fêter « full » ; ou encore, on est révolté « full » contre une situation, comme les Syriens de ce temps-ci), vont, publiquement, commettre tous les excès possibles (cris de rage, bris, vandalisme, attaques sur des personnes ; mais aussi chants et cris de joie, jeux et manifestations particulièrement, sinon, extrêmement dangereux); qui, des QUÉBÉCOIS en fête.
Bref, je suis souvent étonné par ces expressions publiques; mais je crois qu’à chaque fois, je « comprends » quelque chose, que je ne sais pourtant pas expliquer, je veux dire, raisonner.
Mais je n’ai pas les mots pour le dire.
Je lisais ce matin, dans le Monde des Livres, un article au sujet d’une « Tokyoïte à Berlin ». Née à Tokyo en 1960, Yoko Tawada vit en Allemagne depuis 1982.
Elle cite Barthes : « Connaître une langue étrangère (étrange) et cependant ne pas la comprendre ». Ce qui est étrange, me dis-je alors, devant ces expressions publiques dont je parlais, c’est de voir, et aussi de ne pas voir, de ne pas voir « vraiment » ce qui se cache et qui m’est étranger, au sens où je ne fais pas partie de cette étrangeté, de cette culture, disons-le comme ça. Je ne sais pas comprendre ce que je ne peux expliquer. Est-ce ça ?
Dans le même journal, je lisais aussi un texte d’Amélie Nothomb qui fera bientôt un retour au Japon.
Elle écrit : « Mes batteries sont presque complètement déchargées, il est grand temps de retourner à la source. A la source de quoi ? C'est la question à 10 milliards de yens. Le monde entier s'accorde là-dessus : là-bas (au Japon), il y a quelque chose. Mais quoi ? Si l'on me demande ce que moi je vais chercher au Japon, je n'ai aucun mot pour le dire. »
Voilà pour moi ce qui me chamboule : on sait, on ne sait pas ; on voit, on ne voit pas ; on comprend, on ne comprend pas. Tout cela est possible : est-ce possible ?
Et si je reviens à ces expériences qui me chamboulent, que puis-je ajouter ? Pourquoi en est-il ainsi, pourquoi des gens – on les imagine tous très corrects, très droits, très comme il faut - il n’y a pas lieu de penser autrement – alors, quoi ? Que peuvent signifier ces « manifestations publiques quasi excessives, portées à une expression extrême » ? Pourquoi suit-on un leader charismatique ? pourquoi suit-on une idéologie ? pourquoi s’abandonne-t-on à un délire (je devrais sans doute dire « croyance forte ») religieux ? Oui, pourquoi est-on béotiemment Boétiens ? On accorde à un leader, à un discours, à une idéologie, à une religion... une croyance telle en ce qu’ils n’ont peut-être pas, et nous nous faisons les esclaves volontaires, les servants sympathiques, domestiqués et dévoués, de ce qu’ils avancent et que nous prenons pour argent comptant. Nous assumons... si je veux utiliser une expression moderne.
Il faut relire le texte de La Boétie, - et c’est drôle, il n’avait que 18 ans quand il a écrit son propos – pour comprendre des raisons « possibles » à l’assujettissement volontaire de quelques-uns à une personne, ou à une idéologie, ou à une religion, à une fête publique, à une croyance.
La Boétie dit : on peut être contraints, fascinés, ensorcelés, en devoir, lâches, en danger, et ainsi, « s’asservir et se couper la gorge », parce que, comme la branche sèche de l’arbre sec, « n'ayant plus de suc ni d'aliment à sa racine, notre personne devient sèche et morte ». L’homme ayant alors perdu tout amour propre, tout goût de vivre, toute « liberté », devient « aveugle à son propre bien », et complice de ce qui fait son malheur.
Pour La Boétie, il n’y a qu’une seule porte de sortie : « Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres ». Et parce « qu'il y a dans notre âme un germe naturel de raison », et parce que la nature nous a créé tous égaux et, « plutôt frères », laissons « l’habitude prise », et soyons résolus de le faire, de nous libérer. Et, on le sait, il n’est pas aisé de se faire libre, pas aisé de s’abstraire ou de se déprendre de sa culture, celle à laquelle on s’est habitué si authentiquement.
À propos de culture, La Boétie a cette anecdote : « On raconte que Lycurgue, le législateur de Sparte, avait nourri deux chiens, tous deux frères, tous deux allaités au même lait. L'un était engraissé à la cuisine, l'autre habitué à courir les champs au son de la trompe et du cornet. Voulant montrer aux Lacédémoniens que les hommes sont tels que la culture les a faits, il exposa les deux chiens sur la place publique et mit entre eux une soupe et un lièvre. L'un courut au plat, l'autre au lièvre. Et pourtant, dit-il, ils sont frères ! » Chacun portait ce « quelque chose en soi » qui le conduisit là où il croyait devoir aller. Ce quelque chose peut être contraint ; il peut aussi être libre.
Pour La Boétie, on nait « serfs » ; il est difficile de naître autrement. On nait dans une famille, on grandit dans une école, on vit dans une société, on suit les lois : ces institutions nous guident, nous forment, nous contraignent. Qui peut dire qu’il ne se soumet à aucune d’elle ? Personne n’a le choix, dit-on si facilement. Chacun s’avachit ainsi. C’est dommage.
« Même les boeufs, sous le joug, geignent, et les oiseaux, en cage, se plaignent ».
Alors faisons au moins cela, récriminons, protestons, revendiquons contre tous ces jougs qui nous amoindrissent et nous rapetissent; et allons plus loin, cessons geignages, niaiseries, jérémiades, plaintes, gémissements et lamentations ; et soyons résolus de tout changer et de recouvrer notre liberté. C’est le message – comme je le comprends - d’Étienne de La Boétie, écrivain humaniste et poète français né le 1er novembre 1530 à Sarlat et mort le 18 août 1563 à Germignan, dans la commune du Taillan-Médoc, près de Bordeaux, qui nous a enseigné "l'inservitude" il y a déjà de ça des centaines d’années.