James Rosenquist, The Swimmer in the Econo-mist 3, 1997-1998
L'exposition sur l'avant-garde américaine (1945-1980) à partir des collections du Guggenheim, au Palais des Expositions à Rome (jusqu'au 6 mai) est synthétique, didactique et ennuyeusement bien faite. On a le sentiment de feuilleter un excellent livre d'histoire de l'art avec des chefs d'oeuvre reconnus (à 85% de la peinture, d'ailleurs), d'avoir en somme une expédition en kit, un raccourci représentatif de ces 35 années. Rien à redire, sinon qu'on aurait aimé un peu plus de fantaisie, de surprises, et aussi un peu plus de réflexion sur le rôle des collectionneurs et des musées, et en particulier de ce Musée : par exemple, la création de la collection minimaliste du Comte Giuseppe Panza di Biumo à Varèse et sa récupération par le Guggenheim aurait fait un chapitre d'histoire muséale intéressant (mais controversé ?); ou bien la dialectique et les tensions entre Solomon et Peggy, entre leurs collections et leurs choix en tout cas. De même, le rôle politique de l'avant-garde américaine, son utilisation dans le cadre de la guerre froide, sa diffusion comme modèle américain du monde libre auraient pu être explorés avec intérêt.
Jackson Pollock, Untitled (Green Silver), ca 1949
Mais non, on se contente d'oeuvres superbes et de sections bien définies, chacune avec son école, son chef d'oeuvre au fond de la salle et quelques autres sélections de grade qualité sur les murs latéraux. Les antécédents des années 40 montrent la libération du modèle européen et la définition d'un art américain (c'est d'ailleurs la section la moins bien argumentée, me semble-t-il) avec un tableau 'indigène' de Pollock (Circumcision, 1946) au fond, mais aussi un très beau Clyfford Still (Jamais, 1944). La salle suivante présente la New York School et l'éphémère galerie de Peggy (Art of this Century, de 1942 à 1947 seulement) sous l'égide d'une des élégies à la République espagnole de Motherwell (la n° 110, de 1971), mais aussi Rothko, Pollock (Untitled (Green Silver), vers 1949), de Kooning.
De là, on explore l'abstraction géométrique proprement dite, 'Hard Edge', avec Morris Louis, Ellsworth Kelly et surtout Frank Stella (Harran II, 1967). La salle suivante est consacrée au Pop Art, de Rauschenberg à Warhol et à Lichtenstein, et elle comprend quelques développements plus récents dont cette surprenante toile centrale de James Rosenquist, The Swimmer in the Econo-mist (painting 3), datant de 1997-98 (en haut).
Richard Estes, The Solomon R. Guggenheim Museum, 1979
La cinquième salle est dédiée aux minimalistes, Judd, Flavin, Andre, la collection Panza justement, avec aussi, dans la rotonde, très haut, à peine visible en lettres d'argent, une expression bilingue funèbre de Lawrence Weiner : Earth to earth, Ashes to ashes, Dust to dust. La septième sera consacrée au mouvement photo-réaliste, héritier adouci et hyper-réaliste du pop, avec, en particulier, ce tableau d'auto célébration de Richard Estes, The Solomon R. Guggenheim Museum, 1979.
Robert Smithson, Yucatan Mirror Displacements 1-9, 1969
Voici donc une critique aussi ennuyeuse que l'exposition, direz-vous. Sauf que, dans la salle n°6, j'ai enfin vibré, j'ai enfin trouvé des pièces à regarder autrement qu'avec respect et froideur studieuse, des pièces à partager, j'ai enfin éprouvé du plaisir, dans cette salle dite 'post-minimale / conceptuelle'. Du plaisir à marcher dans l'installation de Bruce Nauman, corridor étroit et étouffant où le visiteur, filmé de dos, voit son image sur un des deux moniteurs devant lui (Live-Taped Video Corridor, 1970). Du plaisir, et de la complicité aussi, à suivre le protocole déambulatoire de Douglas Huebler (Duration Piece #5, Amsterdam, Holland, January 1970) où un texte documente les douze photographies : avancer droit devant pendant 30 minutes, puis tourner à droite, puis avancer droit devant pendant 15 minutes, puis tourner à droite, puis avancer droit devant pendant 7 minutes 30 secondes, puis... jusqu'au plus petit segment de 0.8 secondes, s'approchant asymptotiquement de l'heure au total (59 minutes, 59.12 secondes); je suis fasciné par la rigueur conceptuelle de ce travail sur le temps et l'espace. De la fascination aussi devant ces 9 photographies de miroirs disséminés dans la nature (sable, herbe, plantes) et ne reflétant que le ciel vide, de Robert Smithson (Yucatan Mirror Displacements 1-9, 1969), miroir du voyage de Smithson au Yucatan, écho des miroirs d'obsidienne pré-colombiens.
Pourquoi ? Pourquoi le reste de l'exposition n'a-t-il touché que ma tête, pourquoi l'ai-je trouvé didactique et insipide, et pourquoi seuls ces artistes conceptuels m'ont-ils ramené au monde présent, à aujourd'hui ?
Photos 1, 2 & 3 courtoisie du Palais des Expositions de Rome et du Solomon R. Guggenheim Museum, New York. Rosenquist, Pollock et Smithson étant représentés par l'ADAGP, les photos de leurs oeuvres seront ôtées du blog à la fin de l'exposition.