A propos de 38 témoins de Lucas Belvaux 3 out of 5 stars
Nicole Garcia, Yvan Attal
Au Havre, une nuit, une jeune femme est sauvagement assassinée devant son immeuble. Personne n’a rien vu, rien entendu. 38 personnes au total, atteints soudain de surdité, d’aveuglement ou d’amnésie. Pierre, lui, est sûr d’avoir tout vu et entendu cette nuit-là. Comment aurait-il échapper aux cris déchirants d’une femme qu’on assassine devant chez lui ? Seul, il décide de témoigner contre les 37 autres et d’en assumer les conséquences. Toutes les conséquences…
Adaptation d’un roman de Didier Decoin, Est-ce ainsi que les femmes meurent (éditions Fasquelle et Grasset), 38 témoins est un faux polar, prétexte à une étude psychologique, sociologique et comportementale brillante d’où il ressort que l’âme humaine est non seulement complexe et mystérieuse (ce n’est pas nouveau) mais nos réactions incompréhensibles parfois devant les évènements.
La grande force de 38 témoins est de poser des questions. Et de les poser intelligemment. Sans moralisme. Par un procédé filmique extrêmement rigoureux, une mise en scène très lente qui privilégie les dialogues (un peu sur-écrits parfois), le 9ème film de Lucas Belvaux (auteur de l’excellent Rapt, 2009) parvient à nous faire s’interroger sur ce que nous aurions fait (ou pas) nous-mêmes à la place de ces 38 hommes et femmes.
Aurions-nous réagi immédiatement ou fermé les yeux ? Qu’est-ce qui prouve que nous serions descendus dans la rue ? N’aurions nous pas plutôt fermé les rideaux pour ne pas voir ? Sommes-nous des lâches ? Ni plus ni moins sans doute que ces 38 témoins.
Pierre (impeccable Yvan Attal, visage de marbre qui se fissure peu à peu) est un capitaine de bateau taiseux qui cache dans un premier temps à sa femme, absente la nuit du meurtre, la vérité. Il dit qu’il est rentré tard du port et après que le corps de la jeune femme ait été découvert par la police. Il ment, ce qui donne lieu à l’une des plus belles scènes du film, un monologue poignant dans lequel il confesse à sa femme (Sophie Quinton, sourire bizarre et ambigu) qui dort qu’il a tout vu et entendu.
La question n’est pas celle d’un éventuel sentiment de culpabilité de Pierre (il n’aurait pas pu arriver à temps de toute façon pour sauver la victime) mais du courage qu’il lui a fallu pour dire la vérité aux policiers et affronter le regard accusateur de ses voisins.
Car en avouant qu’il a assisté impuissant comme les autres à toute la scène, Pierre se condamne aussi à tout perdre et à devenir non seulement le paria du quartier mais celui avec qui même sa femme ne pourra plus rester. Etrange réaction humaine et collective lorsque l’on se dit qu’il est le seul a faire preuve de courage.
Interprété par d’excellents comédiens (dont Natacha Régnier, Nicole Garcia, Didier Sandre), 38 témoins évoque par plusieurs aspects Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan, qui s’inspirait aussi d’un fait divers et d’une pseudo enquête policière pour dresser le portrait d’un médecin déprimé en pleine remise en question. Chez Bilge Ceylan, les discussions entre le médecin et un procureur turc traduisaient des questionnements existentiels, des interrogations sur la complexité du genre humain, de l’âme et de certains comportements qui les laissaient dubitatifs et pantois.
Chez Belvaux, les mêmes questions reviennent par la bouche encore une fois d’un procureur (irréprochable Didier Sandre) très tchekhovien et un brin blasé quand il découvre les faux témoignages des 37 témoins (dialogues avec une journaliste jouée par Nicole Garcia). Si c’est bien d’étrangeté dans les comportements humains dont il s’agit dans 38 témoins, cette étrangeté laisse d’autant plus perplexe et paniqué que nous n’aurions sans doute fait preuve de plus de courage que ces 38 Havrais…
http://www.youtube.com/watch?v=bSGy4aCKZvA
Film franco-belge de Lucas Belvaux avec Yvan Attal, Sophie Quinton, Nicole Garcia, Natacha Régnier, Didier Sandre (01 h 44).
Scénario de Lucas Belvaux d’après l’œuvre de Didier Decoin : 3.5 out of 5 stars
Mise en scène : 3.5 out of 5 stars
Acteurs : 3.5 out of 5 stars
Dialogues : 2 out of 5 stars
Compositions de Arne Van Dongen : 4 out of 5 stars