Nous devons surtout nous garder, en nous abusant sur le terme de prêtres, de les considérer comme les dépositaires d'une vérité révélée qui ferait d'eux une secte à part, vivant en marge de la société et ne s'y risquant que pour entraîner les foules, par des sermons passionnés, à une vie morale plus riche ou plus active.
Serge SAUNERON
Les prêtres de l'Egypte ancienne
Paris, Edition Perséa
pp. 40-1 de mon édition de 1988
Avant de poursuivre notre évocation des offrandes accordées à Metchetchi représentées sur les différentes parois de son mastaba et que concrétisent pour nous, ici, dans la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, quelques-uns des quarante-trois fragments peints sur mouna, j'aimerais à présent, amis lecteurs, m'attarder sur un détail qui ne vous aura certes pas échappé, mentionné lors de notre rencontre de ce mardi : j'y avais en effet fait allusion à des prêtres-lecteurs que l'on voit dans certaines tombes - notamment à Saqqarah, celle de Mererouka, un des vizirs du roi Téti, à la VIème dynastie -, réciter les formules rituelles sur la bête sacrifiée.
Non pour cette raison précise, mais semblables officiants, parmi d'autres prêtres funéraires, furent aussi convoqués par Metchetchi, qui défilent ici
devant nous.
Toutefois, avant de leur consacrer plus spécifiquement notre prochain rendez-vous, il m'agréerait ce matin, en guise de préambule, d'évoquer pour vous de manière générale la caste sacerdotale de l'Égypte antique.
Est-il vraiment besoin de souligner qu'à l'instar du terme "temple", fort éloigné de la fonction d'accueil des fidèles de nos églises actuelles, il ne s'agit nullement d'interpréter celui de "prêtre" à l'aune de notre vocabulaire contemporain ? De vous préciser que ces hommes présentent bien peu de traits communs avec ceux auxquels l'on attribue ce nom de nos jours ? D'ajouter qu'ils ne furent nullement les dépositaires d'une mission divine auprès des fidèles, comme l'indiquait l'égyptologue français Serge Sauneron qui leur a, naguère, consacré une remarquable étude qui fait toujours autorité ?
Parfois de sang royal, parfois arbitrairement choisis de génération en génération dans les mêmes familles de notables, parfois élevés à cette fonction par un souverain qui tenait ainsi à les honorer pour services rendus, parfois aussi ayant tout simplement acheté leur prébende, ces hommes n'étaient membres d'un clergé que quelques mois l'année s'ils évoluaient au sein d'un temple, et ponctuellement lors d'obsèques quand ils fonctionnaient en tant que prêtres funéraires. De sorte que, la plupart du temps, dans l'antique Kémet, cette classe connut obligatoirement une vie active parallèle ; quand ce n'étaient pas, inhérentes à son mode de recrutement, des valeurs morales et spirituelles bien éloignées de ce que l'on serait en droit d'espérer d'elle ...
Et si pour la définir, je m'autorisais l'oxymore de "sacerdoce civil" ?
Certes, ceux d'entre vous qui gardent en mémoire quelques pages de leur cours d'histoire d'antan et notamment celles consacrées à la vie déréglée des Borgia ou autres papes de la Renaissance s'adonnant, entre autres inconduites, au népotisme et à la vente des Indulgences, tous, peu ou prou, - et sans en être évidemment conscients - faisant le lit du futur protestantisme, ne s'étonneront guère de rencontrer au fil des textes égyptiens l'un quelconque prêtre que la quête du divin ne préoccupait pas vraiment !
Serge Sauneron ose même le syntagme "de savoureuses crapules" pour en désigner certains, temporisant toutefois en ajoutant qu'il exista plus de fervents desservants de cultes, voire même de "saints" hommes, que de galeuses brebis ...
Ouf ! Nous voilà rassurés : les Égyptiens n'étaient pas si différents de nous, finalement !
Quoique ...
Hérodote ne nous explique-t-il pas que les prêtres se lavaient dans le Lac Sacré des temples, ablutions renouvelées deux fois la journée et deux fois la nuit ?
Qu'ils s'astreignaient à se raser entièrement le corps tous les deux jours, pour éviter la souillure d'éventuels poux ou autres vermines ?
Qu'ils se devaient également, mus par le même souci de propreté, d'être circoncis ?
Qu'ils respectaient, eux, l'abstinence sexuelle ?
Certes ils pouvaient prendre femme - (sans le S du pluriel, si j'en crois Diodore de Sicile, alors qu'aucune restriction quant à la polygamie n'entravait les envies de tout autre habitant) - mais se gardaient bien de pousser l'huis de l'intimité de leur compagne avant ceux des temples : ne lit-on pas à ce propos, à Edfou, que pour y officier, l'impétrant avait obligation de pureté, partant, de s'imposer une continence de plusieurs jours ?
En réalité, pour utiliser une dénomination moins vague, il serait plus correct de les appeler "purifiés" plutôt que "prêtres". Mais alors il se pourrait que mes propos ne fussent pas compris ; de sorte que, sacrifiant au vocabulaire admis dans le landerneau égyptologique, je conserverai moi aussi le terme consacré tout en vous demandant de rester attentif aux restrictions que j'aurai ce matin posées ...
Appartenant à une des strates sociales de prime importance dans l'Égypte ancienne, on était prêtre parmi un imposant contingent de coreligionnaires, plus ou moins hiérarchisés, honorant le dieu tutélaire du temple d'une localité bien précise.
Que ce soit d'un sanctuaire majeur, comme celui d'Amon à Karnak, ou de second plan, toujours, ne l'oubliez pas, ils n'étaient que délégués, que substituts d'un souverain, seul vrai détenteur pour sa part de la fonction sacerdotale ... assortie de celles de nommer - et de destituer ! - selon son bon plaisir.
Au sein même de l'organisation cléricale, à l'instar de celle de l'État, une hiérarchie fut de mise, à la tête de laquelle se trouvait le Premier Prophète, terme quelque peu inapproprié que nous devons aux Grecs, tout de suite suivi des Deuxième, Troisième et Quatrième Prophètes, qu'il serait bien plus exact de nommer premier, deuxième, ... serviteurs du dieu. Comme d'autres, dans le même temps, furent serviteurs de l'État.
Par rapport à ce "haut-clergé" existait évidemment un "bas-clergé" : parmi ces sacerdotes
subalternes égyptiens, les hemou netcher selon la terminologie exacte, j'épinglerai, sans réel
souci d'exhaustivité, les stolistes qui, quotidiennement, avaient en charge la toilette puis
l'habillement de la divinité présente dans le temple, immanente en sa statue ; les prêtres-ouab (= prêtres purs) que l'on rencontre parfois portant la barque divine durant les
processions ; les horologues auxquels était dévolue, jours et nuits, la tâche de déterminer l'instant exact qui marquait le début des différentes parties du culte ; ainsi que les
prêtres-lecteurs que je citai en introduisant ce matin mon propos et qu'il me plairait de vous présenter le 20 mars prochain puisque Metchetchi crut bon de s'en assurer
magiquement les services en les faisant figurer sur une des parois murales de son mastaba.
A mardi ?