Parmi les arguments systématiquement repris et bombardés par Nicolas Sarkozy et l'UMP contre François Hollande, celui sur " l'inexpérience " du candidat socialiste tient une place prépondérante. Décliné sous toutes les formes - " méconnaissance profonde de la nature des relations internationales " ( Copé), " François Hollande n'a aucune expérience pour tenir la barre " (Daubresse), " François Hollande n'a aucune expérience " ( Tapie), il ne connaît pas les grands sommets européens (Sarkozy) ... - il permet de porter de manière offensive la thématique sarkozyste du " capitaine dans la tempête " et de déplacer le débat présidentiel sur le terrain de l' aptitude à gouverner, pour mieux éviter celui du bilan.
Curieux argument circulaire qui revient à prétendre qu'il faudrait avoir une expérience ... présidentielle pour avoir le droit de prétendre à la fonction ... présidentielle. Mais il y a plus étonnant encore.
Dans la grande entreprise de ré-humanisation tentée parallèlement par Nicolas Sarkozy pour renouer avec les Français, l' apprentissage de la fonction présidentielle sert d'excuse récurrente. C'est notamment un des leitmotivs du grand discours de Villepinte. L'apprentissage de l'empathie : " j'ai appris que le président de la République était comptable des joies et des peines des Français, qu'il devait les prendre en compte, s'en imprégner et s'extraire de tout le reste ". Mais aussi celui de la politique nationale : " J'ai appris des blocages auxquels j'ai été confronté ". Et même de la politique internationale : " J'ai appris que lorsque l'on est président de la République française, on n'est pas seulement en charge des intérêts nationaux [...] j'ai appris que le destin de la France se jouait en même temps à l'intérieur et à l'extérieur ". Dans un registre proche, la " compréhension " est tout autant omniprésente, pour souligner le fait que Nicolas Sarkozy n'avait pas conscience, avant d'être élu, de l'ampleur et de la nature de la tâche : " J'ai compris [...] que la responsabilité du président de la République ne ressemble à aucune autre [...] J'ai compris que le président de la République devait assumer la dimension tragique de l'Histoire et qu'au fond, rien ne pouvait y préparer avant de l'avoir vécu [...] J'ai compris l'importance symbolique de la parole présidentielle ".
Avoir compris, avoir appris, cela suppose qu'auparavant - avant de se faire élire - on ne savait pas. Que l'on n'avait pas l'expérience. Que l'on avait bien pu avoir été ministre du budget ou de l'Intérieur, cela n'avait rien à voir avec la pratique présidentielle.
Cela suppose qu'il est normal de ne pas tout savoir de Élysée avant d'y accéder.
Bref, que l'élément de langage anti- Hollande ne tient pas la route.
Il faut que Nicolas Sarkozy choisisse : soit l'inexpérience présidentielle est impardonnable, et alors il peut renoncer à se représenter ; soit elle est acceptable dans son cas, mais alors aussi dans tous les autres.
Romain Pigenel