Le 14 mars 2012, le Canard enchaîné a publié un article à propos du procès faisant suite à une manifestation contre la loi Pécresse sur l’autonomie des Universités. Le 27 novembre 2007, un policier aurait alors tiré, avec son Lanceur de Balles de Défense, une balle de caoutchouc qui a atteint un manifestant dans l’œil, le rendant borgne. La défense du policier semble absolument imparable :
- ce n’est pas lui qui a blessé ce jeune homme, car il visait un autre lycéen prêt à lancer une pierre ;
- même si c’était lui, il n’aurait fait qu’exécuter un ordre.
Mais son avocat croit judicieux d’attaquer la théorie des baïonnettes intelligentes, selon laquelle une baïonnette (a fortiori un soldat) peut réfléchir au reçu d’un ordre manifestement illégal. Ce faisant, il me semble affaiblir la défense de son client.
En effet, puisque le policier affirme qu’il n’est pas l’auteur de ce tir, il convient de vérifier le bien-fondé de cette assertion : y avait-il à portée des manifestants d’autres fonctionnaires équipés également d’un LBD ? Avaient-ils eux aussi lancé des projectiles ? Si le tribunal ne parvient pas à établir l’implication du policier dans cette blessure, il ne peut que prononcer la relaxe.
Par contre prétendre que, s’il l’avait fait, c’était sur ordre, c’est envisager la possibilité qu’il l’ait fait et donc accepter cette hypothèse comme plausible. De plus, c’est affirmer que, la discipline étant la force principale des armées, l’obéissance doit être aveugle. Ce principe a depuis longtemps été dénoncé comme inepte : un subordonné peut refuser d’exécuter un ordre illégal.
En l’occurrence, est-ce que les manifestants menaçaient la sécurité des fonctionnaires de police ? Est-ce qu’un supérieur avait donné l’ordre de viser tel individu dangereux ? Était-il possible, lors de ce tir, de respecter les consignes d’utilisation de cette arme qui interdisent en particulier d’atteindre la tête ? Il est vraisemblable qu’une mise en cause de la hiérarchie chargée du contrôle de cette manifestation eut été fort utile. On peut d’ailleurs aller plus loin et s’interroger sur les responsables politiques qui, attachés à réprimer toute manifestation, fut-elle pacifique, n’hésitent pas à user d’une force excessive pour les contenir. Mais cela n’exonère en rien les exécutants de toute responsabilité.
Je prendrai un exemple, au risque de me voir taxé d’avoir atteint le point Goldwin. Il est plus que vraisemblable que le chancelier Hitler n’ait jamais tué un Juif de sa main. Il est pourtant responsable de la mort de plusieurs millions d’entre eux. Mais s’il ne s’était pas trouvé des milliers de petites mains pour, par conviction ou obéissance, exécuter des ordres criminels, il n’eut point si bien réussi son entreprise, heureusement avortée. Placé devant cette alternative, obéir ou désobéir, je sais fort bien ce que je devrais faire, mais je ne suis pas certain d’avoir le courage de le faire. Si tel était le cas, je n’aurai qu’à supporter ensuite le prix de ma lâcheté.