Hyperprésidence, omni-président : il est certainement pertinent de voir en Nicolas Sarkozy un symptôme des deséquilibres du Ve République, surtout sa version quinquennassée. Sarkozy estime que son rôle est de "résoudre les problèmes". Mettre les "corps intermédiaires" dans le viseur, c'est un pas de plus vers cette vision de l'Etat où seul le Chef prend les décisions, tout le reste étant une émanation de cette volonté exécutive.
Je ne regarde pas souvent les émissions politiques, mais celle d'hier soir, Des Paroles et des Actes me fait penser que Nicolas Sarkozy n'est pas seulement un produit des dérives de la Constitution, mais aussi celui d'une culture médiatique qui existe en symbiose avec l'idéologie du super-héro, celle de l'Homme Provi-télévisuel.
Hier soir, François Hollande n'était pas à l'aise. Pourtant il avait des réponses à toute les questions, même si la plupart du temps il n'avait pas le temps de développer suffisamment sa pensée. (Et là je ne parle pas encore de la séquence de l'insupportable Jean-François Copé.) Le téléspectateur bienveillant comprenait le réalisme et la mesure de Hollande, mais les "joutes" du plateau politique ressemble de plus en plus à des jeux vidéo où la rapidité du réflexe et l'habilité avec la manette priment sur toutes les autres qualités. Réalisme et mesure passaient pour faiblesse et indécision. La machine n'admet pas que la réalité de l'exercice politique est plus complexe que ce qui peut être exprimé en une phrase de moins de six mots.
La séquence Copé – je ne dis pas "débat", car ce n'en était pas un ; "confrontation" si vous voulez – était proprement pitoyable. Le Monde résume ainsi :
était venu avec – semble-t-il – une stratégie établie : ne pas laisser parler M. Hollande et le pousser dans ses rentranchements. Ce qu'il a fait avec brio, mais au détriment de la compréhension de l'émission. Les deux hommes se sont coupés sans cesse, s'envoyant des chiffres à la figure, dans un brouhaha souvent pénible.
C'est assez généreux de parler de "brio" et de dire que les "deux hommes se sont coupés sans cesse". La stratégie de Copé était effectivement de détruire toute possiblité de "débat", c'est-à-dire utiliser le format de l'émission, en le subvertissant, afin d'arriver à son objectif : débiter les éléments de langage de l'UMP ("indécis", "plaire à tout le monde", "dépensier") et priver François Hollande de trente précieuses minutes de temps d'antenne.
Que Copé ait "réussi" n'est pas tout à fait évident, malgré les félicitations du Très Grand Homme (TGH) ("Mes premiers mots seront d'abord pour dire à Jean-François Copé combien on a été fiers de lui à la télévision"). Bernard Cazeneuve a peut-être raison quand il dit que "Copé s'est blessé avec sa tronçonneuse". Espérons. Toujours est-il que son comportement est révélateur de cette tendance qui devient de plus en plus la marque de l'UMP sarkoyën, cette tendance à tout fonder sur la manipulation médiatique, le coup de comm', l'attitude. (Comment, sinon, en effet conduire une campagne, comme Hollande le disait très bien, "sans bilan et sans programme".) Quand Sarkozy lance "en tant que Président, ça je peux pas l'accepter", le journaliste n'ose pas pousser plus loin pour voir qu'elle foudre divine le TGH déploierait si sa volonté n'est pas respectée. François Hollande, en revanche, explique patiemment, mais s'il était un peu crispé, mais trop patiemment pour les journalistes qui doivent bousculer leur interlocuteur si la réponse définitive à tel ou tel problème complexe n'arrive pas au bout de quatre ou cinq seconds.
Je reste donc avec le regret que François Hollande n'ait pas pu faire la démonstration justement que c'était justement là ce qui le distinguait de son adversaire, ce refus de rester dans l'illusion et la facilité, son refus de masquer la complexité et la difficulté des problèmes, son refus d'entretenir l'illusion de la toute puissance du Président. Pour cela, il aurait fallu plus de quatre seconds, hélas.