
Jan Havickszoon Steen (Leyde, 1625/26-1679),
Les Rhétoriqueurs à la fenêtre, c.1661-66
Huile sur toile, 75,9 x 58,6 cm, Philadelphie, Museum of art.
Grâce au succès jamais démenti du Bourgois Gentilhomme (1670), on sait généralement aujourd’hui, même si certaines institutions théâtrales négligent coupablement de lui accorder la place qui lui revient, que nombre de pièces de Molière comportaient de la musique, laquelle on associe naturellement au nom de Jean-Baptiste Lully (1632-1687). C’est oublier que Poquelin collabora également, à la fin de sa carrière, avec un autre compositeur, Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), un volet peut-être moins connu de sa production dont une large part nous est aujourd’hui rendue dans les Musiques pour les comédies de Molière, un disque que signent La Simphonie du Marais et son chef, le flûtiste et hautboïste Hugo Reyne, pour le label Musiques à la Chabotterie.
Le cloisonnement existant, en France, entre les différentes composantes de la culture, dont la musique doit toujours à son
statut d’art d’agrément d’être la parente pauvre, fait que l’on imagine mal l’importance que cette dernière pouvait revêtir au théâtre. Combien savent aujourd’hui qu’Esther (1689) ou
Athalie (1691, les intermèdes ont été enregistrés par La Simphonie du Marais en 2001) de Racine comportent des airs, des chœurs et des pièces instrumentales composées par
Jean-Baptiste Moreau (1656-1733) ou que la reprise de George Dandin de Molière au Palais-Royal en 1668 se solda par un échec du fait de l’absence de la musique composée tout
exprès par Lully ? Lorsque les deux Baptiste se brouillèrent en 1672 et que l’Italien obtint du roi, à la fin du mois de mars, l’interdiction « de faire chanter aucune pièce de vers
entière en musique » avant de parvenir, un an plus tard, à faire réduire à deux chanteurs et six instrumentistes les respectivement six et douze accordée par le monarque au Français, ce
dernier dut se résoudre à trouver un nouveau collaborateur musical.
Le programme proposé par Hugo Reyne, mis en scène à l’occasion du spectacle La dernière sérénade de Molière donné
dans le cadre du festival Musiques à la Chabotterie les 9 et 10 août 2011 (photographies ci-dessous), permet de retrouver nombre de thèmes récurrents dans les pièces de Poquelin, comme les
amours mal assorties menacées sans cesse par le spectre du cocuage du Mariage forcé ou, dans le Malade imaginaire, les charges répétées contre les médecins embourbés dans
leur charlatanisme (« Votre plus haut savoir n’est que pure chimère » dans le Prologue) ou les femmes habiles à faire tourner leur amant en bourrique (Polichinelle donnant la
sérénade sous la fenêtre de sa maîtresse), avec, en prime, quelques coups de griffe à Lully au travers d’allusions qui devaient être immédiatement comprises par les contemporains,
Fins connaisseurs de la musique du XVIIe siècle qu’ils explorent depuis de
très longues années – on rappellera, entre autres, leurs dix volumes consacrés aux opéras de Lully –, Hugo Reyne et les musiciens de la Simphonie du Marais nous offrent dans ce Charpentier
encore assez méconnu une prestation de tout premier plan. Il faut souligner, tout d’abord, l’intelligence avec laquelle le programme est construit, faisant alterner très judicieusement
passages parlés, chantés et pièces instrumentales, pour obtenir un tout cohérent qui ne paraît jamais artificiel ou ennuyeux, tout en étant sous-tendu par une réelle recherche musicologique,
comme le démontre la tentative convaincante de restitution de l’ordre original du Premier intermède du Malade imaginaire. Le chef, qui tient également les parties de flûte à bec et
de hautbois, a réuni autour de lui une petite troupe aux effectifs à peine supérieurs à ce qui était autorisé en 1673, trois chanteurs et sept instrumentistes, lui compris.
Romain Champion, haute-contre (Géronimo, Spacamond), Vincent Bouchot, taille (Marphurius, Polichinelle, la Vieille), Florian
Westphal, basse (Sganarelle, un Archer)
La Simphonie du Marais
Hugo Reyne, flûtes à bec, hautbois & direction
1 CD [durée totale : 63’35”] Musiques à la Chabotterie 65010. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Le Dépit amoureux : Ouverture
2. Le Mariage Forcé : Trio « La, la, la, la, la, bonjour »
Le Malade imaginaire, Premier intermède :
3. « O amour » (Polichinelle)
4. Fantaisie avec les interruptions « Paix-là, taisez-vous, violons » (Polichinelle)
5. Chaconne des Polichinelles chassés par les Arlequins
6. Le Sicilien : Sérénade, Duo « Heureux matous » (taille, basse)
Des extraits de chaque plage du disque peuvent être écoutés ici.
Illustrations complémentaires :
Claude Simonin (c.1635-1721), Le vray portrait de Mr de Molière en habit de Sganarelle, sans date. Estampe, Paris, Bibliothèque nationale de France (cliché © RMN-GP/Agence Bulloz).
Les photographies de La Simphonie du Marais, extraites du spectacle La dernière sérénade de Molière, sont la propriété d’Accent Tonique, que je remercie de m’avoir autorisé à les utiliser.
Suggestion d’écoute complémentaire :
Cassandre Berthon, Valérie Gabail, sopranos, Robert Getchell, haute-contre, Jean-François Novelli, taille, Jean-Baptiste
Dumora, basse
Amarillis
1 CD Ambroisie AMB 9954. Indisponible en support physique, ce disque peut être téléchargé ici où des extraits de chaque plage peuvent en être écoutés.