Renégociation du traité budgétaire pour François Hollande, charge contre Schengen pour Nicolas Sarkozy, sortie de l’euro pour Marine Le Pen, les milieux européens se demandent quelle mouche a piqué les politiques français. Et font le dos rond.
Le malaise est monté d’un cran depuis que le président-candidat, Nicolas Sarkozy, a semblé chasser sur les terres de Marine Le Pen, dimanche, lors de son meeting de Villepinte. Le président-candidat venait d’appeler à une renégociation de l’accord Schengen de libre circulation des citoyens, et avait indiqué que, « faute de progrès sérieux », la France pourrait suspendre sa participation à cette espace.
« Comment voulez-vous que les gens aient une image positive de l’Europe (…) si leurs leaders ne montrent pas qu’ils croient dans le projet européen ? », s’est demandé Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, lors d’un colloque coorganisé par Le Monde, mardi à Paris. Sans oser la moindre critique directe. La Commission européenne a elle aussi décidé de faire profil bas.
La Suédoise Cecilia Malmström, commissaire européenne aux affaires intérieures, n’a manifestement pas l’intention d’imiter sa collègue à la justice, la Luxembourgeoise Viviane Reding, qui s’était engagée, à l’automne 2009, dans une joute violente et interminable avec Nicolas Sarkozy et ses ministres au sujet de l’expulsion des Roms. « Ce n’est vraiment pas dans nos habitudes de commenter une campagne électorale. Schengen fait partie des traités européens, et donc toute modification exigera une modification des traités », a seulement indiqué Mme Malmström.
« PAS SEULS SUR TERRE »
Il n’empêche, cette prudence cache mal l’agacement de ceux qui refusent de voir l’Europe instrumentalisée par la campagne française, et qui dénoncent le double langage électoraliste des principaux candidats. « Il est temps de dire à Sarkozy et Hollande qu’ils ne sont pas seuls sur terre », ironise un haut fonctionnaire britannique.
D’autres voient plutôt la campagne française comme une occasion, pour la Commission, de reprendre la main sur un dossier clé. Elle souligne qu’une réforme de Schengen est en cours, que celle-ci prévoit le rétablissement éventuel des contrôles aux frontières, et que le problème grec – à savoir l’arrivée de 200 clandestins par jour dans l’espace Schengen, en moyenne – est bien identifié. Elle rappelle aussi que les remèdes aux défaillances de la « gouvernance » doivent être communautaires, c’est-à-dire supervisés parla Commission.
Au passage, l’un ou l’autre « spin doctor » glisse que la colère et la menace du président-candidat sont, en fait, dictés par le fait que, jeudi 8 mars, la Franceet l’Allemagne se sont en fait retrouvées isolées face aux autres pays, lors des réunions des ministres de l’intérieur. Paris et Berlin entendent concentrer, à l’avenir, tous les pouvoirs entre les mains des Etats, mais l’idée ne ferait pas l’unanimité des Etats, loin de là.
ACCÈS AUX MARCHÉS PUBLICS
« Archifaux !, affirme une source française. Il est clair que les vrais décideurs seront bien les ministres, pas les experts et les technocrates. » « Plus généralement, il ne faudrait quand même pas que la Commission se sente désormais attaquée dès que quelqu’un parle d’Europe », ajoute cet expert. Mais comment évaluer, alors, le sérieux de la menace de sortir de Schengen ? « Une pression politique pour aller plus vite », sourit-il… L’offensive de Nicolas Sarkozy sur les marchés publics et le « Buy European Act » a, elle aussi, surpris Bruxelles. Car sous la pression constante de l’Elysée, la Commission travaille depuis des mois à une proposition censée assurer une meilleure réciprocité en matière d’accès aux marchés publics.
Le projet vise à permettre à des entreprises européennes de rejeter, ponctuellement ou systématiquement, les offres de sociétés originaires de pays comme la Chine ou le Japon, dont les marchés publics restent fermés aux Européens. Il devait sortir des tiroirs d’ici à la fin mars. Sa conception donne toujours lieu à des échanges houleux à Bruxelles entre ses deux architectes, le Français Michel Barnier, chargé du marché intérieur, et son homologue au commerce, le Belge Karel de Gucht.
Une dizaine de commissaires, dont la Britannique Catherine Ashton – une socialiste proche de Tony Blair – font de la résistance contre la réforme annoncée.
Au-delà de Bruxelles, certains pays, comme le Royaume-Uni, la Suède, voire l’Allemagne, voient d’un mauvais œil cette forme de réciprocité chère à M. Sarkozy, et le forcing français en sa faveur. Dans ces capitales, la tournure présumée protectionniste des discours de campagne embarrasse, même si l’on sait que la Francea toujours du mal à imposer ses vues dans ce domaine.
« Le barycentre de la politique commerciale européenne, c’est l’Allemagne, or celle-ci pousse à une libéralisation des échanges », indique un haut responsable commercial européen. Exemple d’une idée sarkozyste restée sans suite, en raison de l’opposition de Berlin : la taxe carbone aux frontières.
NÉGOCIATIONS PARALYSÉES
La réforme de Schengen et la protection des entreprises européennes ne sont pas les seuls sujets pris en otage par la campagne française. « Le scrutin présidentiel pèse comme jamais sur l’agenda européen », constatait voici peu un diplomate danois, dont le pays assure la présidence tournante de l’Union européenne jusqu’à la fin juin.
Certaines négociations sont, de fait, paralysées par les échéances françaises. C’est le cas de la réforme de la politique agricole commune – dontla Francereste le premier bénéficiaire – ou du marathon annoncé sur le budget communautaire pour la période 2014-2020.
Dans l’idéal, ces deux dossiers ultrasensibles pour Paris devraient être bouclés de concert d’ici à la fin du semestre. Mais personne n’imagine que ce soit possible. Résultat : ils figureront parmi les priorités du prochain président et de son gouvernement.
HOLLANDE NE RASSURE PAS
Il en va de même pour l’élargissement : les négociations d’adhésion promises au Monténégro ne commenceront pas avant la présidentielle, pour ne pas heurter le gouvernement sortant, plutôt opposé à cette perspective.
Autres effets des rendez-vous électoraux : Nicolas Sarkozy tente de pousser jusqu’au bout les sujets qui lui tiennent à cœur, quitte à brusquer ses partenaires. En janvier, il avait ainsi plaidé avec force pour inscrire la taxe sur les transactions financières à l’agenda des ministres des finances. Contre l’avis initial de la présidence danoise, qui préférait temporiser. La France a dû s’associer à huit autres pays, dont l’Allemagne, pour obliger à une première discussion lors d’une réunion entre les grands argentiers, mardi 13 mars, à Bruxelles.
A noter que le discours de François Hollande ne rassure pas beaucoup plus à Bruxelles… La renégociation du pacte budgétaire qu’il annonce au moment où celui-ci vient tout juste d’être signé, le 2 mars, à l’initiative d’Angela Merkel, est une perspective qui inquiète, tandis que la crise des dettes connaît un relatif répit. Certains pays, comme le Portugal, entendent même se dépêcher de ratifier le texte, entre autres pour éviter toute remise à plat. D’autres, comme l’Allemagne, n’ont pas précisé leur calendrier. Mais ils n’entendent pas faire de cadeaux au favori des sondages.