Opinion : La "grande muette" doit surtout parler de ses soldats

Par Theatrum Belli @TheatrumBelli

En septembre dernier la députée de Gironde, Michèle Delaunay militait pour que la Défense "valorise l'action et l'engagement de ses soldats indépendamment des interrogations et des réserves qui peuvent accompagner notre engagement en Afghanistan." Elle demandait au ministre de la Défense de préciser les mesures que le gouvernement comptait prendre "afin que notre pays, ses élus et ses responsables manifestent leur reconnaissance et leur compréhension aux soldats qui paient un lourd tribut".

Considérant les mesures déjà prises par le gouvernement pour promouvoir cette reconnaissance nationale, cette interrogation souligne la nécessité de réfléchir sur la visibilité de ces dispositifs. Cela pose ainsi la question des objectifs de la communication des armées.

Une armée professionnelle a le devoir de parler de la violence à ses concitoyens : faire saisir son sens profond mais aussi rappeler que la force est employée en leur nom et dans leur intérêt. La communication des armées a un rôle clé à jouer afin que le lien qui unit le soldat à la Cité ne se rompe pas : elle doit faire partager, montrer, honorer et humaniser l’action de nos soldats engagés en opération où la France leur demande de servir, voire de mourir.


Faire partager, car le vécu renforce la pertinence de l'information.

Comment juguler la défiance qu'entretiennent mutuellement journalistes et soldats ? En immergeant les reporters au sein des unités, leur faisant partager au quotidien la camaraderie, le désintéressement, l'esprit de corps, le dévouement, mais aussi l'attente, la fatigue, le doute, la peur... Le discernement, le recul et la mise en perspective sont toujours plus présents dans le traitement de l'information dès lors que le témoignage s'appuie sur un vécu de terrain. Quels meilleurs observateurs que ces journalistes ayant partagé le quotidien des soldats pour témoigner de leur engagement ?

Nul doute qu'une politique ambitieuse fondée sur l'accessibilité au champ de bataille et la durée des "embedded" (1) serait de nature à inciter les rédactions à réinvestir le champ de la défense. En effet, les reporters de guerre existent encore. Certains, à l’image de Robert Cappa ou plus récemment Gilles Jacquier, prennent de vrais risques au nom de l’information. Il nous revient de permettre à ces artisans du devoir de mémoire de témoigner au plus près des combats. Toutefois, une telle politique suppose aussi de ne pas chercher à tout contrôler, d’assumer les risques tout autant que d’accepter la critique.  

Montrer, parce que soldats et citoyens ne sont plus confondus.

Les nouvelles technologies ont généralisé l'accès à l'information. Les images les plus dures circulent à grande vitesse sur internet. Le citoyen français observe la réalité de la guerre menée par toutes les armées du monde... sauf la sienne ! Or l'opinion publique n'a pas fustigé le reportage "C'est pas le pied la guerre ?" diffusé sur France 2 en septembre dernier, bien au contraire ! Ce type de témoignage contribue à faire comprendre ce que vivent nos soldats dans l'accomplissement de leur mission au nom de leurs concitoyens. Cette idée est indispensable dans une organisation sociale où tout soldat est citoyen mais où tout citoyen n'est plus soldat.

Pour autant, montrer la réalité crue de la guerre ne signifie pas tout montrer ! La sécurité des opérations, le respect et la dignité des soldats blessés ou morts au combat restent des lignes rouges qu'il ne faut pas franchir. Le reportage "spectacle" exhibant un sergent de l'armée américaine qui saute sur une mine en direct constitue un tragique contre-exemple si l'on songe aux familles qui ont vu mourir leur proche en direct à la télévision.

Honorer, car le sacrifice individuel n'est acceptable qu'au nom d'intérêts supérieurs.

Le soldat accepte de mourir dès lors qu'il estime que son sacrifice sert les intérêts de la collectivité. Le niveau de reconnaissance de la Nation donne tout son sens à ce sacrifice consenti. Or, si les initiatives prises par la classe politique ne manquent pas (citons ici le projet de mémorial dédié aux soldats morts en opération extérieures), elles ne doivent pas masquer leur faible visibilité pour l’opinion publique. Le sentiment général qui domine est l'indifférence. Certains journalistes eux-mêmes regrettent "qu'on [soit] assez loin de l'accueil que font les citoyens américains, canadiens, ou britanniques aux corps de leurs soldats" (2).

Est-ce par désintérêt ? Par manque d'information ? L'image de ce jeune journaliste indépendant "embbeded" auprès du 2e RIMa en Afghanistan en mars 2011, pourtant peu favorable aux armées de son propre aveu, touché au plus profond de son âme au cours des cérémonies en l'honneur d'un homme qu'il ne connaissait même pas, se passe de commentaire.

Il est urgent de promouvoir les honneurs militaires en les rendant visibles et accessible au grand public. Rendons nos héros à notre pays ! Ils sont aujourd'hui pour des raisons de pudeur, les parents pauvres de la communication des armées. Il n'est pas exclu que la République soit à nouveau confrontée à la difficulté croissante de trouver des hommes volontaires parmi les siens pour la défendre. Simone Weil ne soutenait-elle pas dans L’enracinement que la défaite de 1940 trouvait ses racines dans l’absence de reconnaissance dela Nation envers ses poilus ? Les fils de France estimaient alors que leurs parents s’étaient sacrifiés pour rien.

Humaniser, parce que tout soldat est d'abord un fils de la Nation.

Le Maréchal Juin écrivait que "l'armée embrasse avant tout les intérêts supérieurs de la Nation." (3) Encore faut-il que cette dernière n’oublie pas que ses fils meurent pour elle. C’est donc en se focalisant pleinement sur l’Homme, au sens à donner à son action et à son sacrifice que la communication des armées cimentera durablement le lien qui doit unir armée et Nation. Le vibrant hommage national rendu aux Invalides en juillet dernier, fruit d’une communication tournée vers l’Homme montre que cet objectif est réaliste et que le mode d’action est efficace. 

La communication institutionnelle mériterait donc d’être modernisée, en se consacrant pleinement à la mise en valeur de nos hommes. Nos concitoyens sont prêts à voir la réalité des conflits et contrairement aux idées reçues, s'intéressent aux questions de défense dès lors que l'on se donne la peine de leur en parler (4). A nous donc d'ouvrir complètement cette porte qui n'ose pas dépasser le stade de l'entrebâillement. Si nos soldats n'osent s'en plaindre, ils en ont besoin pour se sentir soutenus. Nos concitoyens ont besoin de voir pour ne pas être aveuglés : la guerre n'a pas disparu de notre horizon et les dividendes de la paix peuvent s'arrêter avec le retour d’une guerre majeure. Puisque toute société-Nation qui refuse de se défendre est vouée à l'asservissement, nous avons le devoir de montrer qui nous sommes vraiment afin de préparer les esprits. Nous devons expliquer les fondements de ce pour quoi nous existons : l'emploi de la force pour défendre les intérêts de la Nation.

CBD Prod'homme, 

Stagiaire à l'École de Guerre (s'exprime à titre personnel)

Officier de l’armée de Terre spécialisé dans le domaine de l’infanterie parachutiste. A servi en opération extérieure en RCI, en RDC, au Gabon, au Sénégal et à deux reprises en Afghanistan en qualité de chef de section et de commandant d’unité au sein du 8e Régiment de parachutistes d’infanterie de marine.  

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(1) Terme anglo-saxon désignant ici l'intégration d'un journaliste au sein d'une unité déployée sur un théâtre d'opération. 

(2) Post de Jean-Marc Tanguy. Le Mamouth.fr

(3) Trois siècles d’obéissance militaire. 1964

(4) Voir le sondage dela DICOD, mars 2011