Monsieur Sauvage, mercier
Et monsieur Morissot, horloger
Se serrèrent la main énergiquement.
-Et quel temps !
-C’est le premier beau jour du printemps
-Allons pêcher comme autrefois.
Ils allèrent prendre leurs instruments.
-Je connais le colonel Dufoix,
Il nous donnera des laissez-passer.
Les avant-postes traversés,
Les pêcheurs s’installaient, pieds ballants
Au-dessus du courant.
-Quelle douceur !
-Je ne connais rien de meilleur.
Sauvage prit le premier goujon.
Morissot attrapa le second.
-À Orgemont, y a les Prussiens.
-Y en a partout des Prussiens.
L’inquiétude paralysa les deux amis.
-Ils sont autour de Paris,
Tout puissants
Depuis des mois pillant,
Massacrant,
Affamant.
Pris de terreur superstitieuse,
De haine pour cette armée victorieuse,
Sauvage colla sa joue au sol pour écouter
Si on ne marchait pas à proximité.
-Non, nous sommes seuls,
Bien seuls.
Rassurés, en toute sérénité,
Ils se remirent à pêcher.
Ils n’écoutaient plus rien.
Ils ne pensaient plus à rien.
Ils pêchaient.
Soudain du côté du Mont-Valérien
Le canon tonna.
-Faut-il être idiot pour se tuer comme ça
-C’est pis que des bêtes.
Morissot venait de saisir une ablette.
-Dire que ce s’ra toujours ainsi tant
Qu’il y aura des gouvernements.
-Avec les rois, on avait les guerres dehors.
Avec la République, on a la guerre dedans.
-Je suis d’accord.
Sauvage regardait
Son bouchon plongeant.
Il tira un vairon argenté.
Une nouvelle détonation gronda.
Il grommela :
-C’est la vie.
-Dis plutôt
Que c’est la mort, reprit
Morissot.
Soudain ils sentirent
Qu’on venait de marcher derrière eux.
Effarés, ils tressaillirent.
Ayant tourné les yeux,
Ils virent
Quatre soldats Prussiens debout
Les tenant en joue.
En deux secondes, ils furent saisis,
Attachés, emportés, conduits
À l’officier du détachement
Qui leur demanda en un français excellent :
-Avez-vous, messieurs, fait bonne pêche ?
Alors qu’un des soldats se dépêche
De déposer le filet plein de poissons
Aux pieds de son officier,
Ce dernier
Dit : -Pour moi, vous êtes deux espions
Envoyés pour nous guetter.
Vous faisiez semblant de pêcher
Afin de mieux dissimuler vos projets.
Les soldats épaulèrent, tirèrent.
Les pêcheurs s’écroulèrent.
Ils eurent de grosses pierres attachées au cou
Et furent balancés dans la Seine, d’un coup.
L’officier reprit sans manière :
-Maintenant, c’est le tour des poissons.
Il ramassa le filet aux goujons,
Appela la cantinière :
-Fais-nous frire cela immédiatement ;
Ce sera excellent.
Quentin KIDAM-SIMET
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Dieu me garde de mes amis. Mes ennemis, je m’en charge.
Cromwell
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