Timide pardon de l’armée colombienne

Publié le 15 mars 2012 par Rene Lanouille

Luz Marina se réveille en sursaut. Un bourdonnement étouffé se précise au dessus d’elle. Elle se précipite sur le seuil de sa maison et inspecte rapidement le ciel. Un faisceau blafard balaye le village de San Antonio. Un hélicoptère de l’armée. “Alors ils viendront” songe t-elle. Elle repart se coucher, partagée entre la satisfaction et l’angoisse. Le bruit sourd des rotors repart se fondre dans la nuit.

Humiliation et protocole

Ce samedi 10 mars, la tension est palpable à San Antonio. La communauté attend ce jour depuis 2006, lorsque le bataillon Cacique Pigoanza a exécuté Hortensia et Manuel. D’abord présentés comme « guérilleros morts au combat », l’enquête révéla qu’ils n’appartenaient à aucun groupe armé.
Les militaires viennent aujourd’hui demander pardon aux familles. Décision de la juge. “Ils le font à contrecœur, c’est une humiliation pour eux”, soutient Luz Marina. L’acte, qui devait d’ailleurs se réaliser trois semaines auparavant, avait été annulé car les « conditions de sécurité n’étaient pas garanties ». Face à l’indignation des familles, la cérémonie a finalement lieu.
Venues de tous les villages voisins, plus de deux cents personnes attendent sur le terrain de foot de Belén. Le hameau où ont été assassinés Hortensia et Manuel. Les militaires préparent une petite salle pour la cérémonie : une trentaine de tabourets en ligne, drapeau colombien et drapeau militaire, fleurs en évidence.
Luz Marina, sidérée par ce protocole, harangue le colonel Fernando López Colmenares : “j’exige que la cérémonie se réalise à l’endroit où vous et vos soldats avez exécuté ma fille, colonel. Et pas dans cette salle avec votre drapeau. Vous leur avez tiré dans le dos, là-bas, à la sortie du village, colonel.” Le militaire, sermonné tel un écolier, acquiesce froidement.

“Vous êtes les premiers à obtenir des excuses de l’armée”

Pendant la messe, le père Alberto, de la Commission Justice et Paix, rappelle l’importance de cette cérémonie : “vous êtes les premiers en Colombie à obtenir des excuses de l’armée pour des exécutions extrajudiciaires.” Discrets et tête baissée, les militaires n’apprécient guère cette exclusivité.

Le colonel saisit un bouquet de fleurs et se dirige prudemment vers Luz Marina. “Ce bouquet ne vous rendra pas la vie de votre fille, mais nous reconnaissons qu’une erreur a été commise, et les erreurs sont humaines,” souffle t-il, glacial. Luz Marina rétorque d’une voix tremblante : “Vous avez volé les rêves de ma fille et vous l’avez accusée de guérillera. Et c’est vous qui avez apporté la terreur dans notre village, colonel !” Tonne t-elle face au visage impénétrable de l’officier. “i[Je veux les noms de ceux qui ont ordonné l’exécution de ma fille, qu’ils soient jugés […] Nous exigeons justice contre les responsables des milliers d’assassinats de ce pays”]i couronne t-elle sous les applaudissements.
Imperturbable, le colonel López édulcore les accusations : “nous prendrons toutes les dispositions nécessaires pour que ce tragique événement de ne reproduise plus jamais” Et d’ajouter, cynique : “nous continuerons à combattre le terrorisme au nom du peuple colombien”. Remerciements. Bénédictions. Fin de l’acte.

L’armée reconnaît-elle que Hortensia et Manuel sont des falsos positivos ? Le colonel refuse tout commentaire.
La presse colombienne ne reprend que très peu l’information. Pour cause, aucun journaliste ne couvre l’évènement. “Ils n’ont pas voulu venir” prétend l’attachée de presse du bataillon, dont le rôle est de convoquer les médias. Des journalistes joints par téléphone affirment n’avoir jamais été conviés.
Le communiqué écrit par l’attachée de presse relativise la responsabilité de l’armée. Les faits du 8 janvier 2006 se résument à une « défaillance des services de l’armée ». Et le colonel López, au nom de l’institution militaire, s’engage à respecter « les Droits de l’Homme ». Passent sous silence les déclarations et les exigences des familles.
Mais la pilule ne passe pas. “Ils ont fait l’absolu minimum” déclare amèrement Luz Marina. “Ils ont refusé de donner les noms des responsables et d’avouer leur totale responsabilité”. Néanmoins, elle ne baisse pas les bras : “la bataille contre l’armée vient tout juste de commencer”.
Une façon d’ouvrir les portes de la justice aux milliers de familles de falsos positivos.

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Timothée L'Angevin