Plus d’un an après les premières manifestations, le mouvement de contestation de la communauté chiite se poursuit dans la province orientale du pays, malgré la faiblesse de son exposition médiatique, et le silence de la communauté internationale, alors que 7 contestataires ont été tués par les forces de l’ordre depuis octobre 2011.
Déclenché en février 2011, dans la continuité des Révolutions arabes, le mouvement de contestation de la minorité chiite saoudienne se poursuit dans l’indifférence générale. 3 personnes ont ainsi été blessées par des tirs des forces de l’ordre lors de la dispersion d’une manifestation à Qatif le 24 février dernier. Les rassemblements, malgré leur interdiction, demeurent réguliers et massivement suivis, notamment dans les localités d’Awamiya, Chouika, Al-Qadih et Sihat.
Intensifié à la suite de l’intervention saoudienne à Bahreïn en mars 2011, menée dans l’objectif de soutenir la répression du soulèvement de la majorité chiite contre le pouvoir central sunnite de la famille Al-Khalifa, le mouvement s’est essoufflé en avril, avant de connaître un nouvel essor en octobre 2011, à la suite de la mort de 4 manifestants.
La minorité chiite – estimée à 2 millions de membres – est principalement répartie dans la région orientale du pays, particulièrement stratégique puisqu’elle abrite 9O% des ressources pétrolières du Royaume. Les contestataires réclament la fin de la discrimination confessionnelle – égalité dans l’accès à l’emploi et aux prestations sociales avec les sunnites –, la libération des prisonniers politiques, ainsi que la mise en place de réformes politiques. Les chiites n’ont en effet pas bénéficié des mesures annoncées par le pouvoir en mars 2011 (130 milliards de dollars octroyés à la création de dizaines de milliers d’emplois, la mise en place de subventions pour l’accès au logement et l’augmentation du salaire des fonctionnaires) pour satisfaire les revendications croissantes de la majorité sunnite.
Les autorités ont, au contraire, choisi de contenir le soulèvement de la communauté chiite, en déployant un important dispositif sécuritaire dans la région, et en réprimant violemment les rassemblements. Les arrestations arbitraires ont également été dénoncées (près de 400 personnes interpellées, dont une soixantaine serait toujours emprisonnée), tandis que cette brutalité a, en retour, alimenté une intensification du mouvement ainsi qu’une radicalisation de ses moyens d’action (3 policiers blessés par des tirs le 18 janvier). Le pouvoir central s’est également attaché à décrédibiliser les contestataires, les qualifiant de « terroristes » aux visées sécessionnistes, manipulés par le rival iranien. Ce soucis de délégitimer les protestataires, afin de prévenir toute convergence avec une éventuelle réactivation du mécontentement sunnite, s’est doublé d’une stratégie de sous-médiatisation des évènements, minimisant par là l’ampleur de la contestation. Ce déficit de traitement médiatique s’est également observé à l’échelle régionale et internationale, corollaire de l’étonnant silence de la communauté internationale sur cette crise, qui tranche avec les interventions occidentales lors des évènements du Printemps arabe et du conflit syrien. Ainsi, alors que le Royaume s’est imposé à la tête de la condamnation du régime de Bachar el-Assad – Riyad s’est prononcé pour l’armement des rebelles syriens, et a rappelé son ambassadeur de Damas le 15 mars –, sa stratégie de répression du mouvement de contestation chiite apparaît en contradiction avec la position défendue contre le régime de Damas.
La poursuite du mouvement, en dépit de la répression, n’apparaît cependant pas à l’avantage de Riyad, illustrant son incapacité, un an après le début du soulèvement, à maîtriser son territoire, et prolongeant le risque de propagation de la contestation au reste du pays. Plusieurs facteurs aggravants (10.000 prisonniers politiques, taux de chômage de 30%, 20% de la population sous le seuil de pauvreté, corruption endémique au sein de la classe dirigeante) laissent planer le risque d’une réactivation d’un mouvement de contestation généralisé. Ainsi, la victoire symbolique, fin février, d’une tribu, qui a empêché les forces de sécurité de saisir des terres lui appartenant, à Taïf, à proximité de la Mecque, illustre l’hésitation des autorités dans la stratégie à adopter face aux manifestations de mécontentement de la majorité sunnite.
Plus d’un an après les Révolutions arabes, et alors que Riyad appelle à un changement de régime en Syrie, le Royaume, en dépit de ses déclarations, demeure fragilisé par la contestation de sa minorité chiite, qui ne faiblit pas, et laisse persister le risque d’un débordement du mouvement à d’autres provinces.
Source du texte : FLASH GEOS