Il ne reste plus que quelques semaines au candidat le plus populaire de
France pour réussir à traduire cet atout dans les urnes. Chose peu aisée tant les esprits sont conditionnés par la lutte stérile entre la droite et la gauche, par ce simplisme binaire de mettre
les gens dans des cases. Analyse approfondie de quelques sondages.
Pour François Bayrou, cette période est donc cruciale. À la
même époque en 2007, il surfait dans les sondages sur une vague entre 18 et 21% (qui a même atteint 24% dans un sondage CSA publié le 8 mars 2007), mais il n’avait pas su rebondir d’une marche supplémentaire qui lui aurait donné la clef du second tour. En 2012, la situation est plus faible même si
sa percée a commencé un mois plus tôt (en décembre au lieu de janvier).
Durant ces deux dernières semaines (depuis début mars 2012), les intentions de vote pour François Bayrou
connaissent un frémissement à la hausse (de quelques pourcents), dans au moins trois sondages (LH2 du 4 mars 2012, IPSOS du 6 mars 2012, CSA du 6 mars 2012). Le sondage de LH2 lui fait même atteindre 15%, au même niveau que Marine Le Pen mais loin derrière les deux premiers candidats. Toutes ces évolutions sont négligeables et il est
clair que depuis fin janvier et la véritable entrée en campagne de François Hollande, François Bayrou
reste sur un palier autour de 13%.
Cette stabilité (depuis six semaines) me permettra le cas échéant de reprendre des sondages un peu plus
anciens (qui datent de février 2012).
Mon propos est de faire des analyses un peu plus fines des sondages. Pas pour un but prédictif (parfois, les
sondages sont contradictoires, comme le dernier de TNS-Sofres publié le 13 mars 2012 qui creuse l’écart entre les deux premiers candidats) mais
pour mieux comprendre comment réagit l’électorat de François Bayrou.
1. L’indécision des électeurs
Comme souvent, les sondages (qui apportent une photographie instantanée de l’opinion) extrapolent un peu trop
les réponses des sondés sans tenir compte des indécis. Ceux qui n’ont pas encore d’opinion sur leur choix devraient être aussi comptabilisés.
Comme ce n’est pas le cas, j’ai retrouvé dans un sondage IFOP
publié le 13 février 2012 des informations fort utiles pour mieux analyser les résultats (il y a un mois, donc, et j’ai complété avec un sondage très récent). En effet, cette étude apportait
aussi l’éventail du deuxième choix pour les personnes hésitantes.
Par exemple, tel sondé pense voter pour Jean-Luc Mélenchon mais pourrait hésiter et se reporter sur François
Hollande directement. Ce type d’information permet de donner une fenêtre des possibles indépendamment de l’incertitude liée à la méthode
même de l’étude (incertitude qu’il faudrait donc rajouter), ce qui crée finalement des fenêtres très larges.
Dans les calculs, je me suis restreints aux trois candidats susceptibles de gagner le second tour de l’élection présidentielle (à condition bien sûr de franchir le premier
tour). On pourra facilement faire le calcul sur les autres candidats en se reportant aux informations de l’étude intégrale.
Ainsi, François Hollande, dans ce sondage, est donné avec 30,0% d’intentions de votes. On peut donc calculer
les limites basses et les limites hautes. Elles se calculent en considérant soit que les hésitants sur son vote renoncent à ce vote (pour la limite basse) soit que les hésitants sur d’autres
votes décident tous de voter pour lui, donné en second choix (pour la limite haute).
Je fais ici le détail des calculs pour François Hollande et irai ensuite directement aux résultats pour les
deux autres candidats.
Limite basse de François Hollande : 30,0% x 72% soit 21,6%.
Limite haute de François Hollande : 30,0% + 8,5% x 15% +3,0% x 29% + 12,2% x 14% + 25% x 3% + 17,5% x 5% soit 35,5%.
Donc, pour François Hollande, indépendamment de l’incertitude liée à la méthode de l’étude, pour comprendre
l’instantané des sondés, quand on parle de 30,0% d’intentions de vote, il serait plus rigoureux de donner la fenêtre des possibles entre 21,6% et
35,5%.
Avec cette même méthode de prise en compte des indécis, Nicolas Sarkozy, qui a recueilli 25,0% d’intentions de vote, est situé entre 18,0% et 28,6%. On voit par exemple qu’un mois après, le fait que Nicolas Sarkozy ait recueilli 28,5% n’est donc pas une grande surprise (en sachant
qu’il faudrait comparer avec le même institut, ce qui est le cas puisqu’il s’agit aussi de l’IFOP).
Quant à François Bayrou, donné à 12,5% d’intentions de vote dans cette étude, sa fenêtre des possibles est
située entre 5,6% et 21,3%. Cette fenêtre est très large car ses électeurs sont plus hésitants que ceux des autres candidats. Dans
l’hypothèse basse, on reviendrait à une candidature de type Jean-Pierre Chevènement en 2002 qui avait
surfé jusqu’à 15% avant de redescendre autour de 5%. Dans l’hypothèse haute, une vingtaine de pourcents, on retrouve le niveau atteint par le candidat centriste dans les sondages en 2007 à la
même époque.
Le (fameux) sondage où Nicolas Sarkozy dépasse François Hollande (IFOP du 13 mars 2012) apporte également les informations utiles (à savoir, le second choix pour les électeurs hésitants). J’ai donc refait les calculs avec ce nouveau cliché
instantané de l’opinion.
Cela donne les nouvelles fenêtres des possibles suivantes :
François Hollande donné à 27,0% : entre 20,8% et
31,8%.
Nicolas Sarkozy donné à 28,5% : entre 22,5%
et 33,7%.
François Bayrou donné à 13,0% : entre
6,4% et 20,1%.
On peut voir que la marge de manœuvre de François Bayrou est ténue pour lui permettre d’atteindre le second tour : en prenant en compte les
erreurs des méthodes, il faudrait que tous les hésitants s’éloignent des deux grands candidats et qu’ils rejoignent d’une seule lancée François Bayrou.
On voit d’ailleurs qu’à ce stade, il serait plus aisé à François Bayrou de prendre la seconde place à François Hollande qu’à Nicolas Sarkozy.
Évidemment, ce ne sont que des instantanés et cela va évoluer durant les prochaines semaines.
2. Polarisation droite/gauche
Un autre type de sondage est intéressant à analyser. Alors que pour les intentions de vote, François Bayrou a
du mal à émerger, pour les sondages de popularité, d’opinion, de cote d’avenir ou de sympathie, il n’y a pas de doute, il cartonne ! Il est depuis janvier 2012 le candidat le plus populaire
de France et certains y voient même une sorte d’incohérence.
Analysons plus finement les données. Je prends pour support le sondage CSA publié le 1er mars 2012. Il est dit que 58% (+8%) ont une image positive pour François Bayrou, 53% (+7%) pour
François Hollande et que 28% (+3%) font confiance à Nicolas Sarkozy.
Ce qui est intéressant entre autres, c’est de voir vers qui vont les jugements favorables parmi les
sympathisants de droite et de gauche. On pourra toujours réfuter le choix de cette terminologie (qui se revendiquent d’être "sympathisants de droite" et "sympathisants de gauche" ? et
pourquoi n’y a-t-il pas de "sympathisants du centre" ?) mais les enseignements restent instructifs.
Je fais une comparaison avec les trois mêmes candidats.
Parmi les sympathisants de droite, 82% émettent une opinion positive pour Nicolas Sarkozy, 56% pour François Bayrou et 22% pour François Hollande.
Parmi les sympathisants de gauche, les scores s’inversent : 85% ont un jugement favorable à François
Hollande, 52% à François Bayrou et 13% à Nicolas Sarkozy.
C’est assez compréhensible de rencontre un si grand écart (les sondagistes parlent d’élasticité) entre le
candidat d’un camp et le concurrent déclaré de ce camp. À la limite, il serait même plus cohérent d’avoir 100% pour l’un et 0% pour l’autre.
Un autre sondage plus récent, IPSOS publié le 12 mars 2012,
apporte le même genre de résultats brut, à savoir que François Bayrou continue à grimper dans la sympathie des Français jusqu’à 60% (+5%),
bien au-dessus du favori, François Hollande, à 53% (+1%) et du sortant, Nicolas Sarkozy, à 38% (+2%).
En analysant la popularité à droite et à gauche, on a le même type de conclusion.
Parmi les sympathisants de l’UMP, 91% portent un jugement favorable à Nicolas Sarkozy, 58% à François Bayrou et 17% à François Hollande.
Parmi les sympathisants du PS, les scores s’inversent : 91% porte un jugement favorable à François
Hollande, 64% à François Bayrou et 12% à Nicolas Sarkozy (11% pour les sympathisants de gauche).
Dans le sondage IPSOS, il est possible d’avoir une précision supplémentaire : parmi les sympathisants du
MoDem, 38% ont confiance en Nicolas Sarkozy. 95% des électeurs de François Bayrou de 2007 ont un jugement favorable à François Bayrou (soit +6%), et le candidat centriste progresse aussi chez les
sympathisants du FN (+14%).
Dans ce mouvement très récent (sondage IPSOS), il est d’ailleurs constaté une hausse de popularité de
François Bayrou à gauche (+10%) et une baisse à droite (–5%).
Que signifient toutes ces données ? Que si François Bayrou tire son épingle du jeu en étant le plus
populaire dans la population globale, ce n’est qu’un effet miroir de la moyenne, car il fait des scores relativement corrects dans tous les camps.
Or, l’élection présidentielle à deux tours polarisent ces camps. À savoir, les électeurs préfèrent voter pour
le champion de leur camp revendiqué. Et à part son électorat centriste traditionnel (qui pèse autour de 10-15% en France depuis plusieurs décennies), il est loin d’être le meilleur candidat à
gauche comme à droite. Il a juste le mérite de n’être détesté par aucun camp.
Cette difficulté n’avait pas échappé, dans le passé, à des personnalités très populaires comme Raymond Barre, Jacques Delors, Michel Rocard ou encore Simone Veil.
C’est le véritable défi de François Bayrou : casser cette
bipolarisation qui lui rend très difficile l’accès au second tour pour cette raison de ne pas être le meilleur candidat à droite ni le meilleur à gauche (les scores des deux autres
candidats sont staliniens au PS et à l’UMP). C’est aussi ce qu’explique Brice Teinturier dans "L’Hémicycle" n°437 du 7 mars 2012.
3. Les électeurs déçus de Bayrou
Un autre sondage est intéressant à analyser : OpinonWay
pour "Lyon Capitale" publié le 12 février 2012 intitulé "Opinions et motivation des électeurs de François Bayrou : Les désabusés du clivage droite/gauche ?". Bien qu’un peu ancien, il
donne quelques indications sur les électeurs de François Bayrou de 2007 qui ne veulent plus voter pour lui en 2012, autrement dit, sur les électeurs déçus par François Bayrou.
La première indication est que les déçus du bayrouisme souhaiteraient voter plus à gauche (pour 52% dont 37%
pour François Hollande) qu’à droite ou à l’extrême droite (30% dont 12% pour Nicolas Sarkozy).
Les déçus qui ont confiance dans la gauche pour gouverner le pays sont 22% (les électeurs potentiels de
François Bayrou sont 8% dans ce cas) et sont bien moins nombreux à s’éloigner de la bipolarité (seulement 67% n’ont confiance ni dans la droite ni dans la gauche au lieu de 84% des électeurs
potentiels). Sur les alliances, les déçus sont plus nombreux (23%) que les électeurs potentiels (9%) à vouloir une alliance entre le centre et la gauche (l’alliance entre le centre et la droite
recueille respectivement 10% et 8% des faveurs des déçus et des électeurs potentiels).
Les raisons de la non-réadhésion à la candidature de François Bayrou proviennent de son trop grand isolement
et de l’ignorance de ce qu’il veut faire une fois élu (pour 37% des déçus). Par ailleurs, sa capacité à rassembler le pays, à rassurer en période de crise et à incarner le changement sont moins
crédibles chez les déçus.
Par ailleurs, dans un certain nombre d’affirmations (sur les 35 heures, sur l’immigration, sur la TVA
sociale etc.), il est clairement compréhensible que les déçus de François Bayrou sont positionnés plus à gauche que ses électeurs potentiels.
En résumé, les électeurs de François Bayrou de 2007 qui se sont détournés de lui seraient plutôt du centre
gauche et préféreraient aujourd’hui choisir dès le premier tour le candidat François Hollande.
Le défi de la candidature Bayrou pour 2012
La situation électorale de 2012 est donc très différente de celle de 2007.
François Bayrou garde encore un très grand potentiel auprès des Français mais paraît victime de la
polarisation de la vie politique qui s’accentue au fur et à mesure que les intentions de vote se cristallisent.
Ce qui semble clair, c’est que les électeurs positionnés au centre gauche lui font défaut au contraire de
2007. Ils pensent plus efficace de voter pour François Hollande qui est un candidat deloriste relativement crédible, en tout cas, nettement plus crédible que Ségolène Royal.
Par conséquent, si François Bayrou veut provoquer un sursaut dans sa campagne, il doit provenir d’une réserve
des électeurs de centre droit qui, pour l’instant, préfèrent faire confiance à Nicolas Sarkozy.
Ce qui a fait dire au centriste Pierre Méhaignerie, recevant Nicolas Sarkozy à Fougères le 13 mars 2012, qu’il faudrait proposer un « contrat commun » entre
Nicolas Sarkozy et François Bayrou : « Il [François Bayrou] a plus de chance de gouverner avec la majorité présidentielle qu’avec le PS tel
qu’il est. ».
Certes, en se droitisant légèrement, François Bayrou pourrait perdre en cohérence avec son positionnement
politique adopté depuis le printemps 1999. Mais il se donnerait une petite chance de vaincre, en acceptant le principe de la réalité politique qui est que la population reste malgré tout
polarisée entre la droite et la gauche, même si paradoxalement, 80% des Français le rejoignent dans sa volonté
d’unité nationale (sondage IFOP du 14 mars 2012).
C’est sur cet électorat de centre droit que François Bayrou doit se focaliser avec un argument simple :
le seul candidat capable de battre François Hollande au second tour, c’est François Bayrou. Nicolas Sarkozy a, à cinq semaines du premier
tour, peu de chance de gagner un second tour face au candidat socialiste. Le vote utile, c’est donc, pour cet électorat, voter Bayrou !
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (15 mars 2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le vote utile.
Refonder la
démocratie.
L’État
impartial.
Le programme présidentiel de Bayrou 2012 : la
France solidaire.
Unité nationale.
Bayrou, ni diviseur, ni illusionniste.
La percée dans les
sondages.
Les
risques d’une élection Hollande.
La stigmatisation Sarkozy.
Coup de
menton.
La vérité si je mens !
Sondages utilisés dans cet article (à télécharger) :
CSA du 8 mars 2007.
OpinionWay du 12 février 2012.
IFOP du 13 février 2012.
CSA du 1er mars 2012.
LH2 du 4 mars 2012.
IPSOS du 6 mars 2012.
CSA du 6 mars 2012.
IPSOS du 12 mars 2012.
IFOP du 13 mars 2012.
TNS-Sofres du 13 mars 2012.
IFOP du 14 mars 2012.
Brice
Teinturier ("L’Hémicycle" n°437 du 7 mars 2012).
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/entre-polarisation-et-112522