AF447 : l’incompréhension dépasse la technique
Bien entendu, la Justice a autorisé la diffusion mercredi soir de l’émission Pièces à conviction de France 3 consacrée à l’accident de l’AF447. Apparemment, elle n’a apporté aucun élément d’information franchement nouveau mais a solidement installé le mot «incompréhension» en sous-titre de l’épais dossier.
Les observateurs qui ne disposaient pour seul outil que de leur simple bon sens, qui avaient lu et relu la transcription intégrale du CVR (Cockpit Voice Recorder) reprise dans un livre de Jean-Pierre Otelli (1), avaient acquis la conviction que l’A330 s’était écrasé, en perte de vitesse, et hors contrôle de l’équipage, sans permettre aux pilotes de comprendre ce qui leur arrivait. Ce sentiment est désormais renforcé.
Aussi a-t-on écouté avec une attention particulière les propos savamment pesés d’Eric Schramm, directeur général adjoint d’Air France chargé des opérations (et commandant de bord 777) et ceux de Jacques Rosay, chef pilote d’essais d’Airbus. Qu’a dit Schramm ? Que les trois pilotes de l’AF447 étaient parfaitement qualifiés (personne n’en a jamais douté) et que la pauvreté du dialogue dans le cockpit «confirme l’incompréhension». Le mot «décrochage» n’a d’ailleurs pas été prononcé une seule fois alors que Rosay a dit de l’avion –en se permettant un néologisme- qu’il est tout simplement «indécrochable».
Dès lors, pourquoi cette insistance à mettre le gros biréacteur à cabrer ? «C’est le BEA qui va nous éclairer», a dit Schramm, donnant ainsi aux enquêteurs une bien lourde responsabilité. De toute évidence, on quitte ici le terrain familier de l’aviation, du pilotage, des automatismes pour aborder la psychologie du pilote de ligne et, accessoirement, la formation qui lui est prodiguée tout au long de sa carrière, d’un type d’avion à l’autre.
Jacques Rosay a enfoncé le clou en soulignant que la perte d’indication de vitesse, liée au givrage des sondes Pitot pendant une petite soixantaine de seconde, «n’est pas une situation exceptionnelle», qu’il suffit, en cas d’un tel incident, d’attendre sans rien faire le retour à la normale. D’où cette même question : pourquoi le mouvement à cabrer, à l’opposé de toute logique ?
Sur un plan strictement médiatique, l’association des familles de victimes avait incontestablement commis une erreur d’appréciation en réclamant à la Justice l’interdiction de la diffusion de l’émission, dépourvue de tout excès. Elle a aussi pris l’allure d’un jeu de rôles, retraités, avocats, pilotes-experts et pilotes-conseillers saisissant l’occasion pour renforcer leur petite notoriété, le ton utilisé par les uns et les autres étant, comme il se doit, teinté de suspicion. Parmi eux, seul Jean-Pierre Otelli a tiré son épingle du jeu, encore que ses 14.000 heures de vol d’instructeur et de pilote de voltige relèvent d’une aviation qui n’est pas celle d’Air France. En revanche, si tous les pilotes de la Ligne disposaient d’un «airmanship» de la qualité du sien, la sécurité aérienne ferait certainement de sérieux progrès.
On retiendra aussi qu’Air France a enfin dérogé à la règle qu’elle avait elle-même édictée, ne pas s’exprimer pour ne pas risquer d’influer sur le déroulement de l’enquête. Une manière de faire qui, de toute évidence, n’a plus lieu d’être. Ce qui n’enlève rien au courage d’Eric Schramm, peu familier du cirque médiatique, et qui a trouvé les mots justes. Il faudra qu’Air France lui donne l’occasion de recommencer.
Reste, enfin, à évoquer la clef de voûte de l’émission de France 3, la technique de ce qu’il est convenu d’appeler le docu-fiction. Pourquoi pas ? Mais les acteurs choisis pour le jeu de rôles étaient-ils crédibles ? Personne ne pourra répondre à la question, faute de témoins du huis clos dans le cockpit. Lequel gardera à tout jamais une part de mystère, un problème que le monde de la sécurité aérienne voudrait ne jamais rencontrer sur sa route.
Pierre Sparaco-AeroMorning
(1)Erreurs de pilotage n°5, Editions Altipresse