Penser la base militaire : approches géographiques

Publié le 15 mars 2012 par Geo-Ville-En-Guerre @VilleEnGuerre
Voici un petit "détour" au sein de la série de billets "Afghanistan, du lieu symbolique à la symbolique des lieux" pour interroger la base militaire, par-delà le cas afghan. Détour soulevé par le 3ème billet "Les lieux de la présence étrangère" qui questionnait les ambassades et les bases militaires comme lieux emblématiques de la présence de la coalition internationale en Afghanistan.
Comment penser la base militaire dans le dispositif sécuritaire d'un théâtre d'opérations : lieu, haut-lieu, point, espace, territoire ? Comment penser la base militaire sur le territoire national ? Voici quelques pistes de réflexions pour croiser les différentes approches géographiques.


Penser la base militaire :approches géographiques

"La géographie humaine occupe un rôle prépondérant dans le fonctionnement d'une base. Comment ignorer l'éventuelle hostilité d'une population qui se voit imposer l'implantation d'une base étrangère sur son territoire ? Des répercussions sur la sécurité et le fonctionnement de la base doivent être appréhendées. On citera à cet effet l'envoi, en 1966, du 1er Bataillon de Police militaire en réplique aux attaques des Nord-Vietnamiens sur les bases aériennes américaines (notamment, la base de Da-Nang) ; ce dernier avait pour mission de sécuriser les bases" (Mickaël Aubout, "Géographie des bases aériennes", dans Paul-David Régnier, 2008, Dictionnaire de géographie militaire, CNRS Editions, Paris, p. 78).

A partir de l'exemple afghan (voir le billet "Afghanistan, du lieu symbolique à la symbolique des lieux (3) : les lieux de la présence étrangère"), on peut élargir la question de la base militaire, et constater qu'il ne s'agit pas seulement d'un lieu militaire, mais bien d'un lieu politique et d'un lieu du politique. On peut donc penser la géographie des bases militaires sous plusieurs angles : par la géographie militaire, on peut interroger la base militaire au niveau du théâtre d'opérations, et la constitution d'un réseau de bases servant au dispositif sécuritaire dans le territoire en guerre, mais aussi servant à la logistique, à l'approvisionnement, à la profondeur stratégique et au repli. Le géographe Mickaël Aubout a ainsi analysé "le réseau des bases aériennes servant aux opérations en Afghanistan" (Air & Space Power Journal, automne 2008). Une première approche consiste donc en la compréhension des réseaux produits par les bases militaires, qui dessinent ainsi une géographie de la sécurité pour le pays qui les déploient, que ce soit sur son territoire national ou à l'étranger. C'est ainsi que Mickaël Aubout a proposé dans le Dictionnaire de géographie militaire de Paul-David Régnier (CNRS Editions, Paris, 2008) une entrée sur la "Géographie des bases aériennes" (pp. 74-79) où il distingue plusieurs aspects de l'approche de la base aérienne par la géographie de l'implantation militaire.


Et tout d'abord, la logique de réseau à l'échelle mondiale en constante évolution : "dans cette perspective, il convient de différencier les bases aériennes nationales des bases aériennes à l'étranger. Chacun de ces "sous-réseaux" possède sa propre géographie. Au niveau du territoire national, la dispositif des bases correspond à une logique de défense du territoire et de projection des forces. (...) S'agissant des bases à l'étranger, leur répartition se fait en adéquation avec des zones stratégiques. L'intérê^t d'une base hors du territoire national est multiple. Outre une mise en oeuvre rapide de forces militaires aériennes et terrestres, elle permet à une nation de marquer sa zone d'influence" (op. cit., p. 75). C'est certainement l'approche la plus "évidente" (dans le sens de "spontanée") dès lors que l'on parle de la géographie des bases militaires, dans la mesure où elle interpelle la pensée stratégique et l'approche par la géopolitique mondiale. La base militaire est alors entendue comme un élément du dispositif sécuritaire et du déploiement de la puissance/de l'influence. C'est aussi l'approche qui donne lieu à de nombreuses représentations cartographiques, notamment à propos des bases militaires étatsuniennes hors du territoire nationale (que ce soit à l'échelle mondiale ou dans des aires régionales).

"Les Etats-Unis partout"
Source : Philippe Rekacewicz, Le Monde diplomatique, juin 2003.


Si la question de la présence des bases militaires est souvent utilisée comme un élément pour représenter la puissance étatsunienne, force est de constater que le langage cartographique est souvent "détourné" (de manière plus ou moins intentionnelle) pour produire un discours sur la présence étatsunienne dans le monde. Les "points" qui représentant une implantation locale sont souvent remplacés par des aplats figurant les "pays où est présente au moins une base militaire étatsunienne", ce qui laisse une impression, en regardant la carte, d'étendue là où la présence de l'armée étatsunienne est  fortement localisée, l'exemple le plus extrême étant les cartes localisation par aplats les pays où sont présentes des troupes étatsuniennes, sans précision et distinction quant à cette présence (à l'extrême, on peut se demander si un colloque réunissant des militaires ou des échanges dans les écoles de formation... font partie de cette présence dans ces représentations cartographiques ?). La carte ci-dessous (ainsi que d'autres qui sont présentes dans l'article d'où elle a été extraite) en est un exemple, et rappelle que la carte thématique est avant tout un discours (voir le billet "La carte-discours. Quelques éléments de réflexion" du 13 septembre 2009).

Un exemple de la "présence militaire" dans le monde où les aplats
produisent une sensation de la militarisation étatsunienne du Monde.
Si les bases militaires étatsuniennes se sont multipliées dans le monde
depuis les attentats du 11 septembre 2001, cette représentation par les aplats
donne à voir une présence sur l'ensemble des territoires nationaux accueillant
des "troupes militaires" - ici sans plus de précision sur l'objet de cette présence,
avec pour seule distinction les Etats où sont présentes des troupes (en rose),
les Etats accueillant troupes et bases militaires (en rouge - dont les
"nouvelles bases" installées depuis le 11 septembre 2001 en rouge hachuré
de blanc) et Etats sans troupes étatsuniennes (en blanc).

Source : Carte reproduite dans Jules Dufour, 2007, "Le réseau mondial des bases militaires US.
Les fondements de la terreur des peuples ou les maillons d'un filet qui emprisonne l'humanité",
Mondialisation.ca, site du Centre de recherche sur la mondialisation, 10 avril 2007.


Cas plus extrême encore puisque ne se confrontant qu'à la seule
question des bases, cette carte présente les bases militaires
étatsuniennes dans le monde en 2001-2003 : d'une part, une base ne
s'étend pas à l'ensemble du pays où elle est installée (ni même son aire
d'influence par ailleurs, certaines bases étant peu acceptées par la population
locale ou peu intégrée, par choix stratégique (conscient ou non), à
l'environnement local, enfermant ainsi la présence militaire dans la base.
D'autre part, dans ces deux cartes, certains Etats représentés en rose foncé
(présence d'au moins un base militaire étatsunienne) étonnent,
comme par exemple pour les Etats de l'Union européenne, qui semblent ici
ne pas avoir été considérée comme une multitude d'Etats contrairement
au reste de la carte (comme le montre le choix de faire apparaître sur la carte
les frontières interétatiques), mais comme une aire où la présence de bases
militaires dans certains pays vaut pour l'ensemble de l'Union européenne
comme présence de bases étatsuniennes sur le territoire national.

L'étendue 
de l'aplat est ici poussée à son extrême : à comparer
avec la représentation cartographique des bases militaires par figurés -
ce qui souligne un phénomène ponctuel et localisable, et non une étendue -
sur la précédente carte de Philippe Rekacewicz : l'impression du lecteur
n'est pas la même ! Une géographie subjective se construit donc par la carte
comme vecteur d'un message sur l'espace et l'occupation de l'espace.
A noter que dans les deux cartes présentées ici, le choix de la couleur est
déjà porteur d'un discours sur la présence militaire étatsunienne : les
rouges/roses portent en eux le symbole de la conflictualité (les bases
militaires ne peuvent donc être conçues, comme c'est le cas pour certaines,
comme issues de partenariats interétatiques et d'accords militaires).

Source : Jules Dufour, op. cit.


Il ne s'agit pas ici de critiquer les utilisateurs de ces cartes (ni même leur existence, puisque celle-ci est un moyen de comprendre, à condition d'en connaître les "clés", les intentions de l'auteur/du commanditaire de la carte), mais avant tout de rappeler que les cartes ne sont pas neutres, et que les éléments du langage cartographique, souvent mal maîtrisés, voire totalement méconnus (la carte dit "la vérité"), doivent être appréhendés pour comprendre en quoi les cartes produites par d'autres que nous pouvons utiliser n'ont pas toujours le sens de la démonstration voulue, et surtout en quoi elles sont un "outil" au service de démonstration qui n'ont pas toujours l'objectivité que le laisse penser la carte. Dans cette perspective, la géographie est aussi un décrypteur de ces éléments de langage cartographique qui produisent des représentations de l'implantation de bases militaires.
Autre aspect du questionnement de la base militaire par la géographie militaire souligné par Mickaël Aubout dans son article "Géographie des bases aériennes" : les contraintes matérielles et sociales sur l'implantation et le fonctionnement d'une base. Cette approche croise la géographie physique et la géographie humaine. La première interroge les conditions climatiques, hydrologiques, topographiques... comme avantages ou contraintes à l'installation et au fonctionnement de la base, mais aussi les interactions de la base militaire avec son environnement (notamment en termes de pollutions de l'air et sonores). La seconde "occupe un rôle prépondérant dans le fonctionnement d'une base" (Mickaël Aubout, voir la citation en début de billet). C'est de celle-ci dont on s'emploie ici de dégager quelques grands axes de grands réflexion, loin de couvrir l'ensemble de l'analyse de la base militaire comme objet géographique !
Les connaissances et les savoirs-faires géographiques sont ici des "outils" pour le militaire. La géographie militaire n'est plus alors la géographie du fait militaire, mais proposée ici comme géographie au service du militaire (voir l'article de Paul-David Régnier : "Un géographe au service des conflits : plaidoyer pour une géographie hors les murs", Tracés, HS n°10, 2010, pp. 173-186, qui reprend son intervention lors de la journée d'étude "A quoi sert la géographie ?" du 4 février 2010). Ces deux définitions s'entremêlent pour construire la géographie militaire dans son ensemble (voir le billet "Histoire de la géographie militaire" du 5 octobre 2008). Mais une base militaire ne doit pas être pensée seulement par le prisme du fait militaire ou du besoin du militaire en termes d'opérabilités seulement du fait de sa fonction. Ce serait réduire l'analyse d'une entreprise à la seule dimension économique, ou encore l'impact d'un lieu confessionnel à la seule géographie des religions. Plusieurs approches doivent être croisées pour comprendre l'ensemble des problématiques soulevées par la présence d'une base militaire, mais par sa fermeture.


Par la géographie urbaine, on peut questionner la base militaire comme élément de l'aménagement du territoire. Cet aspect a principalement été interrogé sous le prisme de la présence d'une base militaire dans le contexte du territoire national (voir notamment Jules Dufour, 1990, "L'impact régional d'une base militaire : les cas de Bagotville et de Goose Bay", Cahiers de géographie du Québec, vol. 34, n°93, pp. 333-347 ; Pierre Leroux (dir.) (avec les contributions de Pierre Bergel, Valérie Billaudeau-Magnan, Christian Pihet, Vincent Veschambre, Philippe Teillet, Yoann Veron et Philippe Violier), 2003, Présence et représentation de l'institution militaire dans la ville, Les documents du C2SD, n°54, mars 2003, 261 p.). Les évolutions de l'implantation militaire sont des enjeux de l'aménagement du territoire, dans la mesure où la présence des militaires a des conséquences sur la vie économique, sur les besoins en termes de logements, sur les besoins aussi en termes d'accueil dans les écoles pour les enfants de militaires ou d'accessibilité au marché de l'emploi pour leurs conjoint(e)s.Les enjeux des transformations de la "carte militaire" (voir sur le blog Secret Défense de Jean-Dominique Merchet les billets du 24 juillet 2008 : "Restructurations : voici la liste des unités qui vont fermer", "Restructurations : les grands déménagements" et "Restructurations : le diable se niche dans les détails" ; la vidéo de l'analyse de Jean-Dominique Merchet pour LCI le 24 juillet 2008 ; et la vidéo de l'émission C dans l'air du 28 juillet 2008 : "Casernes : à vendre !" avec Jean-Dominique Merchet, Jean-Vincent Brisset, Frédéric Pons et Yves Boyer) questionnent, au-delà des aspects économiques, la place des Armées dans l'espace social (et pas seulement, comme c'est trop souvent synthétisé dans les médias, dans l'espace économique) : "l’analyse du rapport du « militaire à la ville » est à envisager comme une mutation en train de se réaliser et qui relève d’explications multiples. On notera que les tendances lourdes d’évolution de l’institution constituent un cadre global dans lequel s’inscrivent des évolutions plus récentes (la professionnalisation). Le rapport avec l’environnement local s’articule avec ces évolutions globales. Enfin, c’est au niveau des individus (ou des groupes d’individus) que se traduisent très concrètement les changements. (...) L’étude des emprises militaires montre un retrait de l’environnement urbain. Ce retrait n’est qu’apparent puisque l’installation à la périphérie de la ville a permis à l’institution militaire de disposer des lieux adaptés à la préparation des missions des armées modernes. « L’armée » n’a donc pas disparu et les restes de sa présence « urbaine » sont encore importants tant sur le plan symbolique que par les témoignages conservés de ces emprises, aujourd’hui abandonnées (ou en voie de reconversion) mais qui marquent encore durablement l’espace urbain" (Pierre Leroux (dir.), 2003, Présence et représentation de l'institution militaire dans la ville, Les documents du C2SD, n°54, mars 2003, pp. 255-256). L'approche par la géographie sociale se situe à la croisée des questionnements sur les implications économiques de la (non-)présence d'une base militaireLa question des bases militaires peut aussi être interrogée par l'aménagement du territoire. "Avec l'élaboration en 2008 d'une nouvelle organisation territoriale les armées connaissent un bouleversement de leurs structures. Cette réforme s'inscrit dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) à la suite de la réalisation d'un Libre Blanc sur la Défense. La rationalisation des implantations militaires remet en cause le concours des armées à l'aménagement du territoire et les fermetures de site sont un traumatisme pour les villes qui dépendent largement des activités de Défense" (Florian Rapin, 2011, "Les nouveaux enjeux territoriaux de la réforme de la carte militaire", Revue Géographique de l'Est, vol. 51, n°1-2, paragraphe 1).A ce propos, voir l'ensemble du dossier "Restructuration d'espaces militaires et développement des territoires", Revue Géographique de l'Est, vol. 51, n°1-2, 2011 (en ligne).

  • Pierre Ginet, "Restructurations d'espaces militaires et développement des territoires" (Introduction)
  • Jean-Loup Chinouilh, "Restructurations militaires : avenir des emprises alinénées"
  • Pierre Ginet, "Les restructurations militaires en Lorraine : enjeux d'aménagement à différentes échelles"
  • Denis Mathis, "« Quand l’armée s’en va ». Approche géohistorique des restructurations des espaces militarisés : l’exemple du sud mosellan"
  • Florian Rapin, "Les nouveaux enjeux territoriaux de la réforme de la carte militaire"
  • Adrien Ndayegamiye, "Les restructurations militaires induites par la création de la Force de Défense Nationale au Burundi : perspectives et enjeux en termes de reconstruction identitaire et territoriale"
  • Audrey Liège, "De l'action militaire à l'après-guerre, une gestion toujours conflictuelle de l'espace : l'exemple des guerres du Golfe"
  • Anja Reichert-Schick et Ingo Eberle, "Beloved Heritage - Condemned Heritage. About the handling of fortification heritage within the border region Germany-France-Luxembourg"
La question de la restructuration des espaces du militaire n'interroge pas les cessations de terrains qu'au seul prisme de l'aménagement des territoires. C'est également la question du patrimoine militaire et du processus de patrimonialisation de certaines emprises militaires qui se pose, notamment lors du retrait de la présence militaire ou dans le cas de rénovation du patrimoine militaire (voir notamment "Le patrimoine militaire et la question urbaine", In situ. Revues des patrimoines, n°16, 2011 : lire un compte-rendu de lecture pour Les Cafés géographiques). Dorothée Chaoul-Derieux et Emilie d'Orgeix montrent ainsi que la symbolique des lieux "formate" les rénovations et la valeur qui leur est accordée dans les aménagements du territoire : notant "la diversité de la notion de patrimoine militaire" (paragraphe 6), elles distinguent "deux cas d'étude (qui) révèlent de manières très diverses les succès et vicissitudes du patrimoine militaire urbain" (paragraphe 7) : la reconversion de casernes et de bâtiments militaires d'une part, et les recherches et fouilles archéologiques d'enceintes militaires d'autre part.

A ce propos, voir l'ensemble du dossier "Le patrimoine militaire et la question urbaine", In situ. Revue des patrimoines, n°16, 2011 (en ligne). Voir également un compte-rendu de lecture de ce numéro pour les Cafés géographiques.
  • Dorothée Chaoui-Derieux et Emilie d'Orgeix, "Editorial"
  • François Comte, "L'enceinte gallo-romaine d'Angers devenue clôture canoniale : transformations, adaptations et déclassement d'une fortification (XIIIe-XVIe siècles)"
  • Claire Besson, "Les fortifications urbaines : une archéologie spécifique ? L'exemple de Paris"
  • Etienne Poncelet, "Le front oriental de Lille"
  • Fernando Cobos-Guerra, "Réhabilitation, gestion et mise en valeur touristique de l'enceinte urbaine d'Ibiza (Espagne)"
  • Philippe Grandvoinnet, "Les emprises militaires dans l'urbanisme grenoblois du XXe siècle : des opportunités foncières au patrimoine paysager"
  • Judith Förstel, "De la Seine au plateau : l'impact de la présence militaire sur l'urbanisme de Melun"
  • Marc Grignon et Ayse Orbay, "Réflexion sur la reconstruction d'un monument historique : l'avenir du Manège de Québec"
  • Rose-Marie Le Rouzic, "La caserne de la Visitation à Angers : réoccupation d'un ancien couvent de 1792 à 1904"
  • Thomas Zanetti, "La Manufacture d'Armes de Saint-Etienne : un patrimoine militaire saisi par l'économie créative"
  • Marie-Clotide Meillerand, "Les terrains militaires comme ressort de l'urbanisation au XXe siècle dans l'agglomération lyonnaise"
  • Claude Prelorenzo, "Patrimonialiser les bases de sous-marins et le Mur de l'Atlantique"
  • Renzo Lecardane et Zeila Tesoriere, "Bunker culturel : la régénération du patrimoine militaire urbain à Saint-Nazaire"
  • Bernard Cros, "Le patrimoine militaire de la rade de Toulon : histoire, territorialité et gestion patrimoniale"
  • Stephen C. Spiteri, "Avec l'aide de l'Union Européenne, Malte restaure ses fortifications"

La patrimonialisation des espaces du militaire est un axe de réflexion important, qui interroge à la fois la reconversion des bâtiments militaires et l'intégration des lieux militaires dans les espaces touristiques et les espaces culturels. Cette approche interroge à la fois la richesse architecturale, la valeur accordée par les sociétés à ce potentiel, et les parcours touristiques et culturels dans lesquels peut s'inscrire le patrimoine militaire. Cela renvoie à la question de la protection de ce patrimoine, qu'il soit ancien ou récent. A l'inverse, le lieu militaire peut provoquer une non-appropriation, voire un rejet, par les habitants et usagers de l'espace où il s'insère (notamment sur les théâtres d'opérations où le camp militaire constitue un lieu symbolique de la présence d'une armée ou d'une coalition armée étrangère). La destruction s'impose alors comme un moyen d'effacer du paysage cette présence vécue comme "indésirable". C'est alors l'expression d'un conflit de représentations dans la matérialisation des pouvoirs dans la ville. La question de la patrimonialisation des lieux militaires interroge la place du patrimoine et de la conscience patrimoniale dans les sociétés. Comme l'a montré le géographe Vincent Veschambre dans son ouvrage Traces et mémoires urbaines. Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition (Presses Universitaires de Rennes, collection Géographie sociale, Rennes, 2008), reprenant notamment Pierre Centlivres et son ouvrage Les Bouddhas d'Afghanistan (2001, Favre, lausanne, 172 p.), en Afghanistan le patrimoine est une question récente et est loin d'être une préoccupation première face aux urgences du quotidien (voir le billet "Afghanistan, du lieu symbolique à la symbolique des lieux (2) : destruction et appropriation" qui détaille cet aspect). Il n'y a donc pas une "valeur universelle" patrimonialisant les édifices militaires, mais des conflits de représentations et des conflits d'usage qui relèvent des particularismes locaux. La question de la patrimonialisation interroge également les espaces de la mémoire, à savoir comment espace et mémoire s'articulent pour produire un espace militaire, parfois par-delà le temps de la présence militaire elle-même.
A propos de la patrimonialisation des sites militaires, voir l'ouvrage collectif : Valoriser les patrimoines militaires. Théories et actions, sous la direction de Nicolas Meynen, Presses Universitaires de Rennes, collection Arte et Société, Rennes, 2010, 248 p. L'ouvrage reprend des communications du colloque éponyme (2008) et de la journée d'étude précédente sur le même sujet (2007). Voir le sommaire et les résumés.
  • Nicolas Meyen : "Introduction"
  • Manuelle Aquilina, Nicolas Meyen : "Patrimoines militaires : naissance et reconnaissance"
  • Bernard Cros : "Le patrimoine immobilier de la Marine"
  • Christine Jablonski et Martine Nicolas : "Fortifications littorales en Bretagne : actualité de la protection Monument historique"
  • Isabelle Dégremont et Thao Tran : "Les blockhaus : lieux de conflits, patrimoine de l'oubli ?"
  • Thierry Sauzeau : "Entre histoire et nature : la valorisation complexe du patrimoine militaire à Brouage"
  • Jean-Yves Besselièvre et Jean-Yves Éveillard : "La valorisation du patrimoine défensif finsitérien : l'exemple des batteries de l'Aber-Ildut (Lanildut) et de Tout Logot (Plougonvelin)"
  • Jonhattan Vidal : "La défense côtière de Guadeloupe : exemple d'étude préalable à la valorisation"
  • Martine Accerra : "Un arsenal, des arsenaux. Rochefort, patrimoine et territoire"
  • Freddy Dolphin : "Placer le patrimoine fortifié au coeur des problématiques d'aménagement : l'expérience du Nord"
  • Bernard André : "Patrimoine industriel militaire, un sujet complexe"
  • Christophe Cérino : "Entre reconversion et éradication, quelle place pour la problématique patrimoniale à la base des sous-marins de Keroman (1993-2008) ?"
  • Juan Torrejuan et Anny Gruska : "L'héritage de la négligence : les lignes de fortifications de la guerre d'Espagne dans la baie de Cadix"
  • Andreas Kupka : "Histoire et valorisation de la forteresse de Jülich"
  • Jean-Christophe Cassard : "Les fortifications de Bretagne au bon plaisir de la BD"
  • Nicolas Faucherre : "Conclusion"

Voir également les communications non publiées de la journée d'étude "Les patrimoines militaires. Théories et actions de la valorisation" (25 octobre 2007) et celles du colloque Valoriser les patrimoines militaires (22-24 octobre 2008), ainsi que des comptes-rendus des débats publics.
  • Ségolène Guéguen : "La Route des Fortifications en presqu'île de Crozon (2008)
  • Chritophe Pommier : "Patrimoines militaires en milieux urbains : réussites et combats à mener" (2008)
  • Hans-Rudolf Neumann : "La Route culturelle et touristique des fortifications de la Baltique" (2008)
  • Olivier Godet : "La reconversion du patrimoine militaire" (2007)
  • Isabelle Caron : "Quelques considérations sur la mise en valeur du patrimoine militaire au Canada" (2007)
  • Olivier Sauzereau : "Les difficultés de la mise en place de l'observatoire de la Marine de Brest" (2007)
  • Annick Cléac'h : "L'opération des Capucins à Brest. La prise en compte du patrimoine dans la création d'un quartier de ville sur une friche militaire complexe" (2007)
A retrouver l'ensemble du blog de l'association "Valoriser les patrimoines militaires".
A  propos des pouvoirs dans la ville, voir l'ensemble du dossier "Les pouvoirs dans la ville", L'espace politique, n°8, n°2009/2 (en ligne).
  • Céline Vacchiani-Marcuzzo et Catherine Fournet-Guérin : "Les Pouvoirs dans la ville" (Introduction)
  • François Hulbert : "L'espace politique de la ville : plaidoyer pour une géopolitique urbaine"
  • Adrien Fauve et Cécile Gintrac : "Production de l'espace urbain et mise en scène du pouvoir dans deux capitales "présidentielles" d'Asie Centrale"
  • Brij Maharaj : "Migrants and urban rights: politics of xenphobia in South African cities"
  • Quentin Marcké : "Géopolitiques urbaines et gentrification, une analyse critique à partir du cas de Paris"
  • Ronan Paddison : "Some reflections on the limitations to public participation in the post-political city"
  • Ludovic Méasson : "Territoire et construction du pouvoir collectif intercommunal - enseignements issues de la périphérie clermontoise"

La question se pose aussi de la base militaire comme espace de vie pour les militaires (voir le compte-rendu de l'exposition ). C'est d'abord la question de la géographie dans la base militaire : "il existe également une géographie interne à la base, de par la disposition et l'agencement des différentes infrastructures qui la composent" (Mickaël Aubout, "Géographie des bases aériennes", op. cit., p. 78). Mais c'est aussi la base comme espace de vie : dans l'exposition L'Afghanistan et nous (2001-2009), "les photographies des militaires eux-mêmes ou des photographes les prenant comme sujets montrent bien que "l’encampement" dans une guerre n’est pas seulement le fait des civils retranchés dans des camps de déplacés/réfugiés : il se traduit aussi par les territorialités des militaires qui s’approprient difficilement le territoire afghan en tentant de contrôler des espaces stratégiques depuis leur base : le quadrillage sécuritaire répond donc d’une logique de mise en réseau des territoires "pacifiés" autour du camp militaire qui se construit comme une centralité dans leur espace de vie au cœur de cette guerre. Patrouilles, prise de points stratégiques, positionnement pour l’observation... les divers déplacements et "immobilités" des militaires sont ainsi photographiés pour montrer comment la coalition internationale tente de maintenir sur le territoire afghan un quadrillage sécuritaire" (Bénédicte Tratnjek, 2009, L'Afghanistan et nous (2001-2009), Les Cafés géographiques, rubrique Des Expos, 1er décembre 2009, paragraphe "Territoires du militaires"). Polarisant les (im)mobilités des militaires et leurs activités (y compris pour les bases sur le territoire national, en tant qu'espace de travail), la base militaire se retrouve au coeur des pratiques spatiales des militaires.

Par la géographie culturelle, enfin, la symbolique des lieux révèle les acceptations sociales et culturelles de la base militaire, la production d'espaces militaires, les appropriations identitaires, les conflits de représentations... C'est l'un des aspects développés dans le billet "Afghanistan, du lieu symbolique à la symbolique des lieux (3) : les lieux de la présence étrangère". La base militaire est un lieu chargé de symboles et de valeurs qui produisent des interactions avec l'environnement local.

=> Ces pistes de réflexion , loin d'être exhaustives quant à la richesse des approches géographiques, ont pour objectif de montrer, si besoin est, la pertinence de la géographie dans la réflexion sur les conflits, tant dans ses problématiques englobantes (la géopolitique mondiale), dans son approche de terrain que dans sa compréhension des réalités locales qui sont au coeur du quotidien des habitants "ordinaires", des militaires engagés sur des théâtres d'opérations, des humanitaires... La géographie est un outil pour la pacification des territoires !


Quelques billets sur "Géographie de la ville en guerre" sur les espaces du militaire et les espaces militaires


  • "Espaces des combattants et espaces militaires à Mitrovica (1) : quelles approches géographiques ?" (26 octobre 2008)
  • "Espaces des combattants et espaces militaires à Mitrovica (2) : la démarche en géographie militaire" (26 octobre 2008)
  • "Espaces des combattants et espaces militaires à Mitrovica (3) : la démarche en géopolitique urbaine" (29 octobre 2008)
  • "La géographie en poster (3) : La biogéographie militaire" (6 novembre 2008)
  • "Géographie des opérations militaires à Mitrovica" (3 février 2009)
  • "MOUT : Military Operations on Urbanized Terrain" (7 juin 2009)
  • "Les militaires français en Afghanistan" (4 août 2009)
  • "Les camps dans la région d'Abéché (2) : la militarisation de la ville" (27 décembre 2008)
  • "L'Afghanistan et nous (2001-2009)" (1er décembre 2009)
  • "Et si on s'intéressait à la façon dont les militaires pensent la ville ?" (8 février 2010)
  • "Haute tension. Des chasseurs alpins en Afghanistan" (15 octobre 2010)
  • "Les militaires et les géographes" (7 mai 2010)
  • "Géographie vécue : Sarajevo et la lutte anti-sniper par le Colonel Goya" (6 janvier 2012)