Un article d'Anderson DOVILAS (Haïti).

Par Ananda

Pour en finir avec cette dérogation littéraire en Haïti

Toutes les portes sont fermées, laissez passer ce jeune c’est un ami de la famille. La littérature n’a qu’une seule porte d’entrée, toutes les bénédictions nous reviennent ...

Il suffit de rassembler les affiches de conférences à l’institut Français d’Haïti, à la DNL (Direction Nationale du Livre) et autres endroits de consommation littéraire de qualité (quelques rares lieux ont échappé à cette épidémie gérontocratique), de collectionner les articles prestigieux parus sur la littérature haïtienne en Haïti ou à l’étranger, pour comprendre qu’à chaque événement les mêmes têtes se retrouvent.   

« Le 23 Aout 2004, Les Presses Nationales d’Haïti ont lancé leurs propres éditions sous le même label. Cet outil permettra aux Presses Nationales de rééditer des livres de référence, publier des œuvres capitales, éditer des auteurs susceptibles de contribuer au renouvellement des lettres haïtiennes et démocratiser le prix du livre », a poursuivi Willems Edouard.

Les éditions des Presses Nationales d’Haïti prévoient de publier des livres dans quatre autres collections : Intemporel (classiques de la littérature haïtienne) Souffle Nouveau (auteurs contemporains), Pensée (essais, analyses), Méthode (ouvrages didactiques).

Source, Alter-Presse, 30 Aout 2004.

Ce qu’il faut surtout souligner dans cette Collection Souffle Nouveau (Koleksyon souf nouvo), c’est que les mêmes auteurs ont été édites et réédités. Autrement dit, est-ce qu’il n’y a pas eu de manuscrit déposé venant des jeunes qui serait à la hauteur de ce renouvellement ? Sans aucune prétention, nous pouvons constater que, depuis un certain nombre d’années, l’acceptation d’un jeune écrivain haïtien se fait d’abord à l’extérieur, avant de jouir des privilèges notoires dans son propre territoire. Ce qui offre une large possibilité d’être exploité par des éditions étrangères. Une simple préface de Trouillot, de Castera, de Franketienne etc. peut faire d’un jeune un génie. Ou du moins, une simple publication avec une édition en France, au Canada et j’en passe, même s’il s’agissait d’une maison quasi-inconnue, peut faire ce même effet. En passant je n’ai rien contre le fait d’être préfacé par quelqu’un qui a déjà fait un travail salutaire dans la littérature haïtienne, ou d’être publié à l’étranger. Mais la course à la reconnaissance des jeunes et le refus de reconnaissance de la part des ainés dérangent beaucoup. Et nous pouvons citer à titre d’exemple des livres à trois et même à quatre notes d’appréciations. Qui sait combien de corruption cette perspective littéraire nous réservera à l’avenir. Puisque nous avons atteint la formule liée à l’imposition des mains, où il faut oindre les poètes de cette nouvelle génération littéraire pour les faire connaître.

Une littérature à l’image du pays

Mise à part cette crise clanique dont souffre la littérature haïtienne, il y a aussi la crise de l’institutionnalisation littéraire. Comment comprendre qu’en 2012, nos auteurs les plus prestigieux cherchent aussi la reconnaissance de l’ailleurs ? Se mettre au défi de gagner des prix littéraires à l’étranger, par exemple Médicis, Renaudot et Goncourt. Qu’est ce qui empêche ces autorités des lettres haïtiennes de créer une maison d’édition avec un prix littéraire de prestige dans leur propre pays ? Faut-il affirmer notre petitesse de peuple dans tous les domaines, faut-il s’engager à jouer dans la cour des grands pour une meilleure image de l’Art haïtien ?

On ne peut considérer les faits littéraires comme des faits qui se réfléchissent en un lieu, dans un espace, ou dans toute forme génératrice de modèles. Parce que le créateur n’obéit pas à une formule applicable par tous, mais de préférence utilise un ensemble de techniques comme base pour arriver à d’autres techniques. Dans le cas contraire, ce serait banaliser le potentiel humain dans son dynamisme, qui lui prodigue aussi une dimension culturelle unique. En ce sens, les jeunes n’ont pas besoin d’une écriture justifiable par quiconque. Ils n’ont besoin que d’être justifiés par les faits littéraires qui constituent leur matériel sensible, servant à caractériser les moments littéraires. Il nous faut donc casser ce mythe, avant d’être claquemuré par nos propres mains. En effet, ce fut un scandale qu’au Festival du Livre « Etonnant Voyageur », Georges Castera ait pu affirmer, avec outrecuidance, sans réserve aucune, devant plusieurs vingtaines de personnes : « les jeunes qui publient de nos jours publient sous nos supervisions, en dehors de ce privilège, ils ne publient que de la merde. » (Source Claude Sainnécharles). Il n’était pas le premier et ne sera pas le dernier, tant que nous continuons à pleurnicher pour une bénédiction qui ne peut bénir. Sans comprendre qu’il est temps de rompre avec cette tradition de littérature méritocratique. Et de nous regrouper autour d’une idéologie, semblable à celle de nos ancêtres pour nous libérer de toute forme de main mise.

Ainsi, cette réflexion nous permettra de comprendre que nos ainés subissent eux-mêmes ailleurs le même sort qu’ils nous font subir à nous dans le pays. Et que la priorité doit être pour aujourd’hui, celle de trouver comment créer une littérature autonome, en faisant vivre nos lettres par elles-mêmes, sans l’intervention d’une note de référence, et l’attente d’une appréciation d’outre-mer.

   Anderson Dovilas,

poète