Où je m'immerge une journée dans la misère du Monde

Publié le 14 mars 2012 par Spartac

Le rendez vous était fixé àmidi et demi. La veille, je m'étais rendu à un entretien d'embauche d'unecompagnie de marketing. Reçu par le directeur qui m'avait exposé de manièresuccincte le fonctionnement de son entreprise, je l'avais de toute évidence intéressépuisque j'étais convié à une seconde entrevue, cette fois pour voir sur unejournée leur fonctionnement.
Convié une seconde fois pourun emploi, j'avais évidemment accepté. Conformément aux consignes je me suisdirigé à l'heure dite vers leur bureau, dans des chaussures confortables commeindiqué, et vêtu du costume cravate de rigueur. Enfin, n'en ayant guère qu'un àma disposition, nécessitant une visite au pressing, avec quelques taches quej'essayais de cacher au mieux, comme celle de ma cravate, en plein milieu évidemment.
Des bureaux, j'en aidécouvert une multiplicité durant ma recherche de travail. Des ruches fourmillantesaux locaux sordides. Ici, c'est à un open space design avec mezzanine que jesuis confronté, avec hôtesses à voix charmeuses et musique de fond tendance.Cette fois pour une seconde visite je n'ai pas droit à la salle d'attente dubas, réservée aux nouveaux venus, mais à la mezzanine ou je vais patienter àcoté de ce qui est sans conteste un jacuzzi, en compagnie d'un écossais àl'accent prononcé fan de AC/DC. Enfin c'est la seule chose que j'ai pucomprendre de cet accent du nord, entre mots à moitié avalés et roulages de R.
Après une longue attente, àcompter les solives du toit, la journée peut commencer. J'ai la chance pour majournée qui sera d'observation d'être sous la houlette du directeur lui même,qui va chapeauter un jeune employé, Miguel, visiblement en délicatesse avec lemétier.
Direction le terrain. Jevais enfin savoir ce qu'il en retourne. Après une introduction de la compagnie,ainsi qu'une évocation de son cursus personnel, je suis mis dans la confidencepar le directeur. La compagnie fait du markéting direct, c'est à dire uncontact direct avec les clients potentiels. Je pense benoitement que notredestination est un centre commercial, mais je comprends que ce démarchage sefait de porte à porte.
C'est vers Brixton que nousallons. Brixton pour ceux qui ne connaissent pas Londres, c’est unquartierou l’on retrouve uneforte communauté africaine et caribéenne. C’est aussi un chômage nettement plusélevé que la moyenne nationale. C’est ici qu’en avril 1981 éclatèrent deviolentes émeutes après une interpellation musclée. 30 ans après le quartiers’était à nouveau enflammé lors des émeutes de l’été 2011.

Un monde d'entraide, un monde parfait...

La cible la voilà. Ledirecteur dévoile avec un verbe tout commercial les raisons de cette démarche,la plus grande proximité avec les gens, le retour direct. Le client, VSO, uneONG qui envoie des volontaires en Afrique. Nous allons démarcher les gens chezeux afin de leur demander un soutien financier régulier. Arrivé à la station deBrixton, après un claquage de main avec les autres commerciaux se dirigeantsvers leur secteurs respectifs, nous voilà partis vers le notre.
A ce stade, je me demande déjàce que je fais ici. Surtout qu’en avançant, nous nous dirigeons vers lesquartiers les moins avantagés. Le directeur et l’employé novice enfilent leurssuperbes chasubles de l’ONG qui ne dépareilleraient guère lors d’unemanifestation, et le travail commence. C’est parti pour huit heures de porte àporte.
Il est deux heures et demie.A ce moment de la journée ce n’est évidemment pas des gens travaillant que l’onpeut rencontrer, ce sont des mères de famille, des chômeurs ou des retraités.Aussi le travail consiste ici plus à tâter le terrain. Le jeune employé intimidébredouille les présentations,souvent relayé par le directeur, qui affiche le sourire chaleureux d’unvendeur de mutuelle, la poignée de main aussi franche que ses intentions. Jevois devant moi se dérouler la panoplie du parfait commercial. Tout est bonpour attirer la sympathie. S’agit il d’une mère de famille avec son enfant, lesourire au petit censé briser la glace, s’agit il d’une personne d’origine Caribéenne,des questions sur son pays.
Mais le métier est ingrat,les portes fermées succèdent aux refus. Pourtant au bout d’une heure lapremière prise va arriver. Il s’agit ici de Robert, un jamaïcain sexagénaire.Dans une maison de banlieue anglaise typique, il nous ouvre la porte. Face au directeurqui récite son petit discours, un homme que l’on sent fragile. La voixsuggérant l’absorption de médicaments ensommeillant. Il se dit intéressé par lacharité, répond par monosyllabes, et face à un commercial convaincant, nousinvite à le suivre dans sa cuisine, où fleure bon l’odeur d’une marmite depoulet sur le feu. Il se voit alors expliqué l’importance de son soutien, etremplit un formulaire de parrainage. Enfin rempli, le directeur s’en charge,sans laisser le temps à ce pauvre homme de réfléchir. La cuisine est vieille,l’évier couvert de tartre, des taches de cuisine jonchent les murs dont lapeinture s’écaille, et la maison est étroite. La nausée monte en moi. Non dufait de l’odeur de cuisine, mais de la sensation malsaine de voir une arnaquedevant moi, de voir un homme privé de sa volonté par le boniment d’uncommercial expérimenté, qui va se faire extorquer 8,50£ par mois pendantun an ou plus. Un homme de surcroit au chômage, et quand on sait que lepaiement ici est de 65£ la semaine, on se demande comment ce pauvre homme peutfaire ce geste. Il s’exécute cependant dans un état comme second, et nous donneses détails bancaires. Première mission accomplie…
Une fois les remerciementsd’usage donnés, nous laissons cet homme, non sans lui avoir laissé la preuve deson engagement avec la photo de la personne qu’il parraine, un professeurbénévole envoyé au Rwanda, car comme le disait Nelson Mandela revisité par ledirecteur marketing, l’éducation est la clé.
Nous repartons. Je n’avaispas envie de ce travail auparavant, j’en ai désormais un dégout profond… Jepoursuis cependant l’aventure, curieux de connaître ce monde. Il est ingrat, ledirecteur m’explique que nous cherchons les 10% de gens susceptibles de donnerspontanément, soit dans notre cas, au mieux 3% des personnes que nous pourronscroiser aujourd’hui chez elles. 3% et un nombre conséquent de refus et deportes claquées.
Ainsi pendant des heures sepoursuit notre route, de refus en refus, de personnes souhaitant s’engager etne le pouvant. Contrairement à la France, les britanniques donnent un accueilplus favorable à ce type de démarches, et c’est dans une banlieue défavoriséeque l’on trouve le plus d’ames charitables semble t’il.
Il y a aussi les risques,devant un pavillon mal entretenu, la porte entrouverte par un homme gigantesquebandana à la bad boy sur la tête, le regard méfiant, et pour tout direinquiétant. Nous ne nous attardons pas sur cette maison, le directeur me disantaprès qu’il y a des lieux où il ne rentre pas, où l’on sent qu’il ne rentre pasdans les détails, pour ne point apeurer un employé potentiel. Bien sur, enchemin, m’est déroulé des cours de marketing pour béotien de cours du soir. Deslieux communs sur les avantages et les désavantages de la publicitétélévisuelle, par papier… Aussi offerts à mois, les méthodes de réussite duparfait démarcheur, les 5 points pour réussir une conversation, les 8 points dela réussite du parfait commercial.
Le temps et long, le jeuneemployé est toujours aussi peu efficace, n’arrivant pas à parler aux gens, saufdans le cas d’une femme péruvienne comme lui parlant en espagnol. La pausedéjeuner arrive enfin.
Dans un fast food local ledirecteur continue ma formation, j’en apprends plus sur les méthodes depromotion. Tout le monde commence par la base, et tout le monde doit pendant 7mois démarcher à domicile. J’en apprends surtout plus sur le système derémunération… Chaque contrat conclu et confirmé dans les deux semaines donne25£ au démarcheur, et c’est tout… Pas de prise en charge des transports auxprix prohibitifs sur Londres, pas de prise en charge des repas. Un salaireuniquement commissionné, la belle affaire.
Déjà écoeuré pour lesclients, j’en deviens ecoeuré pour les employés. Le novice d’aujourd’huitravaille ainsi depuis deux semaines sans salaire. Une de formation, une passéesur le terrain sans résultat, huit heure de marche par jour pour ne pasrécolter un centime… De la pitié pour les proies me vient de la pitié pour lesapprentis chasseurs.
Je finis dans ces réflexionsla tournée. Elle se termine à 8 heures et demie du soir, dans le froiddésormais mordant, sans aucun autre contrat supplémentaire conclu. Le bilan denotre néophyte sera nul encore une fois, dur apprentissage d’un métier. J’ai dela sympathie pour le directeur qui a gravi durement les échelons depuis sonarrivée de Bulgarie, et qui considère ce métier comme un ascenseur social. Jene peux également m’empêcher de penser aux « Portes de la Gloire »,et à l’exploitation du misérabilisme.
Mêmes ficelles, mêmes cibles.Seuls les mandataires sont plus valorisants. Il n’est pas proposé aux gens undictionnaire ou un aspirateur, mais une modeste contribution de 25 pence parjours, 8,50 £ par mois et ainsi de suite, à une organisation caritative. Danscette banlieue pauvre, nous avons rencontré une femme nous disant étant déjàinvestie dans 20 organismes différents…

Petit Panda a besoin d'argent

Lesclients de cette démarche, ce sont des ONG, dans ce cas VSO, mais aussi pourcette compagnie, WWF, la Croix Rouge, d’autres encore utilisent les mêmescanaux. S’appuyant sur des compagnies construites sur un mode pyramidal, avecune compagnie originelle à Boston, essaimant dans plusieurs pays, etmultipliant les bureaux. Pas de couts pour ces ONG qui reversent juste unepartie des contrats conclus aux démarcheurs et aux dirigeants… Les démarcheursont comme perspective idéalisée le management sous 10 mois, avec un salaire potentieltenu secret mais présenté comme avantageux.
Enattendant, les heures à marcher dans le froid, à ranger sa fierté malmenée parles refus, à oublier ses principes annihilés par le public visé. Les cibles nesont pas à Notting Hill, Kensington, Hamstead ou un autre quartier aisé. C’estvers Brixton Peckham, Bermondsey que se tourne les agences.
Sousprétexte de charité, sous l’appellation réelle d’œuvre humanitaire, les ONGcitées plus haut se financent sur la misère des gens d’ici, entrainants laprécarité des commerciaux de terrain. Les gens de conditions modestespartageant une part du peu dont ils disposent pour venir en aide aux plusdéfavorisés. Des commerciaux poussés au chiffre et amenés à renier leur moralepour survivre, ce monde est bien triste.
J’ailaissé mes compagnons d’un jour à la station de métro. Je leur ai dit ne pointvouloir retourner au travail de terrain. Je n’ai pas voulu anéantir leur monde,leur dire tout le mal que je pensais de ce système.
C’estdonc ainsi que marche les choses, les pauvres aident les pauvres, l’argentcoule à la City, et un chômeur fatigué par la vie donne une petite part de safaible pension pour les pays défavorisés. Je ne verrai plus les ONG pareils.Alain Finkielkraut considérait que les personnes s’engageants dans une cause sedonnaient bonne conscience. Les stars faisant leur promotion se l’offrent sansdoute, les gens d’en bas se la font extorquer… Les bénévole des ONG sur leterrain savent ils seulement d’où proviennent leurs financements ? Il esttemps que les choses changent…