Les séparées, c’est l’histoire d’une grande amitié entre Alice et Cécile, qui naît dans les années 80, quand elles sont encore enfants. Mais c’est aussi l’histoire de la fin de cette amitié, et des raisons obscures qui font que, si forte qu’elle eût pu être, cette union se délite et les sentiments se transforment en ressentiments…
Mais comment les deux femmes sont elles parvenues à ne plus se comprendre, presque à éprouver de la haine l’une pour l’autre, du moins dans l’esprit de Cécile, qui semble ne pas vouloir pardonner à Alice certaines de ses attitudes ? Cécile convie son amie dans un café, pour tenter de lui parler. Une liaison aussi forte conserve toujours certains chainons d’une grande résistance, même si les deux personnes sont aux antipodes l’une de l’autre. Il y a toujours des souvenirs brillants qui refont surface, même lorsque la noirceur semble s’être installée durablement. Alice rencontre Cécile, après une longue période d’absence, cinq ans, pour tenter de comprendre. Cécile a changé, elle garde une part de son apparente assurance, mais semble aigrie… Elle est rongée par l’amertume, nourrit des reproches à son ancienne amie. Pourtant, elles ont tout partagé pendant plus de trente ans. Comment se fait-il qu’une union si complète, si fusionnelle, se soit fissurée, au point d’éclater…?
Plus tard encore, Cécile se retrouve dans un semi coma. Comment son état va-t-il l’influencer ? De quelle façon revoit-elle sa compagne ? Dans une sorte de délire, elle écrit des lettres imaginaires à Alice, elle lui parle avec la force de son cœur, désencombré cette fois des tracas matériels. Peu à peu, le lecteur découvre, par bribes savamment amenées, la vie de ces deux femmes, depuis leurs premiers pas, jusqu’au mariage, en passant par leurs coquineries de jeunes femmes. Tout un univers se dresse, à deux voix fortes, entrelacées. On découvre une relation subtile, extrêmement riche, où apparaissent de nombreux personnages secondaires, Philippe surtout, qui jouera un rôle fondamental dans le développement de la relation entre les deux femmes, frère de l’une, amant de l’autre.
L’auteure dessine une toile aux ramifications multiples, dense et profonde à la fois. Si cette histoire ne possède guère d’éclat en apparence, pas vraiment d’intrigue, d’action forte, pas de drame majeur, elle nous emporte toutefois, pour peu qu’on y soit sensible, dans les méandres d’une relation singulière. C’est par petites touches que sont dessinées ces natures féminines d’une grande profondeur, originales et pourtant si communes. La force est peut-être là, d’esquisser des personnes comme tout le monde, avec un talent qui leur donne une lumière diffuse mais intense. Tout en sensibilité, en émotion, avec d’infimes nuances, portées par une plume agréable… Le lecteur aura toujours envie d’aller plus loin, de découvrir ces deux personnalités, de savoir pourquoi, un jour, cette union dense comme le roc a volé en éclats. Par contre, un bémol quand même, les références musicales qui m’ont parues simplistes, les premiers noms populaires qui viennent à l’esprit, à contretemps. Les artistes, cités comme actuels en ’80, sont plutôt ceux des années ’70…« Philippe devint le héros des histoires qu’elle s’inventait, elle omettait de dire à Cécile que l’objet de ses fantasmes avait un visage familier. Cécile aussi rêvait. Toutes deux vivaient dans un monde parallèle où se côtoyaient des idoles et des êtres sortis de leur imaginaire, elles en étaient fières. Lorsqu’elles en parlaient à leurs camarades, on les regardait sans comprendre. Elles se trouvaient particulières, et riches de posséder un univers souterrain. Dans celui-ci, Alice était irrémédiablement amoureuse de Philippe. Dans le monde réel, le chaos régnait dans son esprit. Peu lui importait qu’elle le voie ou non, la distance ajoutait au mystère de ses sentiments, les intensifiait. »
Les séparées de Kéthévane Davrichewy. Éditions Sabine Wespieser.
Date de parution : 12/01/2012