Dans une interview du Monde daté du 14 mars, Patrick Buisson, présenté comme le stratège de la campagne de Nicolas Sarkozy, livre une analyse catégorique, chiffres à l’appui, sur l’érosion tendancielle du candidat François Hollande et la victoire programmée du Président sortant. Publié au lendemain d’un premier sondage fort opportun donnant ce dernier, pour la première fois, en tête des intentions de vote du premier tour, et 48 heures après le tonitruant meeting de Villepinte, le propos du conseiller ressort cependant plus d’une stratégie de communication que d’une analyse sérieuse des données.
Un croisement des courbes ? Voire…
Il paraît assez normal que, sous le feu de l’offensive de Nicolas Sarkozy, l’opinion s’interroge. D’autant que le combat du chef de l’Etat ne se limite pas à des effets de forme mais consiste à construire progressivement un récit du projet qu’il propose aux Français. Sondés le jour même et le lendemain d’une séquence médiatique tout entière centrée sur le plus grand meeting de campagne du Président sortant, les futurs électeurs ne paraissent toutefois pas si prompts à se résoudre dans les raisonnements et les convictions de M. Buisson.
Qu’en est-il, en effet ? A peine un institut de sondage s’empressait-il de livrer le scoop tant attendu d’un croisement des courbes au premier tour qu’un autre le contredisait aussitôt en donnant un résultat très conforme à la tendance observée depuis plusieurs semaines : la course en tête du candidat socialiste, devançant de plusieurs points son principal adversaire. Précipitation zélée de l’un ou analyse caduque de l’autre ? Les prochaines livraisons de données permettront certainement d’y voir plus juste. A condition, toutefois, de raisonner sur la moyenne des résultats obtenus par les différents instituts.
M. Buisson ferait d’ailleurs bien de s’en inspirer en consultant les tableaux mis à jour régulièrement par l’un d’eux ! Son argumentation chiffrée gagnerait en solidité. « Depuis novembre, explique-t-il en effet, la courbe des intentions de vote de François Hollande est orientée à la baisse ». Or, l’analyse objective des moyennes d’intentions de vote de premier tour dit exactement le contraire ! Le 21 novembre 2011, le candidat socialiste se situait à 30,5 %. Le 5 mars dernier, ce chiffre était de 29,7 %. « La tendance en faveur de Nicolas Sarkozy, depuis son entrée en campagne, ajoute le conseiller du chef de l’Etat, est non moins incontestablement haussière ». Que disent les mêmes moyennes ? Le président sortant était situé à 25 % le 13 février et à 25,6 % trois semaines plus tard…
Cristallisation électorale et campagne officielle
Pour une fois très critique à l’égard des sondages, M. Buisson balaie également d’un revers de main les données disponibles concernant les intentions de vote du second tour. Son argumentation, fondée, s’appuie sur leur fragilité intrinsèque toujours suspendue aux mécaniques de reports des voix, elles-mêmes actionnées par la dynamique du résultat du premier tour. Il n’empêche que 2012 constitue un cas unique dans les annales de l’élection présidentielle au suffrage universel : depuis six mois, et à cinq semaines du premier tour, tous les instituts sont unanimes pour livrer des intentions finales qui donnent toutes largement gagnant l’un des deux principaux candidats.
Or, l’expérience montre qu’à ce stade de la campagne et de la cristallisation des opinions, l’effet des cinq dernières semaines de combat électoral reste mesuré sur le résultat définitif. Ceci s’explique notamment par le fait que les règles très strictes d’égalité des temps de parole et d’antenne dans les médias audiovisuels pour tous les candidats profitent généralement plus aux « petits » qu’aux « grands ». Ceux-ci, généralement, subissent une érosion proportionnelle à l’émergence de certains de ceux-là.
Dès lors, si rien n’est évidemment encore définitivement joué, au moins les assertions chiffrées de M. Buisson apparaissent fantaisistes. Procèdent-elles de la méthode Coué qui permettrait de croire que 2012 ressemble à 2007 ? Tout laisse penser, au contraire, que le contexte est radicalement différent. Quand, il y a cinq ans, deux nouvelles figures de la droite et de la gauche s’affrontaient, chacune en rupture avec son propre camp, c’est aujourd’hui un Président sortant qui sollicite le renouvellement de son mandat à une opinion profondément déçue. La victoire de François Hollande, dans ces conditions d’ailleurs, ne devrait pas mal être interprétée. Ce serait surtout la défaite de Nicolas Sarkozy.