Lors du passage de Jean-Luc Raharimanana à Afriqua Paris il y a un an, nous avions eu l’occasion d'écouter cet homme très discret, de le voir défendre le roman du jeune Serge Amisi, d’échanger avec le romancier et poète malgache, et de personnellement me faire dédicacer Portraits d’insurgés - Madagascar 1947.
Ce fut une rencontre en petit comité, une quinzaine de personnes si je me souviens bien. Une des plus belles rencontres d’Afriqua Paris de mon point de vue.
Dans ce livre magnifiquement illustré par les photos de rescapés de la répression française qui suivit l’insurrection nationaliste de Madagascar en 1947, Raharimanana donne la parole, souvent pour la première fois aux survivants des massacres de l’armée coloniale française appuyée par ses troupes sénégalaises. Ce photo-documentaire fait suite au 60ème anniversaire de ce violent retour de bâton que subirent les insurgés dont la plupart, octogénaires, en ont un souvenir frais et douloureux. Une occasion pour l’homme de lettres d’interroger la barbarie des méthodes utilisées pour réprimer et assujettir les renégats aux yeux de la métropole. Une occasion pour ironiquement s’ébahir sur les aspects positifs de la colonisation à Madagascar.
Aspect positif de la colonisation, persiste-ton à dire aujourd'hui, affirmer ainsi qu'il était salutaire de procéder à des massacres à grande échelle pour apporte le bien.Mots de Raharimanana
La France honore ses grands conquérants. Place Joffre. Place Faidherbe. Rue du Général Cavaignac. Pour Madagascar, ce fut Gallieni. Voici une de ses instructions pour la pacification de l'île : Toute agglomération d'individus, race, peuple, tribu ou famille, représente une somme d'intérêts communs ou opposés. S'il y a des moeurs et de coutumes à respecter, il y aussi des haines et des rivalités qu'il faut savoir démêler et utiliser à notre profit, en les opposant les unes aux autres, en nous appuyant sur les unes pour mieux vaincre les autres. [...] On appela cela la politique des races, diviser pour mieux régner, une division toujours source de problèmes actuels de l'île, de l'île comme de bien d'autres anciennes colonies.
Etrange ainsi d'arpenter les rue de Paris et de croiser la mémoire de mes assassins, absurde...
Les témoignages sont relativement courts. Ces personnes âgées n’ont pas de temps pour de vains discours. Il souligne leur étonnement face à l’entreprise du jeune malgache. D’autres n’ont pas revu de blancs depuis cette terrible épreuve et le font remarquer à Pierrot Men.
De manière synthétique, ils racontent l’inimaginable. C’est d’autant plus étourdissant que l’on sort à peine de la seconde guerre mondiale et de ses camps de concentration. Vu sa teneur, ce livre n’est pas destinée à connaitre un succès en France. Mais, il faut espérer que ces voix des anciens qui disparaissent un à un seront relayées par une large diffusion auprès de la population malgache. Car le second crime serait d’oublier.
Il faut souligner le travail magnifique de photographie de Pierrot Men qui a choisi le noir et blanc comme teinte. Sûrement à cause du caractère macabre de toutes ses révélations. Sûrement pour réduire une distance chronologique. Peut-être tout simplement parce que l'ambiance qu'il aime accorder à ses photographies. En tout cas le rendu de ces hommes et femmes restés dignes donne une dimension particulière à ce livre.
Raharimanana, Pierrot Men – Portraits d’insurgés, Madagascar 1947Editions Vents d’ailleurs, 1ère parution en 2011.