On pensait la question du protectionnisme bannie à tout jamais, et pourtant, elle fait partie des programmes de quasiment tous les candidats à l’élection présidentielle de François Hollande à Marine Le Pen en passant par François Bayrou et Nicolas Sarkozy. Le protectionnisme qu’on avait lynché il y a peu, devient aujourd’hui la solution magique. Alors miracle ou désastre ?
Le protectionnisme, barrière contre l’Histoire ?
Les êtres humains ont toujours été tentés de protéger des autres ce qu’ils ont : le conjoint (mariage), les biens (propriété privée) ou le territoire (douanes). Ainsi depuis la nuit des temps, ou presque, on a érigé des barrières pour limiter les échanges entre individus. Schématiquement, ceci a duré jusqu’au XIXème siècle et l’avènement du libre-échange prôné par la Grande Bretagne, alors première puissance mondiale. Elle a montré que le libre-échange permet de démultiplier la puissance commerciale des pays. Cela a aussi coïncidé avec le décollage économique de l’Europe.
Jusqu’en 1929, les barrières tombent petit à petit et puis survient la crise. D’abord américaine, elle devient mondiale du fait même de ce libre-échange et en 10 ans tous les pays succombent à la tentation protectionniste (avec, par exemple, le Buy American Act de 1933 qui oblige le gouvernement fédéral américain à se fournir uniquement auprès de producteurs et fabricants américains). Bilan : un commerce mondial divisé par deux, des populations appauvries et une guerre sans précédent.
Après la guerre, les Etats-Unis prônent à leur tour une forme de libre-échange avec notamment la création de l’OMC. Puis l’Europe l’applique complètement au sein de l’espace Schengen (libre circulation des biens, des marchandises et des personnes) et la prospérité est revenue sur le continent. Revenir au protectionnisme ne serait-ce pas « revenir en arrière » ?
Le libre-échange, un attrape-nigaud ?
Derrière les beaux discours et les belles intentions, on s’aperçoit que chaque pays essaye de tirer son épingle du jeu de quelque manière que ce soit. Les Etats-Unis, la Chine et le Japon, les trois pays les plus puissants du monde et membres éminents de l’OMC, pratiquent allégrement le protectionnisme économique depuis bien longtemps. Par exemple, les Japonais taxent à 800% le riz importé depuis l’étranger ! De plus, à quoi rime un libre-échange avec des pays qui n’ont pas les mêmes règles que nous ? Il est évident que produire une chaussure par un enfant qui travaille 14h par jour en Chine, cela revient moins cher qu’en France.
Ainsi nombre d’entreprises européennes ont délocalisé leur production pour profiter du dumping social (main d’œuvre moins chère) ou fiscal (moins d’impôts), et il paraît juste de taxer les entreprises qui bénéficient de ces conditions inégalables, si les consommateurs sont prêts à payer tous les produits importés plus chers.
La question du protectionnisme, l’arbre qui cache la forêt.
Nicolas Sarkozy a lancé l’idée d’un « Buy European Act », sur le modèle du « Buy American Act » cité un peu plus tôt, pour relocaliser des entreprises en Europe et plus particulièrement en France. De même, François Bayrou préconise le « acheter français », ce qui, à l’heure actuelle, semble bien compliqué. D’autant plus que la plupart des échanges se font au sein de l’Union Européenne (notamment l’Allemagne) et le dumping social (Roumanie) et fiscal (Irlande, Luxembourg) existe en Europe. Pour établir une « justice » économique, il faudrait donc soit harmoniser la fiscalité et le niveau de vie partout en Europe (ce qui n’est dans aucun programme d’ailleurs) soit mettre des barrières au sein de l’Europe, abolir l’espace Schengen c’est-à-dire signifier la fin de l’Europe comme le proposent Marine Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignant.
Ou alors, on essaye de s’adapter, de trouver un nouveau modèle de développement économique, comme l’a fait l’Allemagne au début des années 2000, en adéquation avec le système mondial et qui s’appuie sur nos qualités intrinsèques et pas sur la peur de l’étranger.
La question du protectionnisme est en fait une part d’une problématique bien plus large : comment s’intégrer et s’adapter au monde d’aujourd’hui dans lequel la place de la France n’est plus forcément proéminente ? S’isoler est une solution, anticiper pour se réinventer en est une autre.
Ronan Cornillet