Le Monde publie ce soir une très intéressante interview de Patrick Buisson, présenté comme le stratège de Nicolas Sarkozy, mais que l'on pourrait aussi, à le lire, présenter comme celui qui a, dans son entourage, l'approche idéologique la plus cohérente. Une approche qu'il résume dans ce passage de l'entretien : "Le projet que porte Nicolas Sarkozy s'adresse à tout l'électorat populaire. Il est clairement le candidat d'une Europe des frontières.C'est en cela qu'il est le candidat du peuple qui souffre de l'absence de frontières et de ses conséquences en chaîne : libre-échangisme sans limites, concurrence déloyale, délocalisation de l'emploi, déferlante migratoire. Les frontières, c'est la préoccupation des Français les plus vulnérables. Les frontières, c'est ce qui protège les plus pauvres. Les privilégiés, eux, ne comptent pas sur l'Etat pour construire des frontières…"
Ce qui frappe à la lecture est, d'abord, combien ce discours s'inscrit dans la tradition de la droite la plus nationaliste. On attendrait presque qu'il accuse les privilégiés de cosmopolitisme… Combien il va également à l'encontre de la pratique politique de Nicolas Sarkozy qui a tout au long de son quinquennat, et pas seulement à ses débuts, mis en scène son amitié avec les Dassault, Bouygues, Lagardère… avec tous ceux qui, justement, dirigent des entreprises multinationales. Combien, encore, il est proche du fonds du discours du Front National. On ne sera donc pas étonné d'apprendre que la presse internationale le rapproche de Le Pen au point de l'appeler, comme le Wall Street Journal, Nicolas Le Pen.
Mais ce qui frappe surtout, c'est combien ce discours parait à coté de la plaque. Où donc est le peuple dont parle Patrick Buisson? Lui arrive-t-il de se promener dans la rue ? de prendre le métro? Il verrait que le peuple est infiniment plus varié, bigarré, riche de différences qu'il ne l'imagine. Quelques conversations dans la rue, dans le train, quelques promenades dans les grandes surfaces lui feraient découvrir que la France d'aujourd'hui entretient des liens étroits avec l'étranger. Nos enfants vont tous ou presque passer quelques mois en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Etats-Unis, et pas seulement les plus riches. 80 000 étudiants français poursuivent aujourd'hui leurs études à l'étranger. Chaque année 28 000 étudiants partent poursuivre leurs études hors de nos frontière avec Erasmus, ce qui fait de la France le premier utilisateur de ce dispositif. Combien vont tomber amoureux d'un étranger ou d'une étrangère qu'ils voudront épouser mais auxquels les dispositions annoncées à Villepinte sur l'immigration interdiront de rentrer en France?
Sait-il qu'en année moyenne, de 30 à 40 000 couples mixtes se marient en France, ce qui représente de 12 à 15% des mariages? Tous ne sont évidemment pas blancs.
A-t-il un jour consulté les statistiques sur les déplacements des Français à l'étranger? Sait-il que les déplacements professionnels de Français à l'étranger représentent 2 millions de nuitées? que les Français ont réalisé en 1998, d'après la SOFRES, 16 millions de séjour à l'étranger? Ils n'étaient que 13 millions en 1993.
Les frontières ne sont plus ce qu'elles étaient. Elles ont perdu beaucoup de leur sens. Elles n'ont certainement pas disparu, mais elles ont perdu cette fonction protectrice qu'il leur prête. Qui, d'ailleurs, croit une seconde que la fermeture de nos frontières créerait le moindre emploi en France? A-t-on vu un employeur préférer, à compétences et salaire équivalent, un Marocain à un Français? On parle aujourd'hui beaucoup de protectionnisme mais où sont les services ou les produits qui ne comportent pas des composants venus d'ailleurs?
Quant aux étrangers, l'abondance des mariages mixtes montre qu'ils sont parfaitement tolérés.
Le Monde souligne que Patrick est de culture maurassienne. C'est l'évidence, mais faut-il le rappeler? Mauras sent plutôt la naphtaline et la France qu'il connaissait n'a plus grand chose à voir avec celle d'aujourd'hui.