Pour cultiver ses roses, le roi Marck avait fait venir un savant horticulteur de Chiraz, la ville des roses, Sim-Slimé ; il l’avait nommé Ministre de l’Agriculture et des Fleurs, puis bien vite Président de son Conseil. A ce conseil, au grand scandale et mépris du Ministre des guerres et de celui des finances, le premier couvert de son armure damasquinée et le second tout habillé de soie, Sim-Slimé venait simplement vêtu de toile bleue, coiffé de son bonnet persan qui lui donnait des airs de bon magicien.
Sorcier ? Au fait, Sim-Slimé ne l’était-il point pour apporter tous les ans, au Conseil, à la lune de juin, une rose nouvelle, et non une petite fleur torturée, et singulière, mais une grosse botte, une lourde gerbe, une odorante brassée.
« Sire, flairez-moi cette arôme ! Sire, admirez cette nuance ! »
Le roi Marck admirait et respirait, humait et s’extasiait. Était-ce beau ! Et il n’écoutait plus que d’une oreille distraite les rapports de ses deux autres Ministres. Ils lui pouvaient annoncer les plus fastidieuses nouvelles, les faits les plus pénibles, le roi Marck hochait la tête : « Charmant… Parfait… » C’était aux fleurs qu’il songeait.
Le roi Marck avait un fils, le prince Karl, beau, robuste, courageux, franc comme l’or, fier comme un lys, grandissant doucement auprès de son père, dans l’étude et la discipline, pour se préparer au rude métier de Souverain ; et Sim-Slimé avait une fille, Pimpernelle, douce, jolie et sage, avec des cheveux de blé, des yeux de pervenche, des lèvres de coquelicot, des joues de rose, le rose de Chiraz, ainsi qu’il seyait à merveille à la fille du Ministre de l’Agriculture et des Fleurs - des Fleurs particulièrement.
Camarades d’enfance, Pimpernelle et Karl s’étaient prêtés poupée et soldats de plomb, avaient échangé des bonbons, puis un jour s’étaient promis quand le temps serait venu, d’être mari et femme.
Le roi Marck et Sim-Slimé s’étaient aussi promis ce mariage qui allait à ravir la plus jolie rose de Chriraz au plus vaillant lys du royaume.
Mais ils avaient compté sans le sort aventureux, les fées malveillantes et les génies malfaisants.
Le roi Marck, à trop s’occuper de ses roses, et son Ministre Sim-Slimé, à le trop suivre dans ce sentier, avaient négligé l’agriculture, les finances et l’armée.
Un été de sécheresse, après un printemps froid, ce fut un désastre pour les récoltes.
Les paysans ne purent récolter les grains, le Ministre des finances ne put ramasser la dîme et le Ministre des guerres n’eut pas de quoi payer la solde des armées. Et les armées abandonnèrent le roi.
Affolés, les deux Ministres prirent le roi, chacun par un bras, qui à droite, qui à gauche, et, loin des fleurs, lui montrèrent brutalement qu’il n’était pas sur un lit de roses.
Le monarque fut atterré : « Que faire ! » s’écria-t-il.
Le Ministre des finances alors répondit :
« Sire, votre voisin, Baudruche, roi du pays des Pantins, ne demande qu’à nous ouvrir ses coffres.
- Eh bien, tout est sauvé.
- Mais, en retour, il demande que le prince Karl épouse sa fille.
- Impossible, impossible, il est le fiancé de Pimpernelle.
- Eh bien, interrompit le Ministre des guerres, que M. Sim-Slimé, le père de cette demoiselle, paye les troupes avec les feuilles de roses, changées en écus sonnants, car voici que j’entends la fanfare qui précède Baudruche, roi du pays des Pantins, venu avec sa fille et son escorte pour conclure cette affaire.
Le roi Baudruche arrivait en effet avec sa fille, la princesse Fantoche, et son armée, musique en tête.
Quand le roi vit la princesse, il fit la grimace. Maigrichonne, petite, prétentieuse, la figure mince, noiraude, nasillant et pédante, maniérée, artificielle, sotte, Fantoche souriait au prince qui la trouvait plus ridicule encore.
« Dites-moi, mon cousin, fit Baudruche sans préambule, gonflé d’orgueil et sûr de son fait, quand ferons-nous la noce ?
- Jamais ! Ne put s’empêcher de crier le roi Marck.
Baudruche fit une fort laide grimace ; froissé, vexé, il lança un ordre aux soldats de sa suite ; le prince Karl se vit entouré, prisonnier, et comme sa garde avait toute déserté, on l’emmena sans défense au palais de Baudruche.
Ce morceau de toile enveloppait par précaution contre la poussière la poupée de Pimpernelle.
En le développant, Pimpernelle retrouva sa petite compagne de jeunesse, encore si proche, et, dans sa peine, ayant besoin de soulager son cœur si gros, elle la prit pour confidente et lui causa comme naguère.
« Ah, Javotte, ma fille, ma pauvre Javotte, que j’ai de la peine ! Tu ne peux me comprendre, me plaindre, ni me consoler ; Javotte, Javotte, j’en vais mourir ! »
Mais, stupéfaite, Pimpernelle vit soudain Javotte se dresser, haute et grande sur ces petites jambes, battre de la prunelle, remuer les lèvres et parler :
« Mais si, justement, Pimpernelle, ma petite maîtresse, je puis t’aider en cette aventure ; ce royaume de Baudruche, cette horrible Fantoche ne sont que de sottes marionnettes sur une terre de convention où je suis dans mon élément. Conduis-moi bien vite à l’appartement du prince Karl. »
Javotte et Pimpernelle, main dessus, main dessous, sont vite arrivées au logis du prince.
« Ouvre ce tiroir, donne-moi cette boite. Bien, merci et patience. »
Javotte à pas menus, mais si rapides, de ses petits petons de bois, plic, ploc, sur la route se hâte ; elle arrive au royaume de Baudruche.
La sentinelle au pont-levis la dévisage, il lui voit une figure de porcelaine tendre, des yeux de verre bleu, des cheveux de soie jaune, des mains de carton rose, il la laisse passer.
Javotte va droit à la salle des fêtes où se donne le grand banquer des fiançailles. Toute la cour est là, foule bigarrée, pantins de toutes sortes, Polichinelles, Pierrots, Arlequins, ainsi qu’il convient chez un roi qui s’appelle Baudruche, et une princesse qui se nomme Fantoche ! Javotte arrive au moment où, sur un plat en fer blanc, on apporte un poulet de carton, peint en brun et verni.
« Bonjour, noble seigneur, salut, gracieuse demoiselle ! »
Javotte s’approche de Fantoche :
« Princesse, je vous présente mes humbles révérences. »
Puis se tournant vers le prince Karl :
« Prince, voici mon cadeau de noce ; pour vos futurs enfants. »
Le prince est si contrit que sentant son chagrin affluer à ses yeux, il se lève d’un bond et se sauve, la boite de Javotte sous le bras, en ses appartements.
Il s’enferme pour pleurer de rage à sa guise.
Machinalement, il regarde le cadeau de la poupée ; il reconnaît cette boite de sapin, mais oui !
Il l’ouvre : sur leurs copeaux, des soldats de plomb en linge sont couchés.
Ce sont ses soldats ! Toute sa douce enfance lui revient en mémoire et ce souvenir le console.
Comme jadis, - c’était hier, - dans le couvercle retourné, un à un, il dresse ses soldats de plomb et, pour épancher sa peine solitaire, il leur cause.
« Ah ! Mes pauvres petits soldats, que j’ai de la peine, vos grands frères qui m’eussent dû défendre m’abandonnent, et vous, hélas ! Vous ne pouvez m’entendre, me comprendre, me défendre, pauvres petits soldats de plomb. »
Stupéfait, le prince Karl voit soudain ses soldats qui s’animent, grandissent et se démènent, l’officier tire son sabre, dresse la tête et ouvre la bouche:
« Garde à vous ! »
Au commandement, tout le bataillon s’est rangé en bataille. L’officier salue d l’épée.
« Prince, en ce royaume de Fantoche, nous sommes en notre élément, dans notre sphère, nous allons te venger… par file à droite, en avant… marche ! »
Une… deux… une… deux…, les talons frappent le sol, la troupe entre dans la salle du festin, les gardes la veulent arrêter, mais leurs hallebardes de carton se brisent sur le plomb des fusils, et bientôt le son coule, lamentable, des poitrines transpercées. Le prince Karl est délivré.
Et les soldats du roi Marck, les vrais soldats, honteux de la leçon que les jouets leur ont donnée, ont réintégré leurs rangs délaissés.
Les paysans, qui voient le prince épouser la fille d’un simple horticulteur, se mettent à l’aimer et payent la dîme sans se plaindre.
L’ordre est rétabli, la prospérité revenue. Le roi Baudruche a été battu par l’armée vengeresse, et la méchante Fantoche, pour le reste de ses jours, a été enfermée dans la sombre et ennuyeuse citadelle de Vieillemalle.
Jérôme DOUCET