Sur le ring de la Maroquinerie.
L’hiver a pris le monde par surprise. Après des semaines d’automne indien. C’est la première pensée qui surgit alors que j’arrive devant la Maroquinerie. Bonnet enfoncé sur la tête façon producteur de Little Miss Sunshine au pays de Sundance, je dissèque au scalpel la petite foule compacte qui s’est agglutinée devant l’entrée. Les hipsters se massent non pas au sens kinésithérapique mais forment un seul et même corps en réponse au bloc de froid inflexible. A l’intérieur, tout est mouvant et indistinctement rouge sous les quelques spots cisaillant l’espace délicatement. L’endroit semble exigu, recroquevillé, tortueux et je finis par trouver une place de choix dans la diagonale qui part de mon œil pour se fixer vers la scène. Bière en main, je sirote un épais jus de mousse avec délectation comme s’il s’agissait d’un milkshake californien. L’ambiance n’a pas pourtant rien de californienne. C’est la nuit ici. Une nuit chaude, imprégnée de sueur grandissante. Une nuit ovale, dilatée par l’attente et l’impatience. Ces deux sentiments qui font la magie des concerts. On vient pour les voir, les stars, les artistes maudits ou les jeunes espoirs. Notre scène française en compte quelques-uns il est vrai. Des chanteurs ou des groupes qui attendent leur heure, leurs Oscars à eux. D’autres espèrent une confirmation, un sursaut, un envol vers les paradis blanchis, poudrés, du star-system. Les attendent gloire, argent roi, alcools scintillants et français, drogues à profusion et bien évidemment promesse de carrière. Faire carrière. En attendant, je suis descendu dans la carrière où se fabriquent les légendes. Tout du moins les rockeurs. Les vrais. Tout de noir vêtus. Avec leurs fières guitares indomptables. Qu’ils apprivoisent alors le temps d’un set. Dans la moiteur trouble qui se joue de mes sens, la première formation fait son apparition. Mina May. Un nom qui a la couleur des péninsules asiatiques. Mina, on pense aussi à Wilhelmina Murray, amante du comte Dracula. Référence noire qui finalement colle plutôt bien à la musique que déploie le groupe, sur scène comme sur disque. Quoique celle-ci impressionne davantage à la faveur du live. Constat qui se fait rapidement dans mon esprit alors que les morceaux s’enchaînent. Cependant, à leur écoute, dans la proximité sonore qui se crée, une conviction voit le jour. On ne peut pas parler de chansons. Le groupe s’emploie à modeler des trames sonores. De cette fusion brûlante il extrait alors un objet brut, à peine poli. Cet objet fascine, retourne l’âme ; d’aucuns le qualifieraient de psychédélique. Moi, je préfère le mot transe. C’est d’ailleurs le sentiment qui lentement parcourt l’ensemble de mon corps. Impulsions électriques. Oh, cela ne se voit pas. Dites-vous bien que je ne suis pas en train de bouger tel une go-go danseuse de Pigalle. Mais la musique provoque en moi une sorte d’effet psychotrope. Sans doute dû au farfisa. Je peux l’avouer, je suis un fan d’orgue farfisa. J’aime son côté métallique, ses sonorités en forme de lame de rasoir, coupantes, diamantaires. Derrière, la batterie imprime son rythme métronomique. Ça plane pour moi, pour nous tous. Le groupe s’est maintenant fondu dans les couleurs rougeoyantes de l’espace. Devant, le chanteur relâche sa voix stroboscopique. Accouchant littéralement de chaque mot sans qu’on en comprenne véritablement le sens et pourtant tout cela semble familier. C’est un charmeur de serpent de l’Occident et du Chaos. Sa voix aussi tranchante que celle du farfisa fractionne la foule. Quelque temps plus tard, je retrouverai sur disque le même état de sidération blême. Sans la violence du live. Même urgence cependant, même blessure au cœur. Everything was beautiful but nothing hurt n’est pas cet énième produit revival désincarné mais bel et bien un disque palpitant, imparfait, mais réellement puissant. Plutôt une bonne nouvelle pour un groupe français.Deuxième round.
Après la deuxième première partie mollassonne dans le genre americana de pacotille, hé oui on fait maintenant des premières parties en plusieurs actes, la tête d’affiche tarde à faire son entrée. La salle exulte quand les cinq musiciens déboulent. Grandes échasses slimées à l’exception de la jolie japonaise qui se place mécaniquement derrière ses claviers. On peut le dire. Malgré le patronyme le plus mégalo de toute l’histoire du rock, ces gars-là ont la classe. Les jacks connectés, les guitares se mettent à rugir en mode shoegaze. Appelé aussi dream pop, les Pains Of Being Pure At Heart en sont les nouveaux zélateurs bien qu’ils ne viennent pas de l’Angleterre post-industrielle mais de Brooklyn. Là où Mina May construit patiemment des édifices planants, nos musiciens proposent une pop à forte teneur estudiantine, romantique en diable, mais avec la fureur du rock. Voici leur marque de fabrique qui emporte aussitôt l’adhésion du public. Le son est MASSIF. Tous les titres y passent, qu’ils soient extraits du premier ou du deuxième opus. Et quand Come Together explose à nos oreilles, la foule se tord non pas de douleur mais d’un plaisir sournois. JOUISSIF. POBPAH possède ce charme immédiat, presque inoffensif. Et pourtant, le groupe demeure, agrippé à la mémoire ; le propre des faiseurs de pop songs futées. D’où cette sensation de bonheur vivace quoique temporaire. Bingo. Vu juste. Fin du concert au bout d’une petite heure. Acouphènes partout. Les jeunes sont rincés. Tout ce petit monde se dirige vers la sortie avec une petite escale devant le stand du groupe qui distribue dans la cohue la plus totale et contre espèces sonnantes et trébuchantes CD, vinyles, t-shirts. En gros c’est la guerre. Un nouveau fan du groupe demande dans un anglais approximatif l’album le plus violent des deux. Le manager grisonnant exauce ses vœux sans lui préciser qu’il ne vient pas d’acquérir un disque de Marylin Manson. J’arrive à me frayer un chemin et repars aussitôt avec deux vinyles. On ne se refait pas. Dehors, la froideur semble s’être calmée. Comme un printemps précoce mais une morsure soudaine me fait penser que la vie a déjà repris son cours. Loin de la scène, des guitares débraillées et brailleuses. Loin de la vraie life quoi.http://www.deezer.com/fr/music/mina-may/everything-was-beautiful-and-nothing-hurt-1318929
http://www.deezer.com/fr/music/the-pains-of-being-pure-at-heart/the-pains-of-being-pure-at-heart-1007298
13-03-2012 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 386 fois | Public Ajoutez votre commentaire