Le sort des adaptations de sagas littéraires cultes peut être cruel. Les affaires de cœur et de cul de vampires mormons peuvent s’avérer rentables et populaires au point qu’il existe plus de films que de romans dont ils sont tirés quand d’autres, conçus irraisonnablement, vendus fébrilement, attendus avec méfiance, sont destinés à ne pas reproduire leur succès littéraire sur grand écran. C’est déjà plus ou moins ce qui était arrivé à La Boussole d’Or, le premier volet d’A la croisée des mondes par Chris Weitz d’après Philip Pullman, dont le public ne s’était pas suffisamment emparé il y a quelques années pour que le studio New Line mette en chantier les suites. Le destin de John Carter, s’il est de devenir un grand guerrier sur Mars, semble surtout dans nos contrées terriennes plus prosaïques de prendre le chemin de ces projets hollywoodiens pharaoniques ayant mis leurs producteurs dans le rouge et laissé leurs spectateurs orphelins de la suite pourtant promise de leurs aventures. John Carter existe enfin sur grand écran, mais il est peu probable qu’il perdure.
Le héros créé par Edgar Rice Burroughs (le même que Tarzan oui) ne fait pas partie de mon imaginaire immémorial. J’ai découvert l’existence de l’œuvre via le feuilleton de sa mise en route cinématographique à l’époque où Robert Rodriguez et consorts essayaient de lui donner vie sur grand écran. L’historique de la relation entre l’œuvre de Burroughs et le grand écran, ces décennies d’abandon et de déroutes, de promesses et d’attente, est aussi épique et dense que le récit des aventures de Carter lui-même. Depuis quelques semaines, le récit de l’arrivée tant attendue de John Carter sur grand écran est raconté aux quatre coins d’Internet. Depuis quelques jours, l’échec annoncé du film fleurit encore plus. J’ai moi-même caressé un instant l’idée de faire un billet somme pointant du doigt ce film que tous analysent déjà avec condescendance. Et puis je me suis ravisé. A quoi bon, finalement.
Le week-end dernier, dimanche soir exactement, je suis allé voir John Carter dans une salle immense et quasiment pleine des Halles, en sachant par avance que le film en appellerait d’autres - il a été conçu ainsi - mais que ces autres ne verraient probablement jamais le jour, car le destin de John Carter, le film, est bien d’être un de ces projets comme en a déjà vu passé Hollywood : mal compris, mal conçu, mal vendu, et mal soutenu. Il sera toujours possible de blâmer Andrew Stanton, le réalisateur estampillé Pixar qui fait avec le film ses débuts hors de l’animation, pour n’avoir pas su gérer un projet d’une telle ampleur, et n’avoir pas su appliquer la rigueur qu’on lui a connu avec Le Monde de Nemo et Wall-E. Il sera toujours possible de blâmer Disney pour n’avoir pas su comprendre John Carter, et l’avoir vendu au monde comme s’il était une patate chaude dont le studio ne savait trop que faire, lui attribuant des visuels (très, très) laids (voir ci-contre), changeant son titre, passant de A Princess of Mars à John Carter of Mars à John Carter, titre lambda, passe partout, perdant l’identité forte de l’œuvre de Burroughs et poussant des malins (qui ont bien eu raison de le faire) à concevoir des affiches remplaçant Taylor Kitsch par le John Carter de la culture populaire des années 90 et 2000, celui de la série Urgences.
Il y a tant de personnes qu’il serait possible de blâmer pour tenter d’expliquer pourquoi John Carter n’est ni le grand film d’aventures SF qu’il aurait pu être, ni le blockbuster qu’il aurait dû devenir au box-office. John Carter est un film malade, artistiquement et financièrement. Il s’en ira probablement mourir dans l’inconscient populaire collectif – en France encore plus facilement qu’aux États-Unis – au même rythme que Disney, qui en sera de plusieurs dizaines (centaines ?) de millions de dollars dans l’affaire, ravalera sa fierté et tirera un trait sur toute perspective de faire du héros d’Edgar Rice Burroughs le fer de lance d’une nouvelle saga cinématographique.
Pourtant, même s’il ne relève pas le défi de son potentiel cinématographique évident, il m’a plu ce John Carter. Il a tout du film malade, c’est vrai. La structure narrative manque de linéarité, les personnages secondaires n’ont pas été parés de beaucoup d’épaisseur, les dialogues font souvent plus que frôler le kitschouille sous les violons de Michael Giacchino, et l’ensemble manque cruellement de saignant et de couleurs, broyé par le sceau de Disney peut-être. Mais ces défauts qui parsèment le film aident à lui conférer cette étrange dignité que l’on trouve chez certaines œuvres semant les idées et les envies à tout vent. John Carter of Mars, ainsi qu’il aurait dû être intitulé, a du souffle à revendre à défaut de grandeur, et nous offre un voyage dans le temps et l’espace qui parvient, malgré toute sa maladresse, à nous transporter dans un imaginaire qui a de la gueule. Et vu de la Terre, cela a suffit à me faire marcher pendant 2h20. Il n’y en aura certainement pas d’autres, alors autant profiter de ce John Carter-là.