Charlotte Johansen sait aujourd’hui que la musique est toute sa vie. Elle en a parfois douté, sans doute aidée en cela par les ambitions que son père nourrissait à son égard. Il eût été plus simple ou moins hasardeux, en effet, de choisir une voie plus conventionnelle… Mais la Néo-Zélandaise s’est accrochée, fort heureusement pour nous. Son nouvel album, « Upon waking dream », sorti à la fin 2011, confirme un talent certain pour l’écriture de ballades pop terriblement efficaces, qui lui valent d’être souvent comparée à Sarah McLachlan ou Beth Orton. Rencontre.
Titus - J'aimerais, dans un premier temps, que tu nous dises de quelle partie de la Nouvelle-Zélande tu es originaire...
Charlotte Johansen - Je suis née dans la capitale de la Nouvelle-Zélande, Wellington, mais ma famille a déménagé peu après à New Plymouth, dans la région de Taranaki, à environ cinq heures de route de là. J'ai grandi dans cette ville située sur la côte ouest, non loin du célèbre volcan du Mont Egmont, jusqu'à l'âge de 7 ans. A cette époque, mon père, qui travaillait pour la compagnie Shell, a en effet été muté en Angleterre, où nous avons vécu pendant trois ans et demi. Ensuite, nous nous sommes retrouvés aux Pays-Bas, pour un autre séjour de trois ans et demi. Mais lorsqu'il a reçu une autre proposition de mutation, cette fois pour le Sultanat d'Oman, c'en fut trop pour ma mère, qui a tapé du poing sur la table. J'avais trois grands frères aînés qui étaient restés en Nouvelle-Zélande où ils étaient en pension. Elle a décidé qu'il était temps pour nous de rentrer au pays, et elle nous a ramenés, moi et ma sœur, dans ses bagages. Nous sommes retournés vivre dans notre maison familiale de New Plymouth, et j'ai donc effectué mes études secondaires dans cette ville.
Que retiens-tu de tes années à l’université ?
J’ai préparé une licence à l’Université de Christchurch. Mes sujets favoris étaient plutôt la sociologie ou la psychologie. Pour moi, les études supérieures représentaient une merveilleuse façon d’élargir mon horizon, une manière aussi de mieux appréhender le monde qui m’entourait, d’autant que ce dernier me semblait plutôt mal en point. Je remettais tout en cause à l’époque. Je m’interrogeais beaucoup sur l’existence. J’avais l’esprit critique. Cela m’a amenée à faire beaucoup de rencontres, des gens parfois très engagés, des anarchistes. J’ai exploré une grande partie de la Nouvelle-Zélande en auto-stop tout en jouant de la flûte, du saxophone et de la guitare. Je me cherchais, en fin de compte. Je voulais trouver ma voie et c’est la musique qui semblait davantage me correspondre. Je chantais beaucoup, mais je ne voyais pas l’intérêt de documenter ce que je faisais à l’époque. Honnêtement, je crois pourtant avoir composé quelques bonnes chansons pendant ces années-là, mais je n’ai jamais rien enregistré. A mon sens, et cela correspondait assez bien à mon état d’esprit de l’époque, les chansons voyaient le jour de manière spontanée autour de feux de camp et elles se suffisaient à elles-mêmes. Mais peu à peu, certaines personnes me demandaient de rejouer des chansons que je leur avais déjà chantées. Comme j’en étais le plus souvent incapable, j’ai commencé à me dire, à l’âge de 22-23 ans, qu’il était peut-être temps que je commence à coucher mes créations sur papier, voire à les enregistrer.
La vidéo de "Freedom rolling", chanson extraite du premier album de Charlotte Johansen, publié en 2002 :
Où avais-tu appris la musique ? Est-ce que tu étais issue d’un environnement où celle-ci occupait une place importante ?
Non, pas vraiment. Mon père écoutait pas mal de musique classique et jouait assez bien du piano ; je pense qu’il aurait peut-être aimé être musicien, mais son métier ne lui en laissait pas le temps. Pour ma part, j’ai commencé la flûte dès neuf ans et jusqu’à l’âge de 15 ans. Et je commençais à m’en lasser, si bien que je me suis tournée vers le saxophone. Le problème, c’est que j’ai appris les deux instruments avec le même professeur, à partir d’un répertoire semblable et un peu trop scolaire. C’est sans doute ce qui m’a amenée à m’intéresser à la guitare. Un ami m’a enseigné trois accords et j’ai commencé à jouer sur une chanson de Sinéad O’Connor, « Black boys on mopeds ». J’adorais son album « I do not want what I haven’t got ». Je crois que c’est cet album qui m’a fait fait prendre conscience qu’il était possible de chanter des choses fortes, politiquement engagées, sur de belles melodies. J’ai beaucoup joué les chansons de cet album pendant un an.
Ton premier groupe s’est appelé Plum, mais je crois que l’expérience fut très éphémère, non ?
On a fait une seule répétition et donné un concert unique. On s’était rencontrés un soir de tempête dans un pub, The Mussel Inn, à Takaka. On avait fini la soirée à la maison où nous avons joué jusqu’à l’aube. Le courant passait tellement bien entre nous, musicalement, que nous avons proposé un gig au pub River Inn à deux pas du bar où l’on s’était rencontrés, la semaine suivante. C’était très spontané, et c’est ce que j’aime avec la musique ! Quand on explore de nouvelles choses entre musiciens, quand on improvise…
Et pourquoi n’avez-vous pas continué ensemble ?
Comme je le disais, ce premier concert s’est organisé de manière très spontanée. Nous nous sommes quittés de la même façon, en nous disant « à la prochaine ! », mais nous n’avons pas eu d’autres occasions par la suite… Je suis retournée peu après vivre à New Plymouth, où je suis restée deux années de plus. Je me suis beaucoup investie, à l’époque, dans des productions locales de théâtre. J’ai notamment joué dans une production locale de la comédie musicale « Hair », une expérience que j’ai vraiment adorée. Cela m’a encouragée à me présenter au concours d’entrée d’une école de musique où j’ai été admise. Mais mes parents me mettaient beaucoup la pression à l’époque, me laissant entendre qu’il était peut-être temps que je songe à une carrière plus conventionnelle. Du coup, je me suis dégonflée et me suis lancée à la place dans des études pour devenir enseignante.
Qu’est-ce que ça a donné ?
Je n’étais vraiment pas faite pour ça… J’ai obtenu mon diplôme, mais je n’ai enseigné qu’un trimestre. Je détestais ça. Je suis même tombée malade tellement je n’étais pas à ma place… J’ai donc démissionné avec la certitude, pour la première fois peut-être dans ma vie, de ce que je voulais vraiment faire… Si je me coupe de la musique, je tombe malade, c’est aussi simple que cela !
C’est à ce moment-là que tu as choisi de suivre ton petit ami néo-zélandais à Toronto ?
Tout à fait ! Je venais à l’époque de faire la connaissance de John, qui est aujourd’hui mon mari, qui avait décidé de s’en aller vivre au Canada. J’étais très amoureuse et je ne me voyais pas rester derrière lui… Il est donc parti et je l’y ai rejoint trois mois plus tard. Jon est informaticien, mais il est aussi bassiste, et notre idée était de faire de la musique. Il avait rencontré un Canadien lors d’un voyage au Japon quelques années plus tôt, et c’est par l’intermédiaire de ce contact qu’il a pu trouver du boulot à Toronto. C’était un boulot très conventionnel, mais qui payait bien. De quoi nous permettre de payer nos factures tout en continuant à nous dédier à notre passion pour la musique.
Et c’est précisément au Canada que tu as enregistré ton premier album, « There are hundreds of ways to kneel and kiss the ground », en 2002…
Absolument. Pour la première fois dans ma vie, j’avais enfin une idée assez précise de ce que je voulais faire. Sans doute parce que ce que nous vivions découlait de nos propres choix… Et comme nous donnions beaucoup de concerts, nous avons fait des rencontres très enrichissantes. Toronto est une ville vraiment fantastique ! La scène musicale y est vraiment très dynamique. Cette année-là, nous avons dû toutefois rentrer en Nouvelle-Zélande, mais nous avions tellement la certitude que nous retournerions au Canada que nous y avons laissé la plupart de nos affaires. Mais bien entendu, une fois rentrés au pays, il fallait que nous recommencions à travailler afin de pouvoir financer notre retour… En fin de compte, cela ne s’est pas fait, la vie en Nouvelle-Zélande ayant peu à peu repris ses droits… Nous avons retrouvé nos amis et avons fini par rester…
Vous n’êtes donc pas retournés là-bas par la suite ?
Si en fait, en juin 2004. J’ai été invitée à me produire au festival North by North East (NXNE). Sur les 400 artistes présents, j’étais la seule Néo-Zélandaise. J’ai profité d’être à nouveau au Canada pour enregistrer cinq nouvelles chansons qui ont été publiées peu après au Canada et en Nouvelle-Zélande, sous le nom de « Yes Charlotte ». La première fois s’était tellement bien passée avec Dave Samuels, qui est guitariste et ingénieur du son, que je voulais de nouveau travailler avec lui. Il est si rare d’arriver à s’accorder de la sorte entre musiciens… On s’entend vraiment à merveille ! Après la sortie de cet EP en Nouvelle-Zélande, j’ai donné 18 concerts en trois semaines.
Après la sortie de « Yes Charlotte » en 2005, il aura fallu attendre novembre 2011 avant de découvrir de nouvelles chansons avec la sortie de l’album « Upon waking dream ». Pourquoi tant d’années ?
D’une part, je suis devenue maman, et j’ai souhaité m’investir à fond dans l’éducation de ma fille. Cela ne m’a pas empêchée de continuer à écrire, cependant, et les chansons se sont ainsi accumulées durant quelques années. Lorsque je me suis enfin sentie prête, il m’a fallu trois années de plus pour les enregistrer. Malgré tout, je crois que si j’ai mis autant de temps à finaliser cet album, c’est aussi parce qu’une partie de moi doutait… A présent, ces doutes sont derrière moi ; la musique est une évidence dans ma vie. Mon souhait, désormais, c’est que l’attente ne soit pas aussi longue jusqu’au prochain album.
Les chansons "Plaything" et "Longing for you" interprétées "live" sur Kiwi FM :
Avec qui as-tu collaboré pour cet album ?
J’ai travaillé avec Richard Ingamells à Auckland, qui en plus d’être un extraordinaire ingénieur du son est aussi très bon guitariste. Il y avait aussi mon mari, Jon Postlethwaite à la basse, Yair Katz à la batterie, Nick Connor à la trompette, Jennifer Eirena dans les chœurs, l’altiste Greg McGarity et Jonathan Kuttner au violoncelle.
En filigrane, il y a une très belle et triste histoire, celle de Tama, l’enfant de Richard Ingamells…
Je n’avais pas d’argent pour entrer en studio et c’est Richard qui m’a proposé de l’enregistrer chez lui pour diminuer les coûts… J’avais tout planifié : nous devions enregistrer toutes les pistes en 14 jours : guitare, batterie, basse, trompette, etc. En attendant, Richard et sa compagne ont effectué, en 2009, un séjour aux îles Samoa lorsqu’un séisme est survenu, suivi d’un tsunami. La compagne de Richard, qui était enceinte de huit mois, a accouché prématurément et dans des conditions difficiles, vu les circonstances. Le bébé n’a pas pu obtenir les soins nécessaires. Ils sont donc rentrés en Nouvelle-Zélande avec un bébé très malade. De nombreuses complications s’ensuivirent, avec de multiples séjours à l’hôpital. Lorsqu’il était à la maison, Tama était raccordé en permanence à un appareil respiratoire. C’est dans ce contexte que Richard m’a proposé d’enregistrer l’album. Puisqu’il était cloué à la maison de toute façon, il m’a dit qu’il préférait en profiter pour faire l’enregistrement… Comme je l’ai dit, j’avais prévu 14 jours d’enregistrement : en réalité, à raison de plusieurs heures d’enregistrement une ou deux fois par semaine, nous y étions toujours neuf mois et demi plus tard ! L’état de santé de Tama nous a naturellement obligés à reporter des sessions… Mais ce fut une période très intense sur le plan émotionnel. Malgré les soins et l’amour dont il était l’objet, le plus triste est que Tama n’a pas survécu. Il est finalement décédé à la fin 2010. Il n'avait que 14 mois. J’ai souhaité lui dédier cet album car cet enfant aura été, d’un bout à l’autre de notre projet, intimement lié à cette aventure…
La chanson "Tsunami Boy", écrite par Richard Ingamells pour son fils Tama, à qui l'album de Charlotte Johansen est dédié :
Avec le temps, as-tu le sentiment que ton écriture évolue ?
Je crois que je me suis améliorée. Il y a davantage de poésie dans mon écriture, il me semble. Mais sans être présomptueuse, je pense que je peux aller encore plus loin.
L’industrie musicale a beaucoup évolué au cours de la dernière décennie. Es-tu optimiste ?
Je crois qu’il va falloir que les artistes redoublent de créativité à l’avenir. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut vraiment plus aujourd’hui compter sur les ventes de disques. Je crois que l’avenir est probablement dans la scène, qui demeure l’endroit privilégié de la communion avec le public. Ça tombe bien, c’est ce que j’aime par-dessus tout. C’est une seconde nature chez moi. J’adore interpréter mes chansons en public. Maintenant plus que jamais auparavant ! Aujourd’hui, les musiciens font face à de multiples défis. Il faudra se montrer de plus en plus habile pour arriver à faire entendre nos créations… Certains artistes ont développé, au cours des dernières années, des techniques de promotion très astucieuses. Et je suis persuadée que s’il fallait ôter toute musique de nos vies, nous perdrions vite la tête ! Hélas, les gens ont parfois tendance à prendre pour acquis la musique et les musiciens. Je me demande parfois s’ils réalisent à quel point la musique est cruciale : c’est la BO de leur existence. Imaginez une cérémonie d’obsèques sans musique. Généralement, nous choisissons des morceaux qui reflètent la personnalité du défunt.
Parle-nous de la vidéo de « Plaything », pour laquelle tu as dû revêtir une robe d’époque…
C’est un très bon souvenir. Je me suis éclatée sur ce tournage ! C’est une façon tellement chouette de faire la promotion d’une chanson, non ? Je suis personnellement très satisfaite du résultat et je voudrais faire d’autres vidéos de ce genre. Un ami réalisateur, Hugh, travaille d’ailleurs sur un nouveau projet.
La vidéo de Plaything, extrait de l'album "Upon waking... dream" :
Et tu continues à écrire par ailleurs ?
Absolument ! J’ai un grand carnet noir qui me suit partout et où je note toutes les idées qui me passent par la tête. J’en ai huit, des carnets comme ça… J’accumule pas mal d’écrits avant de passer à la phase sélective. Lorsque j’en suis là, je m’interroge : « Est-ce que ça ferait une bonne chanson ? » Je peaufine actuellement deux nouvelles chansons. L’une a été écrite après le décès de mon père, l’an dernier et parle de notre relation. Celui-ci nous disait que parfois, il faut admettre le fait qu’on doive se tenir sur les épaules d’un géant pour entrevoir une parcelle de notre propre génie. Pour moi, cette expression veut dire que nous avons tous besoin des autres. Que la qualité des gens qui nous entourent est pour beaucoup dans la réalisation de nous-mêmes. J’ai longtemps pensé que mon père ne pensait pas grand-chose de moi parce que je n’étais pas devenue avocate ou médecin. Mais lorsqu’il est parti, on m’a fait comprendre qu’il m’avait en fait toujours soutenue et qu’il était très fier de moi. Peut-être qu’il n’avait pas toujours su l’exprimer comme j’aurais voulu, voilà tout… Le jour de la sortie de l’album, je l’ai vraiment senti à mes côtés. C’était incroyable.
PROPOS recueillis et traduits de l’anglais par Titus. Interview réalisée en partenariat avec le site Canal Kiwi, le meilleur de la musique des Antipodes. PHOTOS : Kerri Vernon et DR.
BONUS
La vidéo de « Longing for you »
Charlotte Johansen : « J’avais remporté un prix pour cette chanson qui est apparue la première fois sur mon album "There are hundreds of ways to kneel and kiss the ground", il y a environ cinq ans. Le batteur de mon groupe de l’époque avait souhaité qu’on en fasse une vidéo. Je n’étais pas satisfaite de l’enregistrement original, si bien que nous avons décidé de la réenregistrer pour « Upon waking dream ». Il n’est pas impossible qu’on retire cette vidéo à un moment donné, ou qu’on en fasse une nouvelle, avec le nouvel enregistrement… »
POUR EN SAVOIR PLUS
La musique de Charlotte Johansen est téléchargeable depuis son site officiel
ou depuis son site Bandcamp.
Le site MySpace de l’artiste :
La page Facebook de Charlotte Johansen