Un premier billet mis en ligne il y a un peu moins de deux ans proposait quelques exemples du coming out naissant dans le monde arabe de ceux qu’on pourrait appeler, à partir du terme récemment forgé en arabe pour les désigner (mithli), des « pareillistes » (ce serait en tout cas mieux trouvé que le très ambigu, en français en tout cas, « gay » made in USA). Depuis les événements de l’année passée – et cela confirmerait ainsi l’idée que ces bouleversements ne s’arrêtent pas à la scène politique et qu’ils concernent au contraire l’ensemble des questions de société –, on constate que l’allosexualité s’exprime un peu plus ouvertement en Tunisie. Mais alors que l’édition papier du marocain Mithly évoquée en avril 2010 (je ne sais pas s’il existe encore : amis lecteurs ?…) était en arabe, tout comme le site mithly.net, Gayday magazine, lancé il y a un an en Tunisie et qui s’exprime presque exclusivement en français et en anglais, n’est diffusé que par internet (ainsi qu’une radio, qui l’a suivi peu de temps après).
Apparemment, c’est quand même bien assez pour faire débat, et même davantage puisque le site a récemment été « hacké » (article en anglais, d’où est tirée l’illustration ci-contre). Après des déclarations rassurantes, juste après les élections, à propos du « droit des homosexuels à exister » (article en français), le discours du parti islamo-conservateur qui domine la coalition au pouvoir, Ennahda, a considérablement évolué. Peut-être en raison d’un scandale politique local, en janvier dernier, lorsqu’a circulé en janvier dernier sur YouTube (elle a été retirée depuis) une vidéo tournée du temps de l’ancien régime et, d’après certains, truquée. Sur des images difficilement déchiffrables, on pouvait vaguement distinguer une relation entre deux hommes, dont l’un avait une ressemblance frappante avec Ali Larayedh, actuel ministre de l’Intérieur et cadre important d’Ennahada.
Résurgence nauséabonde – même si la vidéo a été mise en ligne par un « militant de gauche » – de la « porno-politique », une technique chère aux services spéciaux du régime de Ben Ali ? Cette hypothétique relation homosexuelle a naturellement suscité dans la société tunisienne des réactions d’indignation (comme elle l’aurait fait ailleurs, à commencer par la France). Dès lors on comprend mieux que le même parti Ennahda soit allé dans le sens de l’électorat et qu’il ait quelque peu « durci le ton » sur la tolérance sexuelle. Au début du mois de février, le ministre des Droits de l’homme, Samir Dilou, a ainsi déclaré à la télévision, à propos des homosexuels précisément, que la liberté d’expression avait ses limites et que « ces personnes-là » feraient mieux de se soigner. (M. le ministre ne sait pas que l’OMS a officiellement rayé l’homosexualité de la liste des maladies mentales en 1990!)
En dépit de la réelle solidarité d’une bonne partie de la classe politique, tous courants confondus, ainsi que parmi nombre de militants sur la Toile, Ennahda a donc choisi d’afficher ses préférences sexuelles, en définitive aussi conservatrices que sa doctrine politique : menace des fermeture du site Gayday magazine d’un côté, et défense du « droit à la polygamie » (déclaration du même Samir Dilou) de l’autre, avec ou sans « mariage coutumier » (voir le billet précédent).Visiblement, pour Ennahda, hétos ou pareillo-sexuels, ce n’est pas du pareil au même !