Président des riches, président bling-bling, hyper ou même téléprésident : tout semble avoir été dit sur Nicolas Sarkozy. Mais que reste-t-il de sa trace historique, voire de sa philosophie ? Non pas que le président de la République se soit présenté comme un disciple de Platon ou de Plotin. Nicolas Sarkozy ne s’est jamais targué d’être un théoricien. Ni même un fin connaisseur de l’histoire des idées. Le candidat de l’UMP a même récemment beaucoup amusé son auditoire en prononçant le nom du célèbre auteur des Mythologies (1957) « Roland Barthesse » au lieu d’un certes moins footballistique mais plus exact « Roland Barthes ». Nicolas Sarkozy n’est pas le général de Gaulle, pas plus qu’Henri Guaino n’est une réplique d’André Malraux, quel que soit son usage de la rhétorique, des trémolos, des vibratos malruciens et la tentation de la décalcomanie qui, à Villepinte, l’a saisi.
Mais le sarkozysme demeure un marqueur de l’esprit du temps. Le philosophe allemand Hegel (1770-1831) avait cru voir passer « l’âme du monde monté sur un cheval » lorsque Napoléon entra victorieusement dans la ville d’Iéna. Et il se pourrait bien que l’esprit du temps présent ait été repéré sous une tente élyséenne avec le colonel Kadhafi, exhortant la Russie à respecter l’intégrité territoriale de la Géorgie ainsi que déambulant à Euro Disney en compagnie de Carla Bruni.
Mais qu’est-ce que le sarkozysme ? Et faut-il lui accorder la dignité d’un « isme » à la suite du gaullisme, du mendésisme ou du mitterandisme ? Assurément, répondent les intellectuels qui s’expriment aujourd’hui. Car qu’on le critique (Marcel Gauchet) ou qu’on le célèbre (Michel Maffesoli), le sarkozysme est un « postmodernisme ». Nicolas Sarkozy l’a d’ailleurs lui-même laissé entendre, lorsqu’il qualifia son mandat de « premier mandat du XXIe siècle ».
Qu’est-ce que le postmodernisme ? Le philosophe Jean-François Lyotard l’avait défini comme l’ère de « la fin des grands récits » (La Condition postmoderne, Minuit, 1979). Après une période triomphante, ces « grands récits » incarnés par tous ces mots à majuscules que sont le Progrès, le Prolétariat ou la Nation étaient en perdition. Une désillusion qui scellait selon lui la fin de la modernité. Les fameuses déclarations de Valéry Giscard d’Estaing (« La France est unegrande puissance moyenne ») ou de Lionel Jospin (« Il ne faut pas tout attendre de l’Etat ») ont été l’écho politique de ce déclin métaphysique. Pourtant, le sarkozysme se veut un « volontarisme » en rupture avec la « pensée faible » du postmodernisme (« Je sauverai l’industrie française ! »). Mais « l’homme postmoderne » que serait Nicolas Sarkozy est surtout envisagé par les intellectuels que nous publions ici comme un sujet « affranchi » de nombreux tabous, un individu vibrionnant qui, à travers une inconstante « sincérité de l’instant » (Denis Bertrand et Jean-Louis Missika), dessine une nouvelle figure du pouvoir qui joue l’émotion contre la raison, s’adresse aux pulsions davantage qu’aux institutions, sans laisser d’autres traces que celle du vent (Jacques Attali). Ou bien, au contraire, qui restera dans l’histoire comme un extraordinaire marqueur du temps présent (Guy Sorman).
Car le sarkozysme est aussi un « présentisme », à savoir un rapport au temps marqué par une hypertrophie du présent, une saturation de l’instant. Enfant de la télé, Nicolas Sarkozy a compris que le centre du monde n’était ni le Pentagone ni l’Elysée, mais le live permanent, qui est aujourd’hui son véritable centre de gravité. Pour certains, le sarkozysme est également un « neuillysme », tant le rapport décomplexé à l’argent de l’ancien maire de Neuilly est déterminant.
Bien d’autres concepts collent à la peau du sarkozysme, et colorent son postmodernisme. Risquons, pour conclure, un dernier « isme ». Entre « l’affairement » dont fait preuve ce virtuose de la communication, sa décontraction face à l’argent et la multiplication des « affaires » qui émaillent la fin de sa mandature : le sarkozysme ne serait-il pas également un « affairisme » ?