La sortie du nouveau film institutionnel de Cartier, le premier depuis presque de trente ans, marque sans doute la volonté de cette marque de ré-enchanter un univers et sans doute un concept, le luxe, de plus en plus galvauder. Marché de niche, le luxe est devenu un marché de masse. Avec environ 4 millions d’euros de budget pour la production du film et un achat d’espace exceptionnel, la marque affiche une grosse ambition. C’est donc l’occasion rêvée pour faire un point sur l’exploitation musicale des marques de luxe.
L’Odyssée, le film de Cartier, est un voyage formidable et très beau dans l’histoire de la marque, dans son imaginaire et dans sa culture. Le film propose une bande son très bien produite, très bien écrite mais sans grande originalité, tombant parfois dans les clichés des musiques institutionnelles. On notera par exemple la drôle de similitude entre cette création de Pierre Adenot et celle de Laurent Ferlet, qui a créé la bande son de la campagne de Nicolas Sarkozy, que nous analysions récemment.
Pareil enjeu nous a amené à regarder plus en détails ce que faisait cette marque, sur son site et dans ses magasins. Le site Internet de Cartier donne le ton du dilemme dans lequel semblent être enfermées les marques de luxe. L’introduction du site met en scène, de façon esthétique et très télévisuelle, des images du patrimoine et des collections Cartier avec, en fond musical, «Diva Casta» le célèbre air de la Norma de Bellini. Du grand classique, trop sans doute, trop galvaudé également. Certains d’entre nous se souviendront que cette musique a déjà servi à pas mal de publicités, dans le domaine alimentaire ou dans le monde du parfum. Oui, mais voilà, le luxe, c’est la tradition. Et la tradition, tout le monde s’y précipite dans un monde en mal de repère. Pour le reste, le site est plutôt muet. Dommage.
En magasins, c’est bien mieux notamment avec une sélection où le classicisme n’écrase pas la modernité, où les différentes facettes de la marque semblent trouver leur place. Une sonorisation marquée par la diffusion d’une sorte d’intermède musicale, une forme de signature sonore assez intrigante, qui semble évoquer une rivière de diamant ou des bijoux qui s’enchevêtrent et scintillent. Très simple et très sophistiqué, on regrette de ne pas la retrouver ni sur le site ni sur le film.
Pour avoir un panorama plus large, il faut se tourner vers les autres marques phare du monde du luxe, à commencer par Hermès, Gucci et Vuitton. Bizarrement, Hermès ne sonorise pas ses magasins. C’est peut-être ça le luxe finalement. Etre à contre-courant de façon radicale et jouer le silence quand les autres font de la branchitude. Il n’en demeure pas moins que cela crée parfois le malaise et fait une place de choix au bruit. Les publicités Hermès exploitent la musique avec ni plus ni moins de talents que les autres marques. On s’étonnera simplement du manque de cohérence de l’ensemble. Chez Vuitton, si les magasins sont effectivement sonorisés, on a du mal à y trouver une ligne directrice compréhensible ni même un début de parti-pris. Constat regrettable car Vuitton produit des films dont certaines présentent des musiques très originales qui aident à mieux comprendre l’univers de la marque. Des essais marginaux et qui ne permettent pas à la marque d’afficher une personnalité sonore marquée et émergente.
Moralité, la musique est un levier peu ou pas du tout mis à profit par les grandes marques de luxe. Étonnant qu’aucune des grandes marques n’ait de vraie identité sonore alors qu’elles fondent leur succès sur leur marque et pour beaucoup sur leur identité visuelle. Des essais, par-ci, par-là, mais peu de constance ou de lignes directrices claires.
C’est un diagnostic sans surprise, au fond. Ceux qui ont la curiosité de prêter l’oreille aux musiques des défilés auront déjà remarqué à quel point elles sont souvent similaires et sans surprises.