Air France-KLM au pied du mur.
Les chiffres tant redoutés, objet de rumeurs persistantes depuis plusieurs mois, sont désormais réalité : l’année dernière, Air France-KLM a réalisé une progression très honorable de son chiffre d’affaires (+4,5%, 24,3 milliards d’euros) mais a enregistré un résultat net négatif de 809 millions d’euros. D’où, bien entendu, l’annonce d’un «plan de transformation» à trois ans, 2012-2014, qui prévoit une «forte» amélioration de la productivité du groupe et le retour à l’équilibre de l’activité moyen-courrier à fin 2014.
On voudrait rappeler le caractère cyclique du transport aérien qu’on ne trouverait pas meilleur exemple. Et s’il fallait mettre en exergue ses profondes contradictions, ses faiblesses, voire ses incongruités, sans doute pourrait-on se contenter du cas exemplaire franco-hollandais. En effet, malgré une bonne tenue du chiffre d’affaires et le bon coefficient d’occupation des sièges des 586 avions du groupe, les comptes sont soldés à l’encre rouge. D’où l’apparition du plan «Transform 2015», le franglais régissant les relations Roissy-Amstelveen, une appellation comme une autre, qui va enrichir la longue liste des plans de redressement de toutes espèces qui encombrent la mémoire collective, plus particulièrement du côté français.
D’où une désagréable impression de déjà vu, sans doute inévitable, qui rappelle au passage que les directeurs financiers et leurs compères analystes financiers ne font aucune part à la poésie, pas même à la plus petite part de rêve. Avec une régularité de métronome, les comptes plongent sous la ligne de flottaison, pour des raisons qui ne sont même pas originales et, avec la même constance surgissent des plans de retour à l’équilibre qui font invariablement appel aux mêmes recettes. Ces temps-ci, il est de bon ton d’accuser le prix élevé du kérosène de tous les maux de la Terre, en oubliant de rappeler que le premier choc pétrolier remonte à 1973, soit bientôt 40 ans. Il serait temps, une fois pour toutes, d’accepter la fin du carburant à bon marché et d’intégrer le baril à 120 euros dans le coût de la tonne/kilomètre offerte. L’évocation inquiète de la «facture carburant» par Philippe Calavia n’émeut plus personne.
Inversement, quand Jean-Cyril Spinetta souligne que le modèle économique a changé, il a évidemment raison. Mais, parlant du réseau court/moyen-courrier, source d’infinis problèmes, il faudrait qu’il appelle la source du mal par son nom, concurrents à bas tarifs, «low cost» dans le langage de tous les jours. Dès lors, on est en droit de se demander s’il suffira de réduire les coûts de 10% pour endiguer le déferlement de Ryanair, EasyJet et autres barbares.
Petite touche d’encouragement, Air France vient de plonger, un peu tardivement, dans quelques-unes des plus belles pages de son arbre généalogique. Et elle a, semble-t-il, redécouvert les grands mérites qui furent ceux d’Air Inter. La compagnie intérieure, qui fut présidée à un moment par le jeune J.C. Spinetta, utilisait un slogan qui avait force de programme, «l’avion facile». D’où le rêve fou de retrouver cette simplicité, ce qui reviendrait finalement à réinventer le modèle façonné aux Etats-Unis par Southwest Airlines et transposé (pardon, copié !) par Irlandais et Anglais. On se prend à rêver : si Air Inter avait survécu au grand chambardement du début des années 80, Ryanair et EasyJet auraient sans doute trouvé à qui parler.
Il est évidemment inutile de refaire l’Histoire. Il faudra donc se contenter de Transform 2015 avec, notamment une progression minimale de la capacité offerte, des livraisons d’avions reportées à des jours meilleurs, les salaires gelés et quelques mesures supplémentaires de nature à entretenir une ambiance inquiète. Dans la coulisse, le grand jeu, ces jours-ci, consiste à deviner si des mesures plus sévères, voire des suppressions d’emplois, seront révélées au lendemain de l’élection présidentielle de mai, le rapport de cause à effet étant inaccessible au commun des mortels et certainement totalement hors de portée des médias étrangers. Chaque fois que nous qualifions Air France de compagnie «ex-nationale», des lecteurs s’insurgent sans admettre qu’ils se voilent la face. Cela aussi, dans le passé, on l’avait déjà vu.
Pierre Sparaco - AeroMorning