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LA TOUX, d'après Maupassant

Publié le 12 mars 2012 par Dubruel

 

Mon cher Onésime,

 

Je suis impuissant à trouver comme vous

De délicats synonymes

Pour parler de la toux.

J’ai besoin de périphrases.

Néanmoins, oyez mon histoire sans emphase.

 

La toux dont il s’agit ici

Ne vient point de la gorge. Que ce soit dit !

 

Mon amie dormait

Aux côtés d’un homme aimé.

Cet homme, elle le connaissait peu

Ou plutôt depuis peu.

 

Avec un vieil ami, on ne se gêne pas.

On peut se retourner,

Lancer des coups de pied,

Envahir les trois quarts du matelas,

Ronfler, grogner, tousser.

(Je dis tousser, transposez !)

Ou éternuer.

(Que pensez-vous du synonyme éternuer ?)

 

Mais quand il s’agit d’une nouvelle relation

Qu’on peut supposer de tendresse,

Il faut bien prendre quelques précautions

Pour ne point incommoder son voisin de lit,

Pour conserver un minimum de politesse,

Pour garder une certaine poésie…

(Je n’ai peut-être pas la même manière

Que vous de sentir sur cette matière)

 

Bref, l’indisposition de la dame commença

Dans le creux de l’estomac

Avec un bruit discret intérieur

Puis descendit vers les gorges inférieures.

L’ami nouveau dormait sur le dos,

Les yeux clos.

Elle le regarda avec circonspection.

Elle se dit : je vais prendre mes précautions.

Je tâcherai de souffler seulement,

Tout doucement.

Sans bruit, elle s’efforça d’expectorer.

La démangeaison fut trop forte ;

Elle se mit à tousser

Elle tenta avec sa bouche, la véritable,

De produire un bruit semblable

Pour…dérouter son compagnon.

Elle se retourna, s’agita,

Le poussa. Il ne remuait pas.

Alors elle chanta une chanson.

Le monsieur ne bougeait toujours pas.

Elle l’appela : -Fortunat…

Il ne fit pas un mouvement, mais dit :

-Que veux-tu, chérie ?

Elle demanda :

-Tu ne dors pas ?

Tu n’as rien entendu ? –Non

-Il m’a semblé qu’on marchait dans la maison.

N’as-tu rien entendu ?

-Ah ! j’ai entendu…On a toussé !

Elle fit un bond et s’écria exaspérée :

-Où ça ? Qui est-ce qui a toussé ?

Tu es fou. Réponds donc…

-Est-ce bientôt fini cette scie, voyons !

Tu sais bien que c’est toi.

Elle s’indigna, hurlant : -Moi ?

Moi,…J’ai toussé ?

Ah ! vous m’insultez,

Vous m’outragez.

As t’on vu un homme qui vous traite ainsi ?

Et elle voulut sortir du lit.

Voulant la paix, il reprit :

-C’est moi qui ai toussé.

-Comment ? Vous avez… toussé…à mes côtés

…pendant que je dormais.

Vous l’avouez.

Et vous croyez que je vais rester avec vous

Qui toussait auprès de moi ?

Elle se leva sur le lit tout debout,

Essayant d’enjamber pour s’en aller.

Par les pieds il la prit

Et la fit s’étaler sur le lit :

-Voyons, Rose. Tu as toussé. C’est toi !

Je ne me plains pas.

Je ne me fâche pas.

Mais recouche-toi

Alors aussi il se leva,

La gifla,

Se recoucha

Et …toussa

Par quintes, par roulements,

Avec des silences, des ralentissements,

Des reprises, des accélérations,

Par flux, avec brio,

Pétulance, avec des soubresauts.

Il demanda : -En as-tu assez ?

Et il recommençait

Avec vivacité,

Impétuosité.

 

Elle se mit à rire comme une folle :

-Ah ! qu’il est drôle !

Et elle le saisit brusquement dans ses bras

Murmurant : -je t’aime mon chat !

 

 

Mon cher Onésime,

Fi des synonymes !

Pardonnez mon incursion

Dans votre domaine de prédilection

Où je n’ai pas vos compétences

Ni même vos succulences

Mais je n’ai pu résister

Au désir d’empiéter

Sur votre fond de placement.

Merci de m’avoir ouvert cette voie, céans.

 

 

Samson-Jean SUISSURE

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Le sommeil est le seul don gratuit qu’accordent les dieux.

Plutarque

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