mondial nomade

Publié le 11 mars 2012 par Pjjp44

"Rem Jean-Charles était un homme profondément bon qui avait bâti un empire, non sur le vide comme nombre d'entrepreneurs de ses contemporains, mais sur le trop-plein.Les très  fameux et très populaires garde-meubles Mondial Nomade, vous vous en souvenez peut-être? Et bien, c'était lui.
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  Ne m’indique pas mon chemin car je risquerais de ne plus savoir me perdre. .../... "

".../...Il régnait au milieu de tout ce folklore une ambiance parfaitement sauvage, et Rem s'y était senti ce premier matin-là comme lors de son voyage d'antan. Car c'était ici que son voyage s'était achevé autrefois. Rien ou presque n'avait changé, hormis peut-être qu'autrefois ces échoppes étaient tenues par des indiens somnolents et qu'elles étaient à présent sous la houlette de marchands français.
Savoir voyager n'est peut-être pas beaucoup plus compliqué que de savoir marcher, réapprendre ne demande pas de gros efforts. On met un pied devant l'autre...un paysage, une rue, et c'est ainsi, en posant un pied devant l'autre, que Rem avait fini par se retrouver sur la grande place des autocars, celle-là même sur laquelle il s'était fait tirer le portrait avec son étrange ami durant ses jeunes années. L'image composite était d'ailleurs logée dans sa poche sous son poncho, mais il n'avait pas éprouvé le besoin de comparer. C'était là, ici même. Il en était certain. Les panneaux publicitaires qui vantaient les mérites des nouvelles automobiles, de grandes marques de shampoings décolorants libyens et ceux, plus démesurés encore, de la célèbre Marque sans nom en avaient foncièrement transformé la perspective, rehaussant de plusieurs étages les courtes bâtisses qui en formaient le pourtour autrefois en donnant à l'ensemble de l'esplanade un aspect rétréci , moins amène. Le soleil n'y pénétrait plus que très faiblement et projetait vers le centre des activités marchandes l'ombre du lettrage in versé des gigantesques enseignes. La gare des autocars avait disparu, mais l'auberge, la très fameuse Auberge des Voyageurs était toujours là, avec son imposante terrasse en forme de promontoire à laquelle menait un non moins imposant escalier.../..."

".../...En gravissant les marches, Rem s'était souvenu d'une chose amusante, sans réelle importance mais désopilante tout de même: une histoire de petite cuillère. Le patron qui tenait cette auberge autrefois, un homme européen de forte corpulence, las de se faire voler ses petites cuillères par sa clientèle de jeunes héroïnomanes qui s'en servaient pour faire bouillir leur mixture, avait eu la présence d'esprit d'y percer un trou minuscule, presque invisible à l'oeil nu. Ainsi, les clepto-toxicomanes qui persistaient à vouloir se servir de ces couverts à des fins narcotiques prenaient le risque d'en voir filer le contenu sur le sol des pissotières. L'idée du patron avait été astucieuse mais cela n'avait pas interrompu la malédiction, bien au contraire, car la plupart des touristes, intrigués par l'incongruité de cet objet, ne manquaient pas d'en ramener un exemplaire chez eux.
Parce que rien ne restitue mieux l'ambiance d'un voyage que ce qui nous en  a échappé, cette petite cuillère percée était devenue l'emblème souvenir de cette place des voyageurs, aussi sûrement que, pour la ville de Pise, sa tour penchée. Des milliers de gens doivent aujourd'hui encore détenir une de ces cuillères percées dans le fond d'un tiroir, accessoire ramené d'Asie par un grand-père ou un grand-oncle dont on peine à comprendre l'utilité et, pour cette raison, à trouver le moyen de s'en débarrasser.
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"Assieds-toi voyageur, repose-toi, car je vois que la route a été longue pour toi, je le sais, je le sens,. Très longue. Prends place! Heureux de te revoir parmi nous."
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extraits de: "Mondial Nomade" de Philippe Pollet- Villard- Editions Flammarion-
ils en causent