Que penser de l’inflation du mot « populisme » dans le débat politique et dans les médias ? La notion est-elle utilisée à bon escient ? Ou n’est-elle trop souvent qu’un moyen commode de délégitimer ceux qui ne pensent pas pareil ?
Par Marc Crapez.
De nos jours, il n’est pas pire injure que « franchouillard », « très français », « franco-français » ou « hexagonal ». Ce mépris pour tout ce qui évoque le nom de sa patrie n’existe dans aucun autre pays. Le sentiment d’appartenance nationale est dans une situation critique.
Les médias préfèrent focaliser l’attention sur la survivance du nationalisme fanatique. Des reportages sur le fascisme en Europe filment des groupuscules alignant péniblement quelques dizaines de néo-nazis. Mais, malgré leurs mines patibulaires, on est très loin des millions de militants qui peuplaient les ligues d’extrême-droite dans l’Europe des années 30 et faisaient vaciller les démocraties.
Que ce genre d’idéologie soit à surveiller est une chose, qu’elle constitue une menace pour la démocratie en est une autre. Même l’extrême-gauche, qui dispose de réseaux plus nombreux et de relais dans certains milieux intellectuels, ne constitue plus un danger pour la démocratie. Il peut y avoir des crimes, des attentats ou des carnages, perpétrés par des déséquilibrés abreuvés d’idéologie extrémiste, mais il n’y a plus ni terrorisme structuré ni mouvements de masse projetant de renverser la démocratie. Il n’y a plus vraiment ce que Jules Ferry appelait des « minorités d’extrême gauche et d’extrême droite qui menacent la République ».
Concernant le populisme, il n’y a pas non plus de comparaison. L’époque des grands leaders populistes qui enthousiasmaient les foules, les Péron et autres Nasser, est révolue. En Europe de l’ouest, le populisme est beaucoup moins virulent qu’avant. La démocratie a battu ses alternatives à plates-coutures et même ses trublions ne songent plus à attenter aux libertés fondamentales.
Le populisme, voilà l’ennemi !
L’usage répulsif de la notion de populisme est tellement galvaudé que le Financial Times, lui-même, appelle de ses vœux un « populisme précautionneux ». Mais en France, où l’européisme est passionnel, les élites utilisent machinalement ce terme pour jeter l’anathème sur quiconque est suspect d’euroscepticisme.
François Bayrou s’est vu traité de « populiste subliminal » à cause de son souci de ré-industrialisation. Blandine Kriegel, une philosophe politique, observe que ce sectarisme pousse tel universitaire à nier une influence française sur tel point d’histoire car il est persuadé qu’on « ne peut saluer l’œuvre des Français que si l’on est souverainiste et anti-européen ».
Le politologue pro-européen Dominique Reynié, après avoir qualifié de « vertige social-nationaliste » le Non de gauche au referendum sur l’Europe de 2005, sonne le tocsin contre le « populisme : la pente fatale ». Cette idée de pente fatale est discutable car aucun parti populiste n’a la moindre chance de prendre le pouvoir seul et les expériences de coalition n’ont pas attenté aux libertés publiques.
Vertige, fatalité… Le populisme est prétendument détecté comme une phobie ou une pathologie. Le ton est celui du constat alarmiste d’un épidémiologiste. Tel essayiste prétend la démocratie menacée. Tel autre prétexte l’Europe « assiégée » et exige un carcan fédéraliste comme camisole de force pour délivrer de leur incurable populisme les populations européennes.
Le paradoxe est maximal entre cet alarmisme et le réel. La démocratie occidentale séduit les peuples du monde entier. Jamais elle n’a été autant consolidée. Jamais les élites n’ont été aussi homogènes face à la contestation d’outsiders qui disposent de moyens dérisoires puisqu’ils sont exclus du journalisme, des syndicats, des universités, des think tanks et autres lieux de pouvoir et d’influence.
Halte au populisme ! Et après ? Comment rend-on ce pays plus vivable, les gens moins agressifs et un peu plus attachés à la pérennité d’un espace commun ? Certainement pas par une inflation outrancière du mot populisme pour culpabiliser ceux qui ne pensent pas pareil. Attachons-nous plutôt à délimiter ce qu’est ce fameux populisme et d’où il provient…
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Article publié initialement sur Marianne2.