Le directeur de campagne de François Hollande a affirmé, avant de légèrement nuancer ses propos : « Le candidat socialiste a gagné l’élection présidentielle de 2012″. Ici on s’en réjouit, là on le déplore. Mais la chose certaine c’est qu’en politique, comme partout, « il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tuée ». Pour répondre à la question posée en titre, la seule méthode est de recenser les déficits du président sortant mais aussi ses atouts. Chemin faisant, on s’apercevra qu’évidemment rien n’est joué.
Par Serge Schweitzer.
Un article de News of Marseille.
Du côté des doutes concernant la réélection du président sortant on peut recenser trois arguments. D’abord ce président n’est guère aimé ; il est même souvent détesté. On dirait qu’il est victime d’une pathologie « à la Nixon ». Les médias dans leur immense majorité n’ont qu’un but : le voir chuter. Il est vrai que le président plus d’une fois leur a tendu la perche ; tout a été dit sur le soir du second tour, sur l’élévation de son fils, ses pertes de sang froid, son allure de parvenu, l’étalage de sa réussite. Il y a beaucoup d’injustices mais aussi beaucoup de vérités dans la formule qui suit : on avait élu en 2007 un président et non un sujet de conversation.
Certes, il n’est pas obligatoire d’être aimé pour être élu. Mais être détesté, voire plus, par des millions de Français est un handicap. Sa deuxième faiblesse tient dans une analyse radicalement fausse des causes de la crise financière qui lui a fait adopter, c’est la troisième faiblesse, des politiques erronées et qui naturellement ont échoué. Nous vivons contrairement à ce que pensent la plupart des Français une crise de l’intervention de l’État.
La crise n’est pas l’objet de cet article. Il faut bien quand même redire que tout est parti du laxisme extraordinaire d’une bureaucratie d’État. La Banque centrale américaine et les imprudences de certaines banques, par nature et métier prudentes, ne se sont produites que parce que la certitude, la suite l’a montré, leur avait été donnée qu’on ne les laisserait jamais tomber. Quand un agent comme l’État, détenteur du monopole de la production des règles, explique qu’il sera là en dernier ressort, quoi qu’il arrive, alors évidemment ceux qui ont cette assurance prennent tous les risques. S’ils gagnent, ils privatisent leurs profits. S’ils perdent, ils socialisent leurs pertes. C’est cela le monde de l’État. Où est le marché dans tout cela? Comme Nicolas Sarkozy est persuadé que c’est la finance qui est responsable, comment aurait-il pris les bonnes mesures ?
Parce qu’il a pensé de façon erronée, les réponses données ont été inadaptées. On a fait exploser la dépense publique. On a créé des déficits insensés. On a cru qu’il fallait relancer la consommation et on s’étonne de ne pas sortir de la crise. Qu’une partie des homologues du président n’ait pas fait mieux que lui est un argument sans valeur. Si vous êtes malade où est la consolation de savoir que d’autres le sont ? Une personnalité finalement étrange qui n’a pas compris que la France voulait un républicain et non un monarque. On comprend les raisons de sondages désastreux à un mois et demi de la présidentielle étant donné son analyse de la crise incorrecte, ses mesures inadaptées et son acharnement médiatique jusqu’alors rarement vu.
Et pourtant les autres grands candidats devraient surtout ne pas mésestimer le sortant pour trois raisons également. La première c’est qu’il est rarissime depuis 1965 que le favori soit sorti vainqueur de la présidentielle. Un court rappel historique : qui aurait pensé que Charles de Gaulle fut mis en ballotage en 1965. 1969 n’est pas une référence avec un mois de campagne. En 1974, Jacques Chaban-Delmas à un mois et demi du scrutin bat très largement Giscard d’Estaing au 1er tour. On connaît la suite. En 1981 à trois mois de l’élection, Giscard d’Estaing a encore une avance considérable sur François Mitterrand. En 1995, à trois mois du scrutin Édouard Balladur a vingt points d’avance sur Jacques Chirac au 1er tour. On sait le dénouement. En 2002, Lionel Jospin est l’incontestable favori. Il n’arrive même pas au deuxième tour ! En 2007, on oublie trop souvent qu’à trois mois du scrutin Ségolène Royal était donnée en tête dans tous les sondages…
Le deuxième atout provient du fait qu’en une émission vue par 16 millions de téléspectateurs le président a repris la main. Certes, on peut discuter chacune des mesures mais contrairement aux apparences, ce n’est pas ce qui compte. Ce qui importe c’est que ces décisions seront discutées par le Parlement pendant toutes les semaines qui viennent sans compter les précisions données par le président, le Premier ministre, les ministres. Autrement dit, la thématique de la campagne vient de se déplacer autour des propositions de Nicolas Sarkozy.
Gageons qu’on va entendre parler fort peu du programme de François Hollande dans les semaines qui viennent. Et bien plus de la TVA, des accords d’entreprises, des mesures sur le logement en passant par les allègements de charges. Qu’il y ait approbation, refus ou même objet de scandales, tout va tourner autour des propositions de Sarkozy. Sans compter le bénéfice possible de mesures largement impopulaires mais présentées sous le signe et le symbole du courage. Comme si pour troisième atout le président avait lu l’excellente monographie produite en novembre 2011 par l’IREF (Institut de Recherches Économiques et Fiscales). Dans cette étude dirigée par deux professeurs d’université italiens et sur l’histoire d’une trentaine de pays, ils ont démontré que ceux qui réforment peu tombent vite et qu’inversement ceux qui pratiquent la hardiesse l’emportent. Car même si les mesures sont impopulaires à court terme, les gouvernants sont crédités par les électeurs d’un courage qui ferait défaut aux autres candidats. Ainsi en Angleterre, en Grèce, en Italie, en Espagne, les leaders ont été battus ou se sont décomposés eux-mêmes. Inversement au Canada, en Suède, en Australie, en Nouvelle-Zélande de profondes réformes ont été entreprises marquant dans tous les cas une rupture dans une confiance aveugle avec l’État providence. Dans tous ces cas, les sortants ont été réélus.
Nous avons voulu simplement nous démarquer de ces confrères hâtifs qui, faisant passer leurs désirs pour des réalités, ont déjà enterré le président sortant. S’il s’agit de dire qu’il est le challenger et non le favori on l’admettra aisément. S’il s’agit chez un bookmaker à Londres de parier sur le vainqueur final, on sera infiniment plus prudents puisque sans doute l’adage le plus vrai en politique c’est que rien n’est jamais définitivement perdu. La jurisprudence va de Richelieu à François Mitterrand, de Mazarin à Jacques Chirac.
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Article reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur et du site News of Marseille.